1994, quelque part en France.  

- Y a pas moyen ! M’man, s’il te plaiiit…  

- C’est comme ça et pas autrement.  

- Mais c’est un gamin, il va me coller la fiche !  

- Vous passez vos journées dans vos chambres, chacun de votre côté, au lieu de prendre l’air. Vous pouvez bien faire ça ensemble, quand même !  

- Je serai avec mes potes, il va être dans mes pattes !  

- Ca suffit, c’est à prendre ou à laisser. Tu y vas avec ton frère, ou vous restez là tous les deux !  

- Mais mamaaaan !  

Benjamin (Gregory Rencoin) entend cette discussion par la porte de sa chambre entrouverte plus qu’il ne l’écoute. Assis sur la moquette, il manipule une manette grise avec acharnement. Sur l’écran de la télévision, un plombier en salopette rouge canarde un serpent à trois têtes à l’aide de boulets de dynamite. Sur les murs de la chambre, des posters d’Antoine Rigaudeau et d’un Andre Agassi chevelu voisinent avec ceux de Gabriella Sabatini sous toutes les coutures.  

La fenêtre de sa chambre est ouverte sur un jardin ensoleillé. De l’autre côté du jardin, une moissonneuse-batteuse sillonne un champ de blé.  

*********** LE BAISER ***************  

BO : https://www.youtube.com/watch?v=HWjCStB6k4o  

Le soleil a poursuivi sa course et décline lentement. Benjamin traverse le village en clopinant sans entrain derrière sa sœur. Elle marche à plus vive allure et ne l’attend pas.  

- J’te préviens, tu vis ta vie, tu viens pas trainer dans mes pattes. Et si t’as envie de rentrer, surtout te gênes pas.  

Il n’a pas plus envie de la suivre qu’elle de le trainer derrière elle. Ils parviennent jusqu’à la maison de Margot et ils perçoivent déjà la musique qui s’en échappe. La sœur de Benjamin sonne à la porte d’entrée. Une jeune fille de 17 ans ouvre la porte et crie de plaisir en découvrant son amie. C’est Margot (Cassie Dickinson). Elle sourit à Benjamin avant d’entrainer son amie à l’intérieur de la maison. La porte est laissée ouverte, le jeune garçon se décide à entrer.  

La maison des parents de Margot est grande et bien entretenue. Les murs sont blancs, la décoration est épurée. De grandes baies vitrées donnent sur une immense terrasse où trône la piscine. Benjamin est impressionné : cette maison détonne parmi les habituelles maisons pavillonnaires qu’il a l’habitude de fréquenter dans le village.  

Des adolescents sont regroupés autour de la platine de disques, d’autres se sont servis un verre et discutent autour de la table de la terrasse. Il connaît la plupart d’entre eux, car ils sont du village, ou ont fréquenté son collège. Mais ils ont tous 16 ou 17 ans, ils ont rejoint la ville voisine pour entrer au lycée. Et Benjamin, du haut de ses 13 ans, ne leur a jamais vraiment parlé. Il longe les murs sans savoir quoi faire de sa peau.  

Une jeune fille à queue de cheval (Beverly Gilstrap) s’approche de lui. Elle ressemble à Margot, mais a le même âge que Benjamin.  

- Salut ! Margot m’a dit que tu viendrais.  

- Salut Lucie.  

Elle lui sourit. Il ne sait pas bien quoi lui dire. Elle non plus.  

- Tu veux boire quelque chose ?  

- Ouais.  

Elle l’entraine dehors.  

- Un Coca ?  

- Ouais.  

Il reconnaît quelques visages qui le saluent d’un signe de tête, des garçons plus âgés qui jouent également dans le club de foot du village. Eux boivent de la bière. Lucie rembraye.  

- Tu sais dans quelle classe tu seras l’année prochaine ?  

- La 4B.  

- Moi, la D. Ils avaient Bertonnaud en prof principal cette année. J’espère qu’on l’aura pas ! Il est naze…  

- Ouais.  

Il aimerait bien s’approcher des gars du foot. Discuter avec eux. Rester auprès de Lucie le gêne un peu. Elle a toujours été sympa, bien qu’un peu coincée au collège, mais il n’a pas très envie de rester collé à elle toute la soirée et être catalogués tous les deux comme les gamins de la soirée. Lucie peine à maintenir la discussion, aussi abandonne-t-elle.  

- On a mis des pizzas au four, je vais voir où elles en sont. A tout à l’heure.  

- Ouais.  

Benjamin traine dans le jardin, au milieu des filles et des garçons plus âgés qui se retrouvent en ce milieu de vacances d’été. Soudain, une voix s’élève derrière lui.  

- Eh, bravo Benjy ! Il parait que vous avez fait 4-0 contre Beaumont dimanche !  

C’est Vincent Maréchal (Thor Degast), le fils du Maire de la commune. Il a 18 ans et joue chez les Espoirs du club local. Benjamin s’approche de lui. Vincent le désigne à ses amis.  

- C’est Benjy, des Cadets. Ils ont gagné le tournoi départemental l’an dernier.  

*  

BO : https://www.youtube.com/watch?v=OYpUdiiNNmA  

La nuit est tombée et la fête bat son plein. Dans le salon, les filles se sont emparées de la piste de danse. Sur la terrasse, les garçons parlent, crient et rient, à peu près tous une bière à la main, ou un verre de whisky-coca pour les plus téméraires.  

Benjamin parle de plus en plus fort. Vincent et ses amis rient en l’écoutant. Ils l’ont mis à la bière depuis un moment, et l’effet escompté ne s’est pas fait longtemps attendre. Benjamin se sent plus intéressant que jamais alors qu’il braille ses meilleures histoires. Qu’on rit de voir le jeunot tituber et mélanger les mots plus que pour son humour ne lui traverse pas l’esprit un instant. Fier de son importance, il s’éloigne pour rejoindre l’intérieur de la maison et, avec peine, trouve les WC pour se vider la vessie. Au retour, le carrelage lui semble une vague mouvante, il a du mal à poser un pied devant l’autre. Il s’assied sur le canapé. Sa tête tourne à toute vitesse et il a l’impression que le canapé essaie de l’avaler. Devant lui, Margot danse en compagnie de ses amies. Il a toujours pensé qu’elle était la plus belle fille du village. Elle se déhanche et ses cheveux longs et lisses lui fouettent le visage. Quand elle lève les bras, son débardeur remonte et dévoile la peau de son ventre. Il sourit béatement.  

Lucie vient s’asseoir à côté de lui.  

- Ca va Benjamin ?  

- Ouaiiiiis.  

Il ne lui vient pas à l’idée de tourner la tête vers elle.  

- Je voulais te demander un truc : t’es bien dans la classe de Kévin ? Il est sortit avec ma copine Laura, mais ils ont cassé. Tu sais si il est avec quelqu’un d’autre ? Elle voudrait savoir.  

- Ouaiiiiis.  

Elle parle trop vite, il n’arrive pas vraiment à l’écouter. Et puis Margot n’arrête pas de lever les bras. Elle s’est tournée vers lui et il voit maintenant sa poitrine qui balance… Il sent que son estomac commence à bouger tout seul. Il s’y passe des choses pas normales…  

- T’es sur que ça va ? Tu fais une drôle de tête.  

- Ouaiiiis… Non… Chais pas, chuis pas très bien, là…  

*  

Benjamin est allongé sur un lit blanc, dans une chambre qu’il ne connaît pas. La porte entrouverte laisse filtrer la musique du salon. La porte-fenêtre qui donne sur le jardin renvoie des reflets de lumière bleue qui dansent sur les murs. Tant que Benjamin reste immobile, le lit tourne moins. Il oscille entre sommeil et désir de rejoindre la fête, mais ses membres ont décidé de le laisser cloué là. Ses yeux sont embués et le mouvement des lumières sur le plafond est complètement flou.  

La porte s’ouvre et une silhouette pénètre dans la pièce. Benjamin la regarde, mais il la distingue mal car la lumière est dans son dos. Il s’agit d’une fille, ses cheveux longs l’attestent. C’est à peu près tout ce qu’il sait. Il voudrait parler, mais il a l’impression que s’il essaie, quelque chose d’autre que des mots pourraient sortir de sa bouche. L’inconnue s’assied sur le lit. Elle n’est pour lui qu’une silhouette obscure. Elle ne dit rien. Elle se penche vers lui et l’embrasse sur les lèvres. Elle se redresse. Benjamin n’esquisse pas un mouvement, il la regarde en silence. Alors elle se penche à nouveau et l’embrasse plus longtemps. Benjamin parvient à hisser sa main pour lui caresser le dos. Elle pose à son tour ses mains sur son torse, lui caresse les épaules. Benjamin promène sa main dans sa chevelure douce. Elle ondule sa langue sur la sienne. De longues minutes, lui semble-t-il.  

Puis elle se redresse et s’éloigne. Benjamin regarde la porte se refermer, et sombre dans un sommeil sans rêve.  

*  

Un rayon de soleil filtre à travers les rideaux et le réveille. Il cogne dans son crâne. Benjamin se redresse et se rend compte que son crâne continue de cogner tout seul. Sa cervelle tambourine jusque dans ses tempes. Il sort difficilement de la chambre. Il a l’impression que tous ses membres ont du mal à se réveiller. La fête a laissé des traces dans toutes les pièces de la maison : gobelets, cannettes vides, chips écrasées…  

Benjamin rejoint la terrasse où un copieux petit déjeuner a été installé sur la table de jardin. Quelques fêtards de la veille se sont réunis autour. Lorsqu’il apparaît, Vincent lève les bras et l’accueille avec bonne humeur.  

- Aloooors ! Benjy, le roi de la soirée ! Mal aux cheveux ce matin ?  

Ils rient de bon cœur. Benjamin esquisse un timide sourire. Autour de la table, il y a sa sœur, Lucie et Margot parmi d’autres. Sa sœur le regarde avec dépit, bien qu’un sourire aux lèvres.  

- Non mais matez-moi la gueule de fion. J’y crois pas Maréchal, t’as filé sa première cuite à mon p’tit frère !  

- Eh ouais, j’ai fait de lui un homme !  

On lui fait une place et il s’assied au milieu des autres. La conversation reprend et on le laisse revenir à la vie. Au bout de la table, Lucie lui adresse un sourire amusé.  

C’est en regardant les cheveux de Margot, assise en face de lui, que le souvenir de l’événement de la nuit lui revient en mémoire. Une fille est venue dans sa chambre et lui a donné son premier vrai baiser. Un baiser long et intense… Il a l’impression d’en avoir gardé le goût en bouche, de sentir la texture de ses cheveux et de sa peau au bout de ses doigts. Seulement, il ne sait pas de qui il s’agissait…  

Il balaie du regard les différentes filles encore présentes. Se remémore celles qu’il a pu voir au cours de la soirée. Et la seule conclusion qui tienne, c’est que cette fille ne pouvait être que Margot ! Il n’ose pas y croire. Pourtant, elle seule arbore une chevelure telle que celle qui a glissé entre ses doigts !  

Elle ne le regarde pas, elle rit des plaisanteries de Vincent Maréchal. Il attend un petit signe de sa part, mais il ne vient jamais. Alors il comprend qu’elle ne souhaite pas que les autres sachent. C’est leur baiser. Leur histoire secrète…  

*  

Benjamin est attifé d’un costume et d’un bonnet vert. Sur son chemin, il pourfend sans difficulté des araignées géantes et bondissantes de son épée magique, des squelettes et des cloches à têtes de chat. Des lourdauds lanceurs de bommerangs. Des plantes carnivores à quatre têtes cracheuses de boules de feu. Et lorsqu’il les a tous vaincu, il parvient jusqu’à Margot, endormie sur une stèle dans sa robe de princesse. Il la réveille d’un long baiser tel qu’ils en ont échangé dans la chambre bleue. Et elle lui sourit. Et il se réveille à son tour, devant le poster d’Antoine Rigaudeau…  

*  

Benjamin a rejoint quelques uns de ses copains sur le terrain de basket du village. Le soleil implacable fait ressortir les odeurs de bitume du terrain. Benjamin ne joue pas et reste sur son vélo, à discuter avec Matthias. Il lui raconte l’épisode des pommes volantes que l’émission Mystère a diffusé la veille…  

Sur la route, un groupe d’adolescents apparaît au guidon de leur vélo. Ils sont près d’une dizaine, et Benjamin reconnaît la plupart de leurs visages. Ils étaient à la fête. Et parmi eux, Margot pédale avec ses cheveux au vent. Il crève d’envie de les rejoindre, mais il n’ose pas. Lucie, qui est parmi eux, l’aperçoit et lui fait signe de les rejoindre. Il saute sur l’occasion, plantant là Matthias qui n’avait pas fini de se foutre de la gueule de son histoire. Il rattrape Lucie, qui lui propose de les suivre dans leur excursion. Ils vont se baigner dans la rivière, près du barrage de la ferme des Grands Fouillus.  

BO : https://www.youtube.com/watch?v=aCm7K9j6O00  

Ils ont laissé les vélos posés contre le talus et ont escaladé la barrière de fil de fer pour traverser le champ et rejoindre le bord de la rivière. Dans les hautes herbes, les garçons, Vincent Maréchal en tête, ont enlevé leur T-shirt et ont sauté dans l’eau. Margot et quelques unes de ses amies se sont mises en maillot de bain et sont restées allongées dans l’herbe.  

Benjamin n’a pas pris de maillot, aussi reste-t-il auprès des filles, assis à côté de Lucie. Il regarde Margot, qui lui a sourit, mais ne lui a pas accordé plus d’attention que ça. Il ne comprend pas. Il est allé trainer du côté de chez elle après cette fameuse soirée, la plus belle de toute sa vie, mais elle ne lui a jamais fait signe. Maintenant, elle semble l’ignorer complètement. Il comprend qu’elle souhaite garder leur secret intact, mais il trouve qu’elle y va un peu fort.  

Lucie est vraiment une fille adorable. Elle voit bien qu’il est mal à l’aise au milieu de ce groupe d’amis plus âgés qu’eux, et lui tient compagnie. Elle tente d’animer la discussion, mais Benjamin n’arrive pas à se concentrer sur ce qu’elle dit. Il ne peut quitter Margot du regard. Il se sent frustré. Il n’attend que le moment où il réussirait à accrocher son regard.  

Les garçons sont sortis de l’eau et ont éclaboussé les filles. Cris, rigolades, etc. Benjamin n’est pas dans l’ambiance. Des garçons se sont rapprochés de certaines filles, quelques couples se parlent plus doucement. Margot discute avec sa copine. On se dore la pilule. Vincent s’est assit à côté de Margot. Il lui parle, et Benjamin n’entend pas ce qu’ils se disent. Il aimerait bien se rapprocher, mais ce ne serait pas discret. Alors il tente de foudroyer Vincent par l’intensité des éclairs qui lui sortent des yeux…  

Margot et Vincent se lèvent et s’éloignent côte à côte en direction des arbres. Ils disparaissent. Benjamin ne peut plus se contenir et se décide à les suivre. Lucie l’interroge :  

- Où vas-tu ?  

- T’occupes. Pisser.  

Il disparaît derrière un fourré et aperçoit Vincent, les lèvres collées sur celles de Margot. Son ventre se tord de douleur.  

Lorsqu’il a rejoint le groupe, Lucie lui a renvoyé un drôle de regard. Comme s’il l’avait vexée. Parce qu’il l’avait envoyée bouler ? Franchement, ses soucis à lui étaient autrement plus importants. Elle ne lui a pas adressé la parole sur le chemin du retour. Tant mieux, car son attention était concentrée ailleurs. Sur Margot et Vincent, qui pédalaient maintenant l’un près de l’autre.  

Margot se met en danseuse et accélère pour devancer le groupe. Vincent ne tente pas de la suivre. C’est le moment qu’espérait Benjamin. Il accélère à son tour et tente de rattraper Margot. Mais elle est très rapide. Il la perd de vue dans une côte. Puis il rattrape son vélo, qu’elle a posé sur le bas-côté. Margot s’est éloignée sur un talus. Il pose son vélo à son tour et la rejoint. Elle se retourne et lui sourit.  

- J’adore cet endroit.  

Devant eux, la vallée descend et offre un panorama vivifiant de champs luxuriants, de haies verdoyantes et de sous-bois touffus.  

- Margot.  

Elle ne l’a pas entendu.  

- Margot !  

Elle le regarde et l’interroge du regard. Il ne sait pas quoi lui dire. Une sonnette retentit. Les autres sont sur la route et les attendent. Margot s’apprête à les rejoindre. Benjamin lui saisit le bras, un peu trop fort.  

- Aïe ! Qu’est-ce qui te prend ?  

Elle s’éloigne. Benjamin reste figé. Elle l’a regardé comme s’il était débile. A quel jeu joue-t-elle putain ? Il ne comprend pas. Il est en colère. Ce soir, il ira frapper à la fenêtre de sa chambre. S’il grimpe sur l’arbre du jardin, il peut attirer son attention sans être repéré du reste de la maison. Elle n’aura pas le choix, elle ouvrira forcément sa fenêtre...  

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Un film d’Andreas ADLER  

Sur un scénario du Corbeau, inspiré de la nouvelle Conte crépusculaire de Stefan Zweig  

Avec  

Gregory RENCOIN - Benjamin  

Cassie DICKINSON - Margot  

Beverly GILSTRAP - Lucie  

Thor DEGAST - Vincent Maréchal  

Sur une musique de Jessica BERRY  

BO 1 : : https://www.youtube.com/watch?v=HWjCStB6k4o  

BO 2 : https://www.youtube.com/watch?v=OYpUdiiNNmA  

BO 3 : https://www.youtube.com/watch?v=aCm7K9j6O00