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Black Box Recorder présente
Dernière Samba à Sao Paulo

Edith (Vicky Gershwin) est entrée une seconde fois dans ma vie un vendredi soir, vers onze heures. Je (Marc Mesnil) venais juste de me remettre au travail en retouchant une dernière fois l’article que je devais livrer le lendemain à Libération sur l’affaire des HLM de Paris. Rien de vraiment folichon puisque le rédacteur en chef m’avait demandé un article factuel sur la chronologie des évènements. Il devait juger que même le lecteur attentif se perdait dans les méandres d’une affaire politico-financière sur fond de rivalités entre les écuries Chirac et Balladur pour les présidentielles à venir. Résumer neuf mois d’une affaire qui avait commencé par une dénonciation du fisc sur les fausses factures émises par la SAR, dirigée par Francis Poullain, afin d’obtenir les marchés HLM des Hauts-de-Seine et de Paris et qui se poursuivait par la mise en examen de Jean-Claude Méry, collecteur de fonds pour le financement illégal du RPR, en 5 000 signes n’avait rien d’insurmontable. C’était le genre de piges qui me permettait de maintenir la tête hors de l’eau, de payer mon loyer, mes traites et la pension alimentaire. J’en étais là quand la sonnette vint perturber mes réflexions.  

Normalement, dans ce genre de situation, je fais le mort. Au bout de deux ou trois tentatives, la personne derrière la porte se lasse. Mais là, la sonnerie insistait. Elle s’acharnait. Je n’eus d’autre choix que de capituler. De mauvaise grâce, je me levais et je me dirigeais vers la porte pour ouvrir.  

 

C’était une femme en imperméable, un foulard dissimulant ses cheveux, des lunettes de soleil masquant son regard. On aurait dit la copie conforme de Grace Kelly dans Le crime était presque parfait d’Alfred Hitchcock. Mais elle sortait de l’ascenseur et non d’un film, nous étions au printemps, il ne pleuvait pas, et la mode n'était plus au fichu noué sous le menton. Je la regardais avec circonscription et redoutais une vendeuse d’encyclopédies ou une disciple d’une Eglise quelconque. Bref, je m’apprêtais à refermer la porte avant qu’elle ne commença son laïus. Ce fut à ce moment précis qu’elle ôta son foulard libérant ses cheveux bruns, puis retira ses lunettes.  

 

Edith n’avait pas changé. Je ne l’avais pas revu depuis presque vingt ans mais Edith se comportait comme si elle m’avait quitté une heure plus tôt. Edith avait toujours ce sourire ironique, cette assurance chevillée au corps. Il en fallait pour se pointer chez un type à qui on n’avait pas donné le moindre signe de vie depuis le départ avec l’autre. Du culot aussi, car l’autre était forcément l’objet de sa visite. Cela n’avait pas fait la une des journaux, mais tous les médias avaient parlé de la fuite de Michel Garraud. Je ne fus même pas surpris lorsqu’Edith, après un couplet sur les principes, l’amitié et la confiance, me demanda le service suivant :  

- Aller à Sao Paulo et rencontrer Michel.  

 

 

 

Vingt ans plus tôt.  

 

L’amphi était blindé. Un petit con s’écoutait pérorer. Lunettes rondes en métal à la Lénine, barbiche à la Trotski, pardessus en cuir comme en portait l’OS de chez Renault, grolle style prêtre-ouvrier, ce fils à papa découvrait la lutte des classes et devait se dire que c’était un bon plan de carrière. La panoplie était parfaite, jusqu’à la langue de bois mao-stalinienne. Il expliquait doctement comment les paysans d’un trou perdu au fin fond de la Chine Rouge avaient réinventé l’extraction de la fonte grâce à la pensée du président Mao. Soudain, une nana débarqua sur l’estrade, lui coupa le sifflet et hurla que cette histoire d’extraction de la fonte, elle s’en contrefoutait, que cela occultait la cause des femmes. Il fallait la voir, ses yeux lançant des éclairs, ses mèches brunes frémissant d’indignation. Assis à côté de moi, Michel était tout autant que moi sous son charme. Pourtant, à la fin du débat, c’est moi qui était allé trouver l’oratrice féministe pour lui dire que je partageais à quatre-vingt-dix-neuf pour cent ses vues et que ce ne serait pas idiot de continuer de débattre du un pour cent restant dans un troquet.  

 

Il faut croire que j’ai passé avec succès l’interrogatoire dans ce café du quartier Latin puisque, deux semaines plus tard, après avoir consciencieusement parcouru les étapes de la carte romantique de l’époque – manifs, collages d’affiches, réunions, distributions de tracts à la sortie des usines, etc. -, on s’est retrouvé dans le même lit. Ce fut le prélude de ma seule histoire d’amour passionnelle. J’étais fou amoureux d’Edith. Elle aussi, sans doute, à sa façon. Ça n’a pourtant duré que six mois.  

 

Je n’ai jamais compris pourquoi elle a choisi Michel. Le côté rassurant peut-être… Michel était un leader en pleine ascension. Déjà à l’époque, Michel était d’un réalisme froid, excellent manœuvrier au sein de l’Unef-Id. Avec cynisme, se plaçant toujours du bon côté, il bâtissait son avenir. A l’aube de l’été 1975, j’ai décidé de digérer cette double rupture en partant pour le Larzac. C’est là-bas que j’ai commencé ma carrière de journaliste. Par la suite, j’ai pu suivre la carrière fulgurante de Michel Garraud, mon ancien meilleur ami de mes années gauchistes : député en 1981, évoluant rapidement dans les premiers cercles des cabinets ministériels de la Mitterrandie, jusqu’à la consécration en devenant secrétaire d’Etat chargé du commerce extérieur dans le gouvernement de Pierre Mauroy III lors du tournant de la rigueur 1983-1984, recyclé après la débâcle aux législatives de 1993 comme sénateur.  

 

 

 

Dans le métro qui me ramenait chez moi, je ne pouvais que constater qu’Edith avait réfléchi à tous les détails avant de savoir si j’allais accepter la proposition. Le côté pratique des femmes. Mais sans doute aurait-elle jugé cette pensée sexiste. Edith m’avait affirmé être surveillée. Elle m’avait donc donné une adresse et un téléphone d’une amie que je devais contacter lorsque j’aurais pris ma décision afin d’obtenir les dernières instructions. Justement, j’en revenais. Un peu plus lourd qu’à l’aller puisque, dans la poche intérieur de mon blouson, se trouvait une enveloppe kraft. Elle contenait une liasse de billets et un numéro de téléphone qui me serait utile à Sao Paulo.  

 

En fait, je n’avais pas hésité un seul instant. Le sort de Michel Garraud, politicien en fuite, symbole des années quatre-vingt, les années frics, m’était indifférent. Même le scoop fabuleux sur lequel pouvait déboucher cette affaire et pouvant faire décoller ma carrière professionnelle me laissait de marbre. Par contre, Edith occupait une place trop importante dans mon univers intérieur pour lui refuser quoi que ce soit.  

 

Michel Garraud ne craignait pas d’être arrêté ni extradé. Michel Garraud avait peur d’être tué. Il avait donc décidé de rendre public un certain nombre de documents dont la publication pourrait gêner beaucoup de monde. J’étais donc l’intermédiaire qui, en allant le rencontrer à Sao Paulo, permettrait de les récupérer. Avant sa fuite, Michel Garraud avait affirmé ne pas vouloir tomber seul. Il avait été mis en examen pour des commissions occultes sur des ventes d’armes en Afrique et en Amérique Latine. Il avait tout d’abord paradé en multipliant les démentis mais la machine judiciaire avançait, rythmée par de multiples révélations dans la presse. De son goût immodéré pour les montres de luxe, des collaborateurs payés au black, les travaux de sa maison secondaire effectués grâce à sa réserve parlementaire…  

 

En descendant à la station du Châtelet, je me demandais quand même si Edith n’exagérait pas. Si elle n’avait pas inventé cette histoire de surveillance que pour me convaincre des risques encourus par Michel. La question était aussi de savoir si les secrets qu’il possédait pouvaient justifier qu’on surveille son épouse. Et pourtant, sur le tapis roulant du grand couloir de la station de métro, j’avais moi-même l’impression qu’un type me filait. Les gens qui empruntent ce genre de tapis se comportent de trois manières différentes. Il y a ceux qui, pressés, continuent à marcher sur la file de gauche ; ceux qui marchent lentement, sur la file de droite, pour laisser le passage ; et enfin ceux qui s’arrêtent, sur la file de droite. Moi, j’avais commencé par marcher lentement, puis je m’étais arrêté pour regarder une publicité quelconque vantant un parfum. C’est là que je m’étais retourné et que mon attention avait été attiré par cet individu (Aymeric Cruz) qui lui aussi s’était immobilisé. Lorsque j’avais repris ma marche, d’un pas rapide, sur la file de gauche, il m’avait imité. Ce n’était pas une preuve formelle, certes, même si nous nous étions trouvés dans le même wagon de métro, deux heures plus tôt, lorsque je me rendais chez l’amie d’Edith.  

 

 

 

Deux jours plus tard, dans le vol qui m’emmenait à Sao Paulo, le doute n’était plus permis. Le type était là, assis deux rangs derrière moi. Mon regard avait croisé le sien lorsque je m’étais rendu aux toilettes. Alors que l’Airbus entamait sa descente, j’élaborais une stratégie. N’ayant pas de bagages à récupérer, je comptais bien le semer en espérant que le guichet de la police des frontières ne me retarderait pas. A la sortie de l’aéroport de Guarulhos, je m’engouffrais dans un taxi qui me mena directement à un hôtel de seconde zone du centre-ville. Lorsque je franchis la porte de l’hôtel O viajante, je compris que mon initiative avait été veine. Le type était déjà installé côté bar, lisant l’édition du jour du Folha de S. Paulo. Après avoir réglé les détails à la réception, récupéré les clés, je vins m’asseoir en face de lui. De taille moyenne, il avait la trentaine sportive. Ce n’était cependant pas cela qui allait m’impressionner. Essayant de pousser l’avantage, je lançais la conversation :  

- Il me semble que nous nous sommes déjà vus.  

 

Le type disait s’appeler Marc Passereau. Il affirmait travailler pour une agence de sécurité et qu’un de leur client les avait contacté. Ce dernier voulait récupérer des documents que possédait Michel Garraud. Ou plutôt les acheter. La somme proposée était d’ailleurs des plus conséquentes. Je n’ai pu nier bien longtemps être mêlé à cette histoire. Passereau et ceux qui l’employaient connaissaient à la perfection mon agenda de ces derniers jours, le niveau de mon compte en banque et le gros de ma biographie. Dans la salle d’attente d’un bureau d’avocats du quartier de la Liberdade, je repensais à cette discussion au bar de l’hôtel O viajante, qui avait eu lieu quelques heures auparavant, et constatais que je m’étais fourré dans une histoire qui me dépassait déjà. Et cela semblait continuer. Le numéro de téléphone laissé par Edith dans l’enveloppe kraft, seul moyen pour joindre Michel, m’avait conduit ici. Il correspondait au portable personnel de Mei Dejiang (Chao Hành), avocate d’affaires. Cette dernière me reçut avec une bonne heure de retard sur l’horaire qui avait été fixé lorsque je l’avais appelé quelques heures plus tôt, après mon entrevue avec Passereau. A peine fus-je entré dans son bureau, qu’elle avait Michel Garraud au téléphone. Un rendez-vous avec mon ancien meilleur ami des années Fac fut fixé le lendemain, à onze heures, dans un salon de thé de l’Avenida Paulista.  

 

A mon retour à l’Hôtel O viajante, le réceptionniste m’apprit que deux personnes avaient cherché à me joindre. Il me tendit un bristol sur lequel était inscrit deux numéros et l’identité des deux correspondants. L’un deux était un dénommé François Lebrun, conseiller de la délégation commerciale de l’ambassade Française au Brésil. Le réceptionniste me remis aussi une enveloppe cachetée. Je l’ouvris dans l’ascenseur. Elle contenait une carte de visite de Marc Passereau et un mot griffonné sur du papier à lettres de l’hôtel.  

J’ai une information très importante à vous communiquer. Passez me voir le plus vite possible : chambre 29.  

 

La porte 29 se trouvait tout au fond du couloir. Je frappais et la porte pivota sous l’impact de mon coup. L’odeur me prit à la gorge. Passereau était allongé sur la moquette, sur le dos, la bouche et les yeux grands ouverts. Une flaque noirâtre s’étendait de part et d’autre de son corps. A une quarantaine de centimètres de sa main droite, une arme était au sol. Sous l’impact des balles, Passereau avait dû la laisser s’échapper. Bien que sur ses gardes, l’autre avait été plus rapide. Je contournais le cadavre, décrochais le téléphone, et pianotais le numéro de la réception. Une fois l’alerte donnée, je me dirigeais vers la fenêtre et l’ouvrit pour tenter de chasser la puanteur. D’une fenêtre voisine, un air de samba me parvint. Je n’avais pourtant aucune envie de danser…

Scénario : (3 commentaires)
une série B policier de Sheinaz El Ramani

Marc Mesnil

Vicky Gershwin

Aymeric Cruz

Chao Hành
Sorti le 27 mai 2034 (Semaine 1534)
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