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Les Films du Corbeau présente
Le Réseau Alice

Nous sommes en 1915. Le front de l’Ouest fauche déjà des milliers de vies depuis plusieurs mois. L’armée du Kaiser a franchi ses frontières et ravagé campagnes et villes de Belgique et du Nord de la France. L’année précédente, la ville de Lille, sans protection, a dû faire face aux armées allemandes et a pu combattre vaillamment plusieurs jours durant contre une force largement supérieure en nombre. Dans la ville ravagée par les bombes et les échanges de tirs, des Lilloises se sont mobilisées pour apporter assistance et nourriture aux mourants, blessés et combattants, qu’ils soient alliés ou ennemis. Puis Lille a baissé les armes. Elle est maintenant en territoire occupé, à quelques kilomètres de la ligne de front. Mais du mauvais côté.  

 

*  

 

Quelque part en Belgique.  

 

Le soldat pencha la tête à travers la lucarne. L’air froid lui fouetta le visage, et la fumée de la locomotive l’empêcha de voir grand-chose. Il se détourna rapidement pour rejoindre la porte arrière du dernier wagon. Il se pencha à la balustrade pour observer la voie ferrée et la succession des voitures. Il tendit l’oreille. Le fracas des rails et du four de la locomotive était assourdissant. Il ne distinguait plus cet étrange bruit qu’il lui avait semblé entendre quelques minutes plus tôt. Comme un vrombissement léger qui s’ajoutait au tumulte de la machine. Puis le son se fit à nouveau entendre. Mais il ne venait pas du train. Le soldat leva la tête. Il pâlit.  

- Gefahr ! Gefahr ! Beschützt den Kaiser ! *  

* Alerte ! Alerte ! Protégez le Kaiser !  

L’information filtra à toute vitesse de wagon en wagon, pour rejoindre celui de tête où la mitraillette se mit en position. Elle visa les deux avions britanniques alors que ceux-ci s’apprêtaient à plonger. Ils durent dévier leur trajectoire au dernier moment. Les balles pilonnèrent la toile de l’un d’entre eux, qui se contenta de vriller dangereusement dans les airs au lieu de contourner habilement le tir comme l’autre avait pu le faire. Mais les deux engins purent finir leur demi-tour et repartir à l’assaut. L’avion indemne mitrailla à son tour le wagon mitrailleur pendant que l’autre prit de l’altitude pour se retrouver dans l’axe vertical du train. Alors le pilote lâcha sa bombe. Mais son aile s’effrita davantage et il perdit son maintien. La bombe explosa à quelques mètres des rails, giflant la vitre du Kaiser de déflagrations de terre. La mitraillette avait été mise hors d’usage, mais le train poursuivit sa route sans plus de dommage. Les deux avions rebroussèrent chemin. L’assaut avait échoué.  

 

*  

 

Sa course était plus rapide que celle du char allemand qui longeait lourdement le boulevard de la Gare. Lucien (Gregory Rencoin) courait à perdre haleine, sautant par-dessus les gravas, zigzagant entre soldats allemands et passants lillois qui cohabitaient dans les rues ravagées par les bombes. Au loin, on entendait encore souvent les déflagrations des combats sur la ligne de front. Mais Lille occupée avait retrouvé un semblant de calme. Lucien bouscula un bourgeois qui grommela, puis poursuivit sa course par une ruelle adjacente. Il franchit l’entrée de l’hôpital de fortune, installé dans un ancien bâtiment municipal, sans ralentir. Il longea en courant la salle commune, zyeutant à toute vitesse le visage des infirmières. Il ne prêtait pas attention aux blessés, qu’ils soient Allemands ou prisonniers français. Il gravit l’escalier de pierre et fouilla les salles du 1er étage.  

Donatienne (Elsa Foster) était assise au bord du lit d’un blessé, dont le visage était à moitié recouvert de bandages. Elle le nourrissait à la cuillère. Lucien s’affala, plus qu’il ne s’arrêta, au pied du lit, faisant sauter la cuillère de soupe qui se répandit sur le drap du blessé. Donatienne tourna un regard courroucé vers le jeune garçon.  

- Faut qu’on cause.  

Elle l’ignora et tendit une nouvelle lampée à la bouche du malade.  

- Faut qu’on cause, j’te dis ! Ca urge.  

- Tu vois bien que je suis occupée, Lucien. Va m’attendre dans la salle de garde.  

- Ca urge, que j’te dis !...  

- Va !  

Vexé, Lucien partit reprendre son souffle dans la pièce d’à côté. Donatienne le rejoignit quelques minutes plus tard, réajustant sa coiffe d’infirmière.  

- Ca va mal ! Ca va très mal !  

- Parle moins fort…  

Elle l’entraina au fond de la salle et déposa sur la table en bois une assiette de soupe avec un quignon de pain frais. Lucien s’attabla devant avec gourmandise. Elle s’assit auprès de lui.  

- Parle maintenant. Mais calme-toi.  

La bouche pleine, il poursuivit.  

- C’est la mère Michel. Elle s’est fait gaulée.  

Donatienne se redressa. Effectivement, c’était une mauvaise nouvelle. La « mère Michel », c’était le surnom que Lucien donnait à Mariette Evantard, une paysanne des environs de Maubeuge. Elle était un membre très actif du réseau, et savait beaucoup. Les Allemands avaient donc beaucoup à glaner, et eux beaucoup à perdre. Même si Mariette était une femme de caractère, Donatienne ne pouvait pas parier sur son silence.  

Elle eut peur. Elle devait préserver ce qu’elle pouvait préserver. Demander conseil.  

- J’en parlerai au Docteur. Finis ta soupe et rentre chez toi. Reviens demain, j’aurai du courrier pour toi.  

 

*  

 

Quelques jours plus tard, dans un quartier général allemand de Bruxelles.  

 

- Je suis navré, Oberleutnant, mais je crains que votre permission ne doive attendre.  

Le visage du lieutenant Erich von Kessler (Mathieu Wauthier) resta impassible. Pourtant, sa main s’agrippa au genou de sa jambe raide. Des éclats d’obus avaient déchiré sa jambe gauche pour en faire de la charpie. La lourde opération qui s’en était suivie avait été assez traumatisante, mais l’avait au moins remis sur pied. Même si ce pied ne serait plus jamais aussi gaillard qu’avant. Il avait espéré faire sa convalescence auprès des siens, à Dresde. Mais on avait visiblement d’autres projets pour lui.  

- Votre expérience dans les renseignements nous est trop précieuse en ce moment. Nous avons une mission calme, pas trop exigeante pour votre corps. Vos méninges sont en formes. C’est d’eux dont nous avons besoin.  

Peu savaient que le train du Kaiser avait été bombardé. Même s’il s’en était sorti sans dommage, l’incident était dramatique. Ce déplacement du Kaiser était une information très protégée, mais elle avait pourtant filtré. Une paysanne française interrogée avant d’être exécutée la veille en avait livré une raison. Un réseau de renseignement ennemi. Le réseau « Alice », comme il se faisait appeler. Une femme, nommée Alice Simon, avait mis sur pied un vaste réseau de renseignements civils. D’après la paysanne, une bonne centaine de personnes pouvaient être impliqués dans ce réseau, dans toutes les couches de la société, du Nord de la France jusqu’à la Belgique. Peut-être même les Pays-Bas. Mais personne ne connaissait leur identité, si ce n’est cette Alice Simon. Et les informations glanées étaient livrées à l’armée anglaise.  

Un réseau non militaire. Mené par une femme. Le supérieur de Von Kessler ne pouvait s’empêcher de grimacer de honte en livrant ces informations à son subalterne. D’après les renseignements de cette paysanne, elle servirait dans le corps médical lillois. On ne savait rien de plus sur elle, mais les militaires allemands prenaient maintenant pleinement conscience des ravages que ce réseau avait déjà provoqué dans leurs stratégies guerrières.  

- Ca urge, Kessler. Ca urge.  

 

*  

 

Donatienne avait déjà revêtu son manteau et s’apprêtait à quitter l’hôpital quand le Dr. Gontier (Kiefer Wesley) pénétra dans le vestiaire. Il avait le visage sombre, mais elle ne le remarqua pas. Elle était pressée.  

- J’ai un train dans quelques minutes, Docteur.  

- Ils l’ont pendue.  

Donatienne devint pâle.  

- Qui ça ?  

- La mère Michel.  

Elle ignorait qu’il l’appelait aussi comme ça. La nouvelle lui serra les entrailles. Elle s’assit sur un banc. Elle se sentait tellement coupable. C’était elle qui avait convaincu cette femme de rentrer dans le réseau. Comme elle vendait la plupart de ses produits fermiers à une caserne allemande proche, elle avait pu se rendre très utile.  

Gontier rompit le silence qui s’était installé.  

- Que savait-elle exactement ?  

- Plus que d’autres. Mais pas beaucoup. Aucun d’entre eux ne sait vraiment grand-chose.  

- Et sur vous ?  

- Rien, je crois. Ou à peine. Je ne donne jamais mon nom, en tout cas.  

Gontier la regardait fixer le sol.  

- Prenez du recul. Protégez-vous. Vous avez déjà beaucoup fait pour notre pays. Peut-être serait-il temps…  

Elle l’interrompit d’un regard dur.  

- Je ne peux pas les laisser tomber. Beaucoup d’entre eux sont déjà allés bien trop loin pour reculer. L’une d’entre elle m’attend ce soir, d’ailleurs. Je dois partir.  

- Mademoiselle Monge…  

Mais elle s’éloigna sans se retourner. Il se sentait aussi coupable. C’était lui qui avait lancé Donatienne dans cette histoire. Il ne faisait pas vraiment partie du réseau, mais c’était lui qui l’avait mise en contact avec l’armée britannique et lui avait parlé des camps d’entrainement anglais. Elle avait foncé tête baissée. C’était la femme la plus courageuse qu’il connaissait, assurément. Il espérait seulement que la machine infernale qu’elle avait mise sur pied ne se retournerait pas contre elle.  

 

*  

 

Elle descendit dans la gare de Mons alors que le soleil disparaissait à l’horizon. Elle sortit de la ville et marcha un ou deux kilomètres. Elle longea la caserne allemande et la dépassa bientôt. Le bâtiment qu’elle rejoignait se trouvait encore un peu plus loin, une vieille et vaste maison en bois, camouflée derrière un bosquet. Elle franchit la ligne de garde militaire en montrant ses papiers d’identité. Sa coiffe d’infirmière lui permettait d’éviter de nombreuses inquisitions intempestives. Les soldats qui sortaient de la maison la saluèrent au passage en baissant la tête. Puis elle frappa à la porte où un écriteau indiquait « BMC », Bordel Militaire de Campagne. Les Allemands n’avaient pas changé l’écriteau laissé par les soldats belges à leur départ. La vieille femme qui lui ouvrit la porte la reconnut et la laissa entrer sans un mot.  

 

- Tu en es sûre à quel point ?  

- Sûre, sûre. Ca fait une semaine que je t’attends pour te le dire. Il était saoul comme une vache. Il s’en vantait comme s’il en avait eu l’idée lui-même, le Fridolin.  

Donatienne était toujours surprise de ses expressions si françaises. Zaina (Anusha Sahi) était assise sur la table, les jambes légèrement écartées devant le visage de l’infirmière qui inspectait ses parties intimes. Sous couvert de venir inspecter l’« hygiène » de ces travailleuses, Donatienne pouvait lui rendre visite chaque mois. Débarquée de Pondichéry, Zaina était une beauté exotique très prisée des officiers. Ses informations étaient souvent utiles, mais celle-ci, si elle s’avérait exacte, était sans doute la plus importante que le réseau ait pu obtenir. L’armée allemande préparait une offensive musclée du côté de Verdun, dans le courant de l’année suivante. Donatienne en avait les doigts qui tremblaient.  

- Aïe !  

L’infirmière rangea ses ustensiles et laissa Zaina remettre ses jupons en état.  

- Surveille cette rougeur, veux-tu ? Elle m’inquiète. Et essaie de te reposer d’ici le mois prochain. Tu travailles trop.  

Zaina émit un léger rire cynique.  

- C’est la guerre, ma belle. Les soldats ne se reposent pas.  

- Je ne parle pas que de ce travail-là. Laisse le réseau de côté un moment. Ce que tu m’as dit est énorme. N’attire pas plus l’attention sur toi.  

 

Un officier allemand marchait devant elle en boitant et lui tint la porte lorsqu’elle sortit de la maison. Elle reprit la route de la gare d’un pas agile, dans la campagne assombrie par la nuit. Une voiture rutilante arriva à sa hauteur et freina. Le jeune officier boiteux ouvrit la vitre et s’adressa à elle dans un excellent français.  

- Je peux vous rapprocher, Mademoiselle ?  

Elle n’hésita qu’un court instant.  

- Merci, oui. J’ai peur de manquer le dernier train.  

Elle s’installa à ses côtés à l’arrière de la voiture.  

- Où vous rendez-vous, si ce n’est pas indiscret ?  

- A Lille. J’y suis infirmière.  

- Ca alors ! Nous nous recroiserons donc peut-être bientôt. C’est là que je me rends justement moi aussi.  

Il lui tendit sa main gantée.  

- Erich von Kessler, enchanté.  

 

*  

 

- Je suis très inquiet pour vous, Donatienne. Cet officier dont vous m’avez parlé passe son temps dans les hôpitaux de la ville. Il interroge tout le personnel médical.  

Donatienne tendit une gaze au Dr. Gontier alors que celui-ci lui parlait en découpant la chair du blessé, qui gémissait faiblement. Dans son geste, Gontier salit la main de la jeune femme du sang qui lui recouvrait les mains. Mais Donatienne n’y prêta pas attention. Elle était tendue.  

- Ne vous en faites pas. Je devrais bientôt m’éloigner quelques temps. J’attends seulement que les Français me contactent. J’ai réussi à leur transmettre l’information dont je vous ai parlé. Mais j’ignore pourquoi, ils ne m’ont pas encore répondu.  

A ce moment, la tête de Lucien apparut devant le rideau qui les séparait du reste de la salle commune. A la vue de tout ce sang, ses yeux s’agrandirent.  

- Ouah, c’est bath !  

- Lucien !  

Donatienne voulait l’écarter, mais elle avait les mains prises par les ustensiles de médecine. D’un geste de la tête, Gontier lui fit comprendre qu’il pouvait terminer tout seul. Elle s’éloigna, mais Lucien ne décollait pas ses yeux de la chair sanguinolente.  

- Lucien !  

- Sois pas rosse, tu m’as promis de me laisser regarder.  

- Une autre fois. Viens ici tout de suite !  

Il la suivit à contrecœur dans le vestiaire du personnel. D’un placard, elle sortit une liasse d’enveloppes en papier qu’elle enfourna dans la sacoche du garçon. Elle se pencha vers lui et plongea ses yeux dans les siens.  

- C’est pour M. de Lattre. Tu lui dis bien de les post…  

- ‘‘De les poster séparément dans des boites différentes’’. Oui, je sais, dit-il avec insolence. Mais je vois pas pourquoi j’le ferais pas moi-même !  

- Parce qu’il faut qu’il les lise d’abord. Moins tu en sais…  

- ‘‘Mieux tu te portes’’. Oui, je sais ça aussi. Tu radotes de plus en plus, tu sais !  

- Déguerpis, chenapan. C’est urgent.  

Il était sur le point de disparaître.  

- Lucien…  

- ‘‘Sois prudent’’, oui oui.  

Il disparut. Donatienne ne put s’empêcher de sourire. Il était insolent, bavard, turbulent, pas toujours très fiable, mais Dieu qu’elle avait besoin de lui ! Malgré ses tâches subalternes, il était pour elle l’un des piliers du réseau. Sans sa gouaille et sa bonne humeur constante, elle doutait d’avoir pu continuer seule aussi loin.  

 

Lucien s’était déjà mis à courir, comme à son habitude, avant de sortir de l’hôpital, faisant râler les infirmières. Aussi buta-t-il contre une haute silhouette masculine sur le perron. L’homme le retint par l’épaule. C’était un officier allemand.  

- Dis-donc, je te reconnais toi. Tu es toujours à courir dans les couloirs de cet hôpital.  

Lucien jura en silence. C’était le Fritz boiteux qui posait toutes ces questions gênantes à longueur de journée.  

- Qu’est-ce que tu trouves à faire si souvent dans les environs ?  

- Je visite ma mère malaaade, m’sieur.  

- Ta mère ? Elle est soldat peut-être ?  

« Merde, j’suis trop bête », pensa-t-il.  

- Z’avez raison m’sieur l’Allemand. J’ai pas d’mère. J’ai mes p’tits trafics de gnôle. Un blessé, ça a toujours la force de lever le coude, pas vrai ? Z’allez pas me coincer pour ça, dites ?  

Von Kessler l’inspecta en souriant.  

- Tu connais bien la ville, garçon ?  

- Comme ma poche.  

- Alors tu vas pouvoir me servir de guide.  

- C’est vous l’patron. Quand c’est qu’on se fait ça ?  

- Pourquoi pas maintenant.  

 

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Un film de Jenny ILLSLEY  

Sur un scénario du Corbeau, librement adapté de la vie de Louise de Bettignies  

 

Avec  

Elsa FOSTER - Donatienne Monge/Alice Simon  

Mathieu WAUTHIER - Erich von Kessler  

Gregory RENCOIN - Lucien  

Anusha SAHI - Zaina  

Kiefer WESLEY - le Dr. Gontier  

 

Sur une musique de Pavel RYE  

Scénario : (3 commentaires)
une série A historique de Jenny Illsley

Mathieu Wauthier

Elsa Foster

Gregory Rencoin

Anusha Sahi
Avec la participation exceptionnelle de Kiefer Wesley
Musique par Pavel Rye
Sorti le 08 octobre 2033 (Semaine 1501)
Entrées : 22 948 280
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