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Les Films du Corbeau présente
L'Esquive andalouse

Vigo, port de Galice, en Espagne.  

 

Le port de Vigo était vide à cette heure tardive de la nuit. Au loin, on entendait la mélodie festive de musiciens et les cris de soudards filtrant d’une auberge quelconque. Sur le port, seul le chant des mats grinçait et des vagues résonnaient contre les quais de pierre. Un homme dormait affalé sur un tas de filets de pêche. Un chat se caressa furtivement contre ses bottes avant de filer rejoindre ses pénates, son pelage noir reflétant la lumière bleutée de la lune.  

Cinq silhouettes se détachèrent soudain d’une ruelle au milieu des maisons endormies. Ils passèrent près du dormeur, prirent un instant pour l’observer. Il ronflait comme un bienheureux complètement aviné. Ils poursuivirent leur progression en silence et s’approchèrent d’une goélette de commerce. Une veilleuse à la lueur faible était allumée sur le pont. Les intrus s’accrochèrent à la rambarde du ponton et se hissèrent lentement par-dessus bord. La goélette était de taille modeste, fine et légère. Si par malchance la totalité de l’équipage se trouvait à son bord, il ne devait pas être beaucoup plus nombreux qu’eux. Un marin veillait, à sa façon (c’est-à-dire en roupillant sagement) adossé contre le mat. La première de ces silhouettes furtives, d’un gabarit plus léger que les quatre autres, s’approcha de lui et, d’un geste rapide et froid, sortit une dague de sa manche et trancha la gorge du marin qui n’eut que le temps d’écarquiller les yeux. La horde silencieuse poursuivit sa progression et s’apprêtait à s’infiltrer par l’écoutille lorsqu’elle fut interrompue par une voix sonnante et trébuchante :  

- M’est avis que vous ne devriez pas être là.  

Ils se retournèrent et aperçurent un homme debout sur le bastingage. Il se retenait lourdement à une drisse de la voile. C’était le dormeur du quai (Hugh Darby). S’ils s’étaient mépris sur la profondeur de son sommeil, ils avaient vu juste quant à son état d’ébriété. Il semblait que sans la drisse, il n’aurait pu tenir debout. Une des silhouettes les plus massives s’avança d’une démarche menaçante, le visage camouflé par un foulard sombre. L’homme avait une stature impressionnante. Il dégaina une vieille rapière et sa voix, bien qu’il préférât chuchoter pour n’alerter personne, était rocailleuse.  

- Je te conseille de retourner cuver ton vin tranquillement, le bougre, si tu ne veux pas qu’il t’arrive malheur.  

- Fais pas bon s’assoupir dans le coin, j’ai l’impression.  

L’ivrogne désigna d’un mouvement de menton le corps du marin égorgé. Sa voix paraissait tonitruante aux oreilles de ceux qui espéraient encore passer inaperçus. Une deuxième silhouette s’avança, dégainant à son tour une vieille rapière.  

- Vas-tu te taire, imbécile ? Que viens-tu t’occuper de ce qui ne te regarde pas ?  

- C’est que… On me paie justement pour surveiller ce navire !  

Son regard se posa à nouveau sur le cadavre.  

- Peut-être un peu trop cher, je vous l’accorde…  

BO : https://soundcloud.com/daiwenn/05-carraxe  

Il dégaina prestement une épée dont la lueur étincela à la flamme de la veilleuse. Mais le mouvement l’entraina et il chuta du bastingage sur le pont. Il se releva alors que quatre des cinq assaillants s’avançaient vers lui, l’arme au poing. Le cinquième, l’égorgeur, se tenait en retrait et observait la scène, camouflé lui aussi derrière son foulard. L’homme à la voix rocailleuse rit en voyant l’inconnu se mettre en garde avec si peu de maintien.  

- Si tu insistes… J’espère que tu as bu à la santé de la Vierge, ce soir…  

Il leva sa rapière et lança son attaque. La réception fut aussi précise qu’expéditive. L’épée de l’ivrogne esquiva aisément la lourde lame de la rapière et s’enfonça dans la gorge de son assaillant, qui s’effondra dans un gargouillement de sang. Les trois autres, surpris tout d’abord, attaquèrent à leur tour. L’épéiste n’était pas précis sur ses jambes, aussi se contentait-il de parer plutôt que d’attaquer. Mais ses esquives étaient d’une précision impressionnante. Les rapières semblaient glisser sur lui comme sur du beurre. Rapidement, l’un des assaillants se tenait le bras blessé, pendant qu’un autre s’effondrait à son tour, le tendon d’Achille proprement découpé. L’ivrogne s’élança soudain par-dessus le bastingage, ne se retenant qu’à une drisse. Il virevolta dans les airs pour atterrir le talon de sa botte sur le nez du dernier adversaire. Gaspard (car il est bien temps de le nommer) se réceptionna plus ou moins noblement sur le pont, et se retrouva seul face au dernier d’entre eux, l’égorgeur, qui n’avait toujours pas quitté sa place. Celui-ci s’avança lentement. Il était vraiment plus petit et plus fin que les autres. Il tendit les bras le long de son corps et Gaspard découvrit les deux dagues longues et fines qu’il tenait à chaque main. Il attaqua, et Gaspard reprit sa position défensive. Mais cet adversaire était bien plus agile que les autres. Rapidement, Gaspard fut débordé. Il parvenait à parer les coups, mais les attaques devenaient trop rapides pour son regard et ses muscles ankylosés. Il ne faisait qu’esquiver et se faisait acculer vers l’autre bout du pont. D’un mouvement félin, l’adversaire tourna sur lui-même et envoya le talon de sa botte dans le ventre de Gaspard, qui bascula en arrière (et rendit quelques centilitres de breuvage sur le pont). Il se releva maladroitement, mais son assaillant n’avait pas bougé. Si ce n’est qu’il avait ôté son foulard et révélait un visage de femme (Katia Oblomov). Sa voix grave mais calme susurra :  

- Gordo, à toi.  

Gaspard tourna la tête. Il n’avait pas vu le « Gordo » se relever, le foulard pendant et le nez en sang. Il ne vit pas non plus à temps son large poing fendre l’air en direction de son visage…  

 

 

************* L’ESQUIVE ANDALOUSE **************  

Un film de Leonard BRUMEL  

 

 

Le bois grinçait et Gaspard entendit l’eau frapper le long de la coque lorsqu’il revint à lui. Sa tête lui faisait affreusement mal. Il eut été bien en peine de savoir si le vin ou le coup qu’il avait reçu en était la cause. L’air frais et iodé qui caressait son visage lui fit comprendre que la goélette avait prit la mer. Il se découvrit attaché dans la cale du navire.  

Quelques instants plus tard, il entendit des pas s’approcher. La femme qu’il avait combattue apparut. Elle était habillée comme un homme, mais ses vêtements seyaient son corps d’une agréable façon. Elle se pencha vers lui.  

- Tu as une tête de déterré, marin. C’est le mal de mer ou la gueule de bois ?  

Gaspard n’avait aucun humour en réserve.  

- Qu’est-ce que je fais là ? Je m’attendais à me réveiller au fond du port…  

- C’était l’idée de mes compagnons.  

- Alors pourquoi ?  

Le regard de cette femme était direct et fouillait celui du jeune homme.  

- Deux raisons : j’ai rarement vu une aussi bonne lame que toi. Tu pourras m’être utile. L’autre, c’est que tu as tué un de mes hommes. Et on ne sera pas trop nombreux pour manœuvrer ce bateau.  

- Qui es-tu ?  

- On m’appelle Trixie la Gitane.  

- Où sommes-nous ? Où m’emmènes-tu ?  

- Nous devons longer le Portugal, maintenant. Nous descendons. Tu verras. Tu parles bien l’espagnol, mais j’entends que tu es Français. Que faisais-tu en Galice ?  

Gaspard baissa le regard, qu’il avait sombre à cet instant.  

- Qu’est-ce qu’une fine lame comme toi faisait le nez dans un filet de pêche ? Car tu es aussi marin que moi je suis nonne.  

Gaspard se taisait toujours. Comment répondre à cette question ? Il aurait fallu qu’il lui raconte tout. Nantes. Eulalie. Son enlèvement. L’aventure de Damas. Puis la fuite à Venise. Le piège. La fuite, à nouveau, par les Alpes. Et la mort d’Eulalie. Le poids de la culpabilité. L’impossibilité de rejoindre Nantes, de faire face à sa vie d’avant. Sa fuite au hasard des routes. Sa lente et sûre déchéance jusqu’aux bas-fonds de la vie. Sa recherche de l’oubli. D’une punition. Non, ce n’était pas le genre de réponse qu’il avait envie de donner. Pourtant, c’était la seule qu’il avait.  

- Garde tes histoires, ce n’est pas d’elles dont j’ai besoin. Nous sommes en pleine mer maintenant. Alors choisis vite ton parti : ou tu te rends utile, ou tu pars pêcher les méduses.  

D’un rapide coup de dague, elle trancha ses liens.  

 

*  

 

La côte était en vue. Trixie rejoignit Gaspard accoudé au bastingage. La houle trempait leur visage.  

- L’Andalousie. Le pays que je me suis choisi. Derrière la ria que tu vois là, c’est Cadix.  

- Vous êtes des pirates ?  

- Nous ne sommes pas marins. C’est le hasard des circonstances qui nous a mené jusqu’en Galice. Il nous fallait un moyen de rentrer, c’est le plus simple que nous avions. Et la cargaison ne nous fera pas de mal. Alors « pirates », y a un peu de vrai j’imagine…  

Rien ne pouvait plus étonner Gaspard. Depuis des mois, il prenait les événements avec une passivité inviolable.  

- C’est à Cadix que nous allons ?  

- Non, nous ne serions pas les bienvenus. Nous allons là-bas. Plus discret.  

Elle désignait un petit port de pêche en vue.  

 

*  

 

Ils débarquèrent à Chipiona, un village de pêcheurs, où des chevaux les attendaient. Ils montèrent en selle immédiatement, laissant la goélette à quai. Visiblement, les pêcheurs étaient des alliés en qui ils avaient toute confiance. Gaspard chevauchait encerclé par les autres. L’animosité que lui portaient les hommes avait disparu en mer, mais il ne s’était pas lié à eux pour autant. Et son statut de prisonnier était toujours silencieusement exprimé. Ils avancèrent pendant quelques heures au galop. Gaspard découvrait un climat chaud et un paysage de terre rouge et de champs d’oliviers. Au flan d’une colline, il apercevait les ruines d’un monastère. C’est là qu’ils se rendirent. Le jeune homme y découvrit une vie bien particulière. Plusieurs dizaines d’hommes et de femmes (surtout des hommes) vivaient dans ce lieu. Ils semblaient camper plutôt que d’y être installés. Tous étaient vêtus comme des voyageurs, sans richesse. Pourtant, ils semblaient vivre bien. Le seul signe extérieur de richesse était un carrosse de très bonne facture qui trônait étrangement, tout attelé, à l’entrée du monastère.  

Le groupe de voyageurs fut accueilli à grande force d’acclamations et d’accolades joyeuses. Gaspard était gardé à distance, ce qui lui convenait très bien. Trixie conversait avec un homme à la peau mâte (Javier Perez) et une femme plus âgée (Olivia Fallon), la seule personne de l’assemblée vêtue de vêtements précieux. De loin, Gaspard se voyait détaillé des pieds à la tête. Trixie les mena jusqu’à lui. L’homme le dévisageait d’un regard noir. Il s’adressa à la gitane.  

- Je ne suis pas d’accord. Tu es partie longtemps, tu ne sais pas que la situation s’est beaucoup tendue pour nous ces derniers temps. Courir le risque d’accueillir un étranger, un traitre à notre cause peut-être, c’est trop dangereux.  

La femme distinguée regardait Gaspard avec bienveillance.  

- Fausto, rappelle-moi quand, pour la dernière fois, Trixie a prit une mauvaise décision ? Si elle croit que ce jeune homme peut nous aider, alors ça me va.  

Fausto dévisagea une nouvelle fois Gaspard, puis tourna les talons. Elle poursuivit en souriant à Gaspard et Trixie :  

- Il est de plus en plus bougon. J’ai déposé des vivres au frais, dans la crypte. Allez vous restaurer.  

 

*  

 

La nuit était tombée et on avait allumé un feu au centre de la cour du monastère. Gaspard était assis sur les débris d’une colonne de pierre et mangeait un pilon de volaille rôti. Il observait cette étrange femme, très maternelle, qui terminait de distribuer les vivres autour d’elle. Ses vêtements précieux détonaient au milieu de ces hommes et ces femmes aux vêtements de voyage poussiéreux. Trixie vint s’asseoir près de lui pour éplucher une pèche. La femme distinguée salua la troupe et on lui répondit avec chaleur. Elle rejoignit son carrosse. Gaspard désigna le convoi qui se mettait en route.  

- Qui est-elle ?  

- On l’appelle Ida la Duègne. Elle vit à quelques lieues d’ici, dans sa propriété, et nous aide comme elle le peut. C’est la seule de son rang à soutenir notre cause.  

Gaspard se tourna vers la gitane.  

- Et si tu m’expliquais un peu de quelle « cause » il s’agit…  

Trixie soupira de fatigue, avant de se lancer.  

- Il y a quelques années, un certain Ignacio de Gálvez y Cortés s’est fait élire maire de Cadix par je ne sais quelle manigance. Depuis, la situation s’est dégradée de mal en pis. Gálvez a soif de pouvoir et a instauré une petite dictature locale. Taxes outrancières, péages illégaux, autorité militaire. Il a les moyens d’entretenir tous les pontes de l’armée royale sur le territoire, aussi est-il appuyé par une force armée imposante. Cadix est une ville riche, le commerce maritime est florissant. Il enrichit les plus riches, appauvris les plus pauvres et leur serre la gorge chaque jour davantage. Ceux qui se sont plaint ont fini, au mieux, en prison. Comme nous tous ici. C’est une histoire tristement banale et vieille comme le monde…  

- Pourquoi vivez-vous ici ?  

- Parce que nous continuons de nous plaindre. Et avons décidé de lui retirer les rennes du pouvoir. Mais Gálvez est intouchable, c’est un Grand d’Espagne.  

Gaspard l’interrogea du regard.  

- Il n’y a qu’une poignée de Grands d’Espagne dans le pays. C’est le plus haut titre de noblesse qui existe, en dehors de la famille royale. Le Roi lui-même l’appelle « primo », cousin. Toute la noblesse de la province est derrière lui. Sauf Ida, et quelques rares autres.  

Trixie le regarda dans les yeux. Elle avait retrouvé toute sa vitalité.  

- Notre cause est juste. Nous défendons ceux qui en ont besoin. C’est pour ça que je t’ai gardé en vie, toi et ton épée.  

Gaspard tourna son regard vers le feu.  

- Je ne suis plus un guerrier. Je me bats quand je le dois, mais je n’y trouve pas plus de gloire qu’à étriper une volaille. Votre cause n’est pas la mienne. Je ne vous serai d’aucune utilité.  

Trixie mordit dans son fruit juteux, sans répondre.  

 

*  

 

Le soleil était levé depuis moins d’une heure, mais déjà la chaleur se faisait lourde. La horde de rebelles était active depuis l’aube. On nourrissait quelques bêtes d’élevage. On nettoyait les fers des chevaux. On lustrait les armes. Devant l’entrée du monastère, Fausto brossait le poil de sa monture. Gaspard marchait dans l’herbe sèche, à quelques pas de là. Il longeait tranquillement la muraille du bâtiment. Trixie s’approcha de lui à cheval.  

- Viens avec moi.  

Il la suivit à pied pendant quelques centaines de mètres. Fausto, de son regard noir, les observa s’éloigner. Trixie le mena hors de vue du monastère, sur un promontoire herbeux. Devant eux s’étendait une plaine peuplée d’oliviers que sillonnaient une rivière et quelques bosquets. Tout au fond de ce panorama, à plusieurs dizaines de lieues, on apercevait la côte et les premières maisons d’une ville.  

- C’est Cadix.  

Elle descendit de cheval et lui tendit les rennes.  

- Vas. Tu verras par toi-même.  

Gaspard hésitait.  

- Je ne suis pas une geôlière. Le meilleur moyen pour que tu nous suives, c’est que tu vois les choses par toi-même.  

- Et ton cheval ?  

- Laisse-le partir avant d’entrer en ville. Il retrouva son chemin.  

Gaspard monta en selle et s’élança dans la plaine sans se retourner. Trixie le regardait partir. Mais bientôt, elle entendit le galop d’un autre cheval dans son dos. C’était Fausto, qui s’arrêta près d’elle.  

- Tu as perdu la raison ! Il va leur dire où nous sommes !  

- Fausto, non !  

Mais il avait déjà lancé sa monture à la poursuite de Gaspard. Ce dernier galopait à fond de train, l’air qui lui fouettait le visage lui faisait du bien. Au bout de quelques lieues, il se rendit compte qu’un cavalier le poursuivait. A l’orée d’un bosquet, il arrêta son cheval et attendit l’homme. Il reconnut Fausto. Alors qu’il arrivait au niveau de Gaspard, celui-ci ne ralentit pas son allure et dégaina une épée. Gaspard eut juste le temps de se projeter en arrière pour éviter le coup. Il se réceptionna adroitement sur ses jambes et sortit son arme à son tour. Fausto était descendu de cheval et s’avançait vers lui avec colère.  

- Je ne sais pas quel charme Trixie te trouve, mais cela ne fonctionne pas avec moi. Je n’ai aucune raison de te faire confiance.  

Fausto engagea le fer avec violence. Gaspard ne mit pas de temps à se rendre compte qu’il pourrait le désarmer assez facilement. Le Maure avait sans doute appris le maniement des armes par lui-même. Mais il n’avait pas envie de se battre. Il se contentait de parer. Ce qui mit Fausto hors de lui. Soudain, le galop d’un nouveau cheval se fit entendre et tous deux furent contraints de se séparer pour laisser passer l’animal à pleine vitesse. Fausto fut frappé au visage et propulsé sur le sol, étourdi. Le cheval fit demi-tour et Gaspard découvrit une jeune femme très belle (Maria Lima), dans une robe de cavalière étincelante, assise en amazone sur un pur-sang de grande valeur. Elle tenait à la main la cravache dont elle s’était servie pour frapper Fausto. Bientôt, elle fut rejointe par d’autres cavaliers, des hommes en armes menés par un militaire galonné (Marcus Lee Bampton). La jeune femme leur désigna Fausto, toujours assommé sur le sol.  

- Cet homme attaquait l’autre, je l’ai vu.  

Les hommes en armes descendirent de cheval et maîtrisèrent le rebelle. Le militaire s’approcha de Gaspard.  

- Vous devez une fière chandelle à cette demoiselle. Remerciez-la !  

Gaspard la salua modestement de la tête, impassible. Le militaire s’intéressait maintenant de près à Fausto.  

- Ca alors, Fausto le Maure ! Tu as donc fini de nous faire courir…  

 

*  

 

La Casa de las Cadenas était une des plus belles maisons de Cadix. Sur la grande terrasse qui surplombait la ville et la mer à perte de vue, un homme était assis devant une table basse en marbre sur laquelle des domestiques posaient des coupelles de nourriture et de breuvages raffinés. La cavalière fit son entrée, suivie du militaire et de Gaspard, et rejoignit l’homme, dont elle embrassa la main avec tendresse.  

- Mon père, nous avons rencontré cet homme en dehors de la ville. Il se défendait d’un rebelle que vous recherchiez. C’est moi qui l’ai sauvé !  

Il la regardait avec enchantement. Le militaire s’avança à son tour et se mit au garde-à-vous.  

- Señor Gálvez, nous avons capturé Fausto le Maure. Je l’ai envoyé croupir aux geôles de Santa Catalina.  

- Eh bien, voilà une bien fructueuse promenade !  

Ignacio Gálvez y Cortés (Jeff Collins) embrassa sa fille et se leva.  

- Félicitation capitaine Monardes. Asseyez-vous avec ma fille et buvez quelque chose. J’irai voir ce bougre dans la journée.  

Il s’avança vers Gaspard, qui était resté en retrait.  

- Je ne sais par quelle heureuse circonstance vous avez pu approcher si près le Maure de la ville, mais vous avez toute ma reconnaissance señor…  

La jeune femme s’exprima avant que Gaspard en ait eu le temps.  

- Il est Français ! Mais il parle bien espagnol.  

- Un Français ? Merveilleux. J’adore les Français. Nous en accueillons beaucoup dans notre ville, le savez-vous ?  

Il entraîna Gaspard au bord de la terrasse et lui montra l’étendue de la ville ensoleillée et blanche.  

- Cadix est une ville merveilleuse. Les Français s’y connaissent en commerce maritime. Et notre port accueille une majeure partie des convois qui nous reviennent des Amériques, gorgés de leurs richesses. Mais peut-être faites-vous partie d’une de ces compagnies ?  

- Non, pas vraiment…  

La jeune femme les rejoignit.  

- Père, ce jeune homme a des histoires passionnantes à raconter. Mais laissez-le se reposer d’abord, il est tout crotté.  

Gálvez regarda sa fille en souriant.  

- Ce que femme veut… Ma fille semble vous avoir prit sous son aile ! Faisons comme elle veut. Après, vous me direz tout.  

 

*  

 

Après s’être lavé et sustenté, Gaspard fut contraint de leur livrer l’histoire de sa vie. Il leur conta ses voyages, mais transforma la vérité. Il se contenta de dire qu’il commandait un navire d’une compagnie nantaise à travers la Méditerranée, ce qui n’était pas loin de la vérité. Il prétexta un naufrage pour justifier sa présence en Espagne.  

Par la suite, Gálvez et Monardes l’interrogèrent sur le repaire des rebelles. Mais Gaspard feignit de ne pouvoir leur répondre. Il prétexta avoir été détenu contre son gré, les yeux constamment bandés. Ce n’était que lorsque Fausto l’avait entrainé au loin pour le mettre à mort qu’il dit avoir pu se libérer. Après s’être contenté du conte des aventures du Français, Gálvez s’apprêta à partir s’occuper de ses affaires.  

- Vous serez notre hôte pour cette nuit. Après, vous me direz comment je peux vous aider à poursuivre votre chemin. Reposez-vous aujourd’hui.  

- Père, pourrais-je lui faire visiter notre ville ?  

A ces mots, le capitaine Monardes se redressa, offusqué.  

- Vous ne pouvez pas vous promener en ville avec un inconnu !  

Ana Clara Gálvez lui renvoya un regard assassin.  

- Arrêtez de me parler comme si je vous appartenais. Ce n’est pas encore le cas, et si vous continuez, ce ne le sera jamais !  

Gálvez s’interposa avec bonne humeur.  

- Capitaine, ayez confiance en ma fille. Son idée est bonne. Et nos affaires l’ennuient. Dans quelques temps, vous échouerez comme moi à lui dicter sa conduite. En attendant, laissez votre fiancée se divertir !  

Monardes fusilla Gaspard du regard. L’avertissement était on ne peut plus clair.  

 

*  

 

Gaspard et Ana Clara passèrent l’après-midi à visiter la ville. Elle lui montra la cathédrale Santa Cruz, l’Oratoire de San Felipe, la plage de la Caleta ou la promenade d’Apodaca. Ils terminèrent la journée par le théâtre romain, le plus vieux monument de cette ville qui comptait parmi les plus anciennes d’Europe. Il était vide et le soleil avait bien entamé sa déclinaison. Ils s’assirent sur les gradins de pierre et reposèrent leurs jambes.  

- Comment trouvez-vous notre ville ?  

- Très belle.  

- Il y a peu encore, elle était infestée de mendiants. Mais les hommes de mon père les ont chassés.  

- J’avais remarqué.  

- Vous désapprouvez ?  

Ana Clara le regardait avec curiosité. Un tel aveuglement faisait presque pitié à Gaspard. Les rues de Cadix étaient propres et nettes, c’était certain. Mais aussi sans animation et sans vie. Il avait remarqué à de multiples reprises la crainte des citadins à l’approche des soldats qui sillonnaient constamment les rues.  

- Je n’ai pas à émettre une telle opinion.  

La jeune femme ne semblait pas satisfaite de sa réponse.  

- Ces rebelles dont mon père parle, vous les avez beaucoup côtoyé ?  

- Quelques jours.  

- Sont-ils aussi abominables qu’on le dit ? Ce sont des monstres, des bêtes sanguinaires. Je ne comprends pas ce qu’ils cherchent.  

- Qu’en dit votre père ?  

- Qu’ils sont des pillards, des assassins. Tous les gens de cette ville en ont peur. C’est pour cela que mon père s’entoure de tous ces soldats, pour nous protéger tous.  

- Vous est-il déjà venu à l’esprit qu’ils poursuivaient un but différent ?  

Ana Clara le regarda avec surprise. Elle commençait à froncer les sourcils, mais une voix s’éleva dans l’arène et l’empêcha de répondre.  

- Ce n’est pas le genre de choses qu’on inculque aux jeunes filles de bonne famille.  

Tous deux se retournèrent. Trixie se tenait sur une marche, au-dessus d’eux. Elle descendit lentement dans leur direction. Ana Clara recula.  

- Qui êtes-vous ?  

- Une bête sanguinaire, si j’ai bien retenu vos propos.  

- Gaspard, faites quelque chose !  

Trixie s’était avancée devant le jeune homme, qui ne bougeait pas.  

- Où est Fausto ?  

- Ils l’ont enfermé dans la citadelle de Santa Catalina.  

- Gaspard, vous la connaissez ?  

La demoiselle était effrayée par cette femme à l’allure guerrière. Elle fixait la dague qu’elle tenait à la main. Trixie s’approcha d’elle et, de sa main libre, la gifla. Ana Clara s’effondra sur le sol.  

- Laisse parler les grandes personnes, fillette. Tu as trop de choses à apprendre.  

Gaspard s’interposa entre les deux femmes et dégaina son épée.  

- Ce n’est pas après elle que tu en as. Laisse-la, elle n’y est pour rien.  

- Je le sais bien. Je ne suis pas du genre à m’en prendre aux innocents, moi. Mais les choses ont changé. Nous sommes trop peu nombreux pour prendre la citadelle d’assaut. J’ai besoin d’une monnaie d’échange.  

- Je ne peux pas te laisser faire.  

- Tu n’as donc pas vu à quoi ressemblait cette ville ? Tu n’es pas décidé à choisir un parti ?  

- Votre combat n’est pas le mien.  

- Tu n’as plus le choix. Plus maintenant.  

Trixie découvrit sa deuxième dague et s’élança sur Gaspard. Les échanges furent rudes et rapides. Cette fois, Gaspard possédait tous ses sens et ripostait bien plus rapidement que lors de leur précédent échange. Trixie se savait inférieure en force et en maniement des armes, mais elle était très agile. De plus, elle utilisait ses jambes pour lui asséner des coups, ce que Gaspard n’avait pas l’habitude de faire. Mais il apprenait vite, aussi il utilisa sa main libre pour frapper Trixie au visage. Machinalement, elle lâcha ses armes pour se rattraper dans sa chute. Elle était étendue sur le sol et Gaspard la tenait en joue de la lame de son épée. Elle le regardait avec colère.  

- Qu’attends-tu ?  

- Je n’ai aucune envie de te tuer.  

- Aucune envie, aucune cause... Rien ne te touche donc, bon sang ? On dirait un mort. Je ne sais pas qui tu as tué, ou qui tu as perdu. Mais tu es en vie, que tu le veuilles ou non !  

Gaspard fut marqué par sa remarque plus qu’il ne l’aurait voulu.  

- Il est temps que tu choisisses ton camp. Ta lame est trop précise, trop précieuse pour être perdue. Elle n’est pas forcément vouée au sang ou au meurtre. Elle peut aussi protéger ceux qui en ont besoin. Moi, j’en ai besoin. Tu sais que je ne cherche que la justice.  

Gaspard baissa son arme. Il était ébranlé. Fatigué, usé. Il se rendait compte que la vie l’épuisait beaucoup plus depuis qu’il la refusait. Peut-être disait-elle vrai. Une ombre, lointaine, celle de l’ancien Gaspard, celui qui avait parcouru les mers pour une cause juste, lui revenait en mémoire. S’il ne se décidait pas à mourir, alors il fallait que quelque chose se passe.  

- Tu ne peux pas l’emmener seule.  

- Mes hommes ne sont pas loin.  

Gaspard lui tendit la main pour se relever.  

- Tu ne lui feras pas de mal.  

- Ce n’est pas mon but. Ida s’occupera d’elle. C’est sa mère après tout.  

Gaspard la regarda avec surprise.  

- Elle est la première femme de Gálvez. Elle s’est enfuie et il l’a répudiée.  

Ils se tournèrent vers Ana Clara, qui reculait de frayeur.  

- Gaspard, non ! Ne les laissez pas… Vous ne pouvez pas !  

- Tant de choses vous échappent, Ana Clara. Laissez-les arriver une fois de plus comme vous l’avez toujours fait. Et bientôt, vous comprendrez où est votre place.  

 

*  

 

Gaspard était seul sur les hauteurs de Cadix. Il n’attendrait pas les autres rebelles. Seul contre une citadelle, il n’avait sans doute aucune chance. Mais il n’avait pas grand-chose à perdre. S’il parvenait à quelque chose, alors ce serait le signe que sa vie n’était pas terminée…  

 

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Un film de Leonard BRUMEL  

 

Avec  

Hugh DARBY - Gaspard  

Katia OBLOMOV - Trixie la Gitane  

Jeff COLLINS - Ignacio Gálvez y Cortés  

Maria LIMA - Ana Clara Gálvez y Cortés  

Javier PEREZ - Fausto le Maure  

Marcus Lee BAMPTON - le capitaine Monardes  

Olivia FALLON - Ida la Duègne  

 

Sur une musique de Joan JODOROWSKY  

BO : https://soundcloud.com/daiwenn/05-carraxe  

Scénario : (2 commentaires)
une superproduction d'action (Aventure) de Leonard Brumel

Hugh Darby

Katia Oblomov

Jeff Collins

Maria Lima
Avec la participation exceptionnelle de Marcus Lee Bampton, Olivia Fallon, Javier Perez
Musique par Joan Jodorowsky
Sorti le 15 janvier 2033 (Semaine 1463)
Entrées : 25 847 319
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