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Black Box Recorder présente
Blackness Street

Elle gisait sur le dos dans le ruisseau de Blackness Street, à huit heures quarante-cinq, un vendredi soir. Ouvrant les yeux, elle tenta de se redresser pour gémir aussitôt et tomba en arrière. Une douleur sourde envahit son bras droit. La petite chinoise se demanda ce qu’elle avait de cassé. Alors une autre souffrance s’empara d’elle. Elle espéra que l’agonie serait de courte durée et que bientôt elle serait morte.  

 

L’idée avait à peine germé dans son cerveau qu’elle entendit des pas sur le bitume. Ils se rapprochaient à intervalle régulière. Machinalement, elle fit un effort pour relever la tête et l’aperçu. L’homme ne la regardait pas. Son regard semblait fixer un point invisible dans l’obscurité de l’horizon. La petite chinoise s’appuya sur les coudes. Ce mouvement attira le regard de l’homme. Maculé de cambouis, le visage était inexpressif. Elle comprit que l’homme ne viendrait pas à son secours. Elle espérait ne pas se tromper. D’un rictus qui déforma son visage tuméfié, elle semblait dire : Vous avez raison, continuez votre route, laissez-moi mourir.  

 

Chester avait dépassé le corps de la jeune femme. Pourtant, il revint sur ses pas. Il s’accroupit et contempla la petite chinoise. Il ramassa le soulier blanc, maculé de boues, échoué près du caniveau. Chester prit un mouchoir de sa poche et commença à l’épousseter. Concentré sur sa tâche, il tentait de ne pas penser à la suite. Lorsqu’il croisa le regard de la petite chinoise, Chester comprit enfin ce qu’il essayait de refouler depuis si longtemps. Chester avait retrouvé son humanité.  

 

 

 

Chester ne comprenait pas ce qui l’avait poussé à faire cela. Le regard plein de dignité de la petite chinoise n’expliquait pas tout. Ni même son orgueil lorsqu’elle ravala ses larmes quand il l’aida à se relever. La réponse n’allait pas de soi. Chester vivait depuis toujours dans la Rue. Il en connaissait les codes. Il savait que la survie des gens comme lui tenait au respect d’un principe simple. Ne pas se mêler des affaires de la Rue. La semaine dernière, il avait poursuivi son chemin alors que l’on passait à tabac un type qui ne remboursait pas ses dettes de jeux. Chester n’entendait rien non plus chez Lundy lorsqu’on évoquait les pourcentages liés au trafic d’alcool de contrebande. Il n’avait rien dit lorsqu’on était venu l’interroger sur la dizaine de prostituées égorgées et qui s’étaient vidées de leur sang dans le caniveau de la Rue. En face de chez lui. Les sbires de di Proglio avait fait le tour des clapiers pour punir celles qui en mettaient à gauche. Lame à la main.  

 

La Rue ressemblait à un serpent. Sa tête débutait aux hangars du chantier naval qui longeait le Delaware, puis le corps sinuait, traversait la Septième Avenue, inclinait encore vers l’Est avant de fendre la Sixième, puis redevenait rectiligne jusqu’à la Troisième. Sa queue se fracassait contre les terrains vagues qui jouxtaient le complexe sidérurgique. Chester continuait à descendre la Rue, sur le pavage brillant du reptile. La Rue suintait d’urine, de mauvais vin répandu et de déjections diverses. Les immeubles délabrés alternaient avec de chétives cabanes en bois. Après avoir traversé la Deuxième, juste après le bordel de di Proglio, Chester aperçu l’enseigne lumineuse de chez Lundy. En face, un bloc de trois étages menaçait de s’effondrer. Etre arrivé chez lui ne le soulagea pas pour autant.  

 

A grandes enjambées lentes, Chester parvint au second étage. Mildred était assise sur le pas de la porte, une bouteille de Whisky vide sur les genoux. Sa femme ne semblait pourtant pas l’avoir attendu. Son regard était vitreux et Mildred ne réagit pas lorsqu’il tourna la poignée de la porte. Chester ne soupira même pas en constatant le spectacle à l’intérieur. La pièce principale était sens dessus dessous. Sur la table, un cendrier avait pris feu. Il y versa une tasse de café froide qui mit un terme au début d’incendie. Puis, Chester se dirigea vers la fenêtre pour aérer. Alors, il la vit. La petite chinoise avançait avec peine, chancelante, courbée en deux. Lorsqu’elle s’effondra au milieu de la Rue. Les quatre mains qui la relevèrent n’étaient pourtant pas charitables. C’étaient celles de deux des sbires de di Proglio qui l’embarquèrent chez Lundy.  

 

 

 

Chester poussa le battant et pénétra chez Lundy. Devant le comptoir, sur deux ou trois rangs, se pressait la cohorte du vendredi soir. La plupart était en bleus de travail, aucune main ne tremblait en tenant un verre de whisky ou de bière. Chester joua des coudes pour arriver au comptoir et rentrer dans le champ de vision de Mandy. Il fallut moins d’une minute pour qu’une chope atterrisse entre ses mains. Il se hissa sur un tabouret miraculeusement libre et contempla la salle. La salle était grande, haute de plafond. Après le no man’s land, quatre rangées de table étaient disposées. Plus loin, un brouillard de fumée dissimulait le pianiste et l’entrée de l’arrière-salle. Chester regardait dans le vague. Ses pas avaient précédé ses pensées. Maintenant, c’était trop tard. Il savait qu’on l’observait. Il savait aussi qu’il était inutile de repousser plus longtemps l’affrontement.  

 

Pourtant, Chester continua à écluser au comptoir pendant une bonne heure. Lorsqu’il sentit qu’il avait son compte, ses jambes flageolantes le portèrent jusqu’aux toilettes qui jouxtaient la cuisine. Après s’être soulagé, Chester savonna méticuleusement ses mains et son visage couverts de cambouis. Il se séchait quand la porte s’ouvrit, et un énorme type entra dans les toilettes. Le gigantisme du type s’étendait davantage en largeur qu’en hauteur. Il ne restait plus grand-chose de l’individu qui était le roi du ring il y a une dizaine d’années. Giuseppe di Proglio réussissait pourtant très bien dans la Rue aujourd’hui. Grâce à la peur. Mais Chester n’avait plus peur. Il n’était plus résigné. Il affronta le regard de di Proglio.  

 

Alors, seulement, il comprit que l’affaire de la petite chinoise était la sienne.

Scénario : (3 commentaires)
une série Z dramatique de Sheinaz El Ramani

Patrick Loro

Jocelyn Gunning
Sorti le 11 mars 2034 (Semaine 1523)
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