Cinejeu.net : devenez producteur de cinéma ! (jeu en ligne gratuit de simulation économique)

Black Box Recorder présente
L'affaire Duprat

Nous sommes le 18 mars 1978. Comme chaque samedi, François Duprat (Robert Angier) se lève plus tôt que les autres jours de la semaine afin de régler les derniers préparatifs avant de se rendre à Paris, en début d’après-midi, après avoir donné ses cours d’Histoire au collège Victor-Hugo de Caudebec-en-Caux. Ce matin-là, il ne s’attarde pas longtemps dans la cuisine et accomplit les gestes de manière machinale. Il allume le transistor radio programmé sur France Inter. En préparant le café, il écoute d’une oreille distraite ce qu’il sait déjà. En cette veille de second tour d’élections législatives, la droite ne peut plus perdre. Les espérances de la gauche se sont fracassées sur la peur des classes moyennes du « programme commun ». François Duprat sait que ces peurs ne dureront pas longtemps. Il l’espère car c’est sur la victoire aux présidentielles de la gauche que repose toute sa stratégie. En avalant la première gorgée de café, il lui revient en mémoire cette question de Fabrice, l’un de ses élèves, lui demandant la veille s’il était vrai qu’il faisait de la politique. « Oui, c’est pour me distraire » se surprend-t-il alors de murmurer…  

 

Pourtant, c’est de pas las qu’il monte les escaliers pour rejoindre son bureau, au second étage de sa maison en colombages. François Duprat s’est débattu toute la semaine avec la fatigue qui s’est emparée de lui après cette rude campagne électorale. Même la vision de ses chats, affalés sur les fauteuils, la chaise ou le plan de travail, ne le font pas sourire. Il n’a pas la force ce matin-là de jouer à les ennuyer… son jeu favori. Au contraire, ses gestes pour chasser Blanche, avachie sur une pochette orange, destinée à son agent traitant des Renseignements généraux qu’il doit rencontrer dans un café à proximité de la gare Saint-Lazare à sa descente du train, traduisent son agacement. Tandis qu’il glisse la pochette dans son cartable, François Duprat pense déjà à l’affrontement prévisible qui aura lieu lors de la réunion hebdomadaire du bureau politique du Front National de ce soir, à dix-neuf heures. Jean-Pierre Stirbois, son ennemi personnel, en profitera pour mettre les mauvais résultats sur le compte de la stratégie élaborée et impulsée par Duprat. Le Front National n’a obtenu nationalement que 0,83% des voix, se plaçant même derrière son rival d’extrême droite, le Parti des Forces Nouvelles, qui a passé la barre des 1%. Pourtant, l’artisan du slogan « 1 million de chômeurs, c’est un million d’immigrés en trop ! » sait que sa théorie est la bonne : lier thématiques sociales et combats pour la défense des valeurs traditionnelles afin de gagner les voix populaires, forcer la droite à reprendre le discours anti-immigration pour légitimer le Front National et ainsi le dissocier de l’étiquette d’extrême droite…. François Duprat en est convaincu et il sait qu’il a la confiance de Jean-Marie Le Pen. Il n’est pas le numéro 2 du parti pour rien…  

 

Alors que François Duprat tire une série de tracts sur la rotative de l’imprimerie qu’il a installé dans la pièce jouxtant son bureau, une main venant se poser sur son épaule le surprend. Lorsqu’il se retourne, en voyant Laurence, François Duprat comprend alors deux choses. La première, c’est qu’il est en retard. La seconde, c’est que ses préoccupations et sa fatigue amoindrissent sa vigilance naturelle ce qui n’est jamais de bonne augure. En règle général, rare sont ceux qui arrivent à surprendre François Duprat…  

 

Effectivement, après avoir fermé la porte du garage, François Duprat s’assoie sur le siège passager avec cinq bonnes minutes de retard sur l’horaire habituel. Il s’abstient de le préciser à sa femme pour qu’elle rattrape le temps perdu lors de la conduite. Ce serait malvenu de sa part, lui qui n’a jamais conduit à cause d’une myopie extraordinaire. Lorsque la Citroën GS bleue sort à l’arrière de la maison des Duprat, au 3 rue Achille-Dupuich, voie baptisée du nom de l’ancien maire de Trait, il est huit heures dix. La Citroën GS bleue s’arrête quelques minutes plus tard à La Poste où François Duprat va chercher journaux et paquets. A cause de la file d’attente, le retard s’accroit. A huit heures quarante, la Citroën GS bleue n’a parcouru que 4,5 kilomètres depuis le domicile des Duprat. Elle file sur la route départementale 982 à destination de Caudebec-en-Caux où François Duprat enseigne. Alors que le véhicule franchit la limite de la commune de Saint-Wrandille-Rançon, le véhicule se transforme en boule de feu. Une bombe d’un kilo de mélinite, fixée à l’extérieur du véhicule, sous la tôle du plancher au niveau du siège passager à l’avant-droit, explose. La Citroën GS bleue est propulsée à une trentaine de mètres, en contrebas de la route. François Duprat gît à une quinzaine de mètres. Il est mort sur le coup. Au-dessus de lui, sous un ciel sec, des centaines de tracts frappés de la croix celtique virevoltent dans les airs…  

 

 

 

Paris, 12 septembre 1967.  

L’officier de Police judicaire, service départemental des R.G.,  

A Monsieur le Commissaire Divisionnaire. Chef du service régional des Renseignements Généraux,  

La guerre des Six Jours menée par l’Etat d’Israël contre ses voisins arabes a favorisé le développement de l’activité de propagande antisioniste au sein d’une partie de l’extrême droite. Dirigée par Maurice Bardèche, la revue négationniste Défense de l’Occident, est la courroie de transmission de ces thèses. Son rédacteur en chef, François Duprat, récemment exclu d’Occident, a publié l’article « L’agression israélienne » dans le dernier numéro. Il vient de fonder l’association un Rassemblement pour la libération de la Palestine qui bénéficierait du financement de fonds libanais par l’intermédiaire des représentants de la Ligue Arabe à Paris. Le diplomate Melhem Ayach est en contact régulier avec Duprat et une réunion avec Fayez Sayegh, leader du Parti Populaire Syrien doit avoir lieu mardi prochain, le 16 septembre, à l’Hôtel L’Européen à Cergy-Pontoise.  

 

Adossée au parapet du pont de Brotonne qui enjambe la Seine, l’inspectrice Esther Benbassa (Bianca Burns) contempla l’agitation de la scène de crime, cinquante mètres plus bas, en contrebas de la route départementale 982. Rapidement, ses yeux se perdirent sur le sommet des hêtres qui constituaient la forêt domaniale de Brotonne. Elle tenta de réfléchir, de s’imprégner de toutes les possibilités, mais déjà elle n’y croyait pas.  

 

Les prélèvements d’asphalte avaient été analysés le matin même. Ils démontraient la présence d’une pile Varta. C’était le seul élément tangible. Le reste n’était que supposition. Mais Esther Benbassa ne pouvait s’empêcher d’écarter l’hypothèse d’une pile permettant de télécommander la bombe à distance. Cela impliquait un degré élevé dans la maîtrise technologique qui ne collait pas avec le choix de l’usage de la mélinite, un explosif archaïque. Elle savait que la question du dispositif de mise à feu était un enjeu capital pour l’enquête dans le sens où cela permettait de déterminer le commanditaire de l’assassinat. Or, une voiture piégée et une bombe télécommandée étaient le mode opératoire de nombreux attentats ayant frappé les tenants de la cause palestinienne et attribué au Mossad, l’une des agences de renseignement de l’Etat d’Israël.  

 

Une piste qui n’avait rien d’invraisemblable vu le profil de Duprat, négationniste patenté et qui cultivait depuis des années les sympathies pour les groupes palestiniens extrémistes, multipliant les déplacements et les contacts au Proche-Orient. Par son histoire familiale, l’inspectrice Benbassa connaissait parfaitement cette galaxie négationniste et savait le rôle de Duprat dans sa diffusion en France. Mais l’hypothèse du Mossad ne se heurtait pas seulement au choix de l’explosif. Elle se heurtait aussi dans la fausse piste d’une voiture qui avait rebroussé chemin sur le sentier juste après l’explosion. En fait, la voiture était une 4L blanche et son propriétaire avait été retrouvé. C’était une Caudebecquaise qui s’était rendue au commissariat de Caudebec-en-Caux la veille au soir. Face à la vision de la scène d’explosion, une peur panique s’était éprise d’elle…  

 

Esther Benbassa alluma une Gauloise brune sans filtre. Elle inspira et rejeta lentement la fumée, comme pour mieux s’imprégner de sa certitude. Aussi certain que Duprat était un mythomane écrivant et réécrivant constamment sa propre vie, les auteurs de son assassinat ne seraient jamais retrouvé…  

 

 

 

Trait, 4 janvier 1978.  

Cher Ami,  

Comme Julien a du vous le dire lors de la réunion des Cahiers Européens, j’ai achevé l’écriture de L’Argent et la Politique sur le financement occulte des partis politiques et la provenance des fonds électoraux. Quelques relectures et vérifications s’imposent mais vous pourrez avoir le manuscrit avant l’été pour une publication à la rentrée aux éditions Alain Moreau. Les pressions de Georges Albertini me semblent démontrer que l’oligarchie commence à comprendre que ses ficelles sont trop grosses pour ne pas être découvertes. Sans parler que Robert Hersant est de la partie pour le financement du Parti Républicain…  

Cordialement,  

François Duprat.  

 

Au Zinc du café de la mairie, le commissaire Dominique Gaillardon (Leonard Brumel) achevait la lecture de l’article consacré à François Duprat dans l’édition du jour de Paris-Normandie. Une semaine s’était presque écoulée depuis l’attentat et le commissaire Gaillardon comprit que les différentes chapelles de l’extrême droite commençaient à s’agiter, tentant de trouver les coupables, dans la pure tradition complotiste de cette famille politique.  

 

Le journaliste de Paris-Normandie n’était pas allé chercher bien loin ses renseignements. Le tout était issu d’un tract du Parti des Forces Nouvelles d’Alain Robert, parti d’extrême droite concurrent du Front National, visant à discréditer Duprat. Lors du briefing de la veille, l’inspectrice Benbassa avait révélé le nom de la source. Un militant du PFN Rouannais qui vendait régulièrement des piges au quotidien régional de la Haute-Normandie. Duprat était décrit comme un agent actif de la DST depuis 1968 sous le nom de code d’Hudson. Informateur, il était utilisé pour obtenir des renseignements sur l’implication en France de groupes extrémistes étrangers dans le cadre de la World Anti-Communist Ligue. L’article reprenait une fiche prétendant résumer le dossier DST de Duprat. Le tout n’était guère convainquant entre fausses informations et un nom de code qui ne correspondait pas à la première lettre du nom patronymique de la source. Que Duprat collaborait depuis des années avec les services des Renseignements généraux était un fait, que Duprat soit une taupe travaillant pour le compte du contre-espionnage français semblait peu crédible. Alors, il revint en mémoire au commissaire Gaillardon cette blague qu’il avait souvent entendu : « Quand un cadre de l’extrême gauche devient fou, il se prend pour un ouvrier. Quand un cadre de l’extrême droite devient fou, il se prend pour un espion. » Cette sentence collait bien à Duprat, ce théoricien fanatique qui aimait cultiver sa part d’ombre.  

 

Lorsque le commissaire Gaillardon entra dans le bureau, la juge d’instruction Jeanne Samat (Mylène Micoton) avait une mauvaise nouvelle à lui annoncer. Gaillardon s’en doutait un peu puisque son équipe bataillait depuis des jours à obtenir des renseignements de la Police judiciaire parisienne et que le commissaire Raymond ne l’avait toujours pas rappelé. L’affaire Duprat restait localisée à Rouen. C’était une décision forcément politique. Dire que cela permettait d’étouffer la vérité était quelque chose dont ne se serait pas permis le commissaire Gaillardon qui se faisait une haute idée de sa fonction et de sa profession. Mais c’était tout comme…  

 

 

 

Note blanche transmise à la direction des Renseignements généraux, le 2 juillet 1967,  

Les militants du groupuscule d’extrême droite Occident tente depuis quelques jours de retrouver la balance qui a donné la liste de la vingtaine d’entre eux qui ont attaqué, le 12 janvier 1967, le comité Viet Nam sur le campus de l’université de Rouen. Cette agression s’était soldée par une dizaine de blessés parmi les étudiants d’extrême gauche dont le coma de Serge Bolloch, militant de la Jeunesse Communiste qui a eu le crâne défoncé par une clé à molette.  

Ce dimanche, une patrouille de police du Ve arrondissement de Paris a ramassé Patrick Devedjian qui errait nu rue de Médicis. Il aurait subi un interrogatoire musclé et le supplice de la baignoire, rue de Soufflot, siège d’Occident, par ses camarades, voyant en lui la balance. Devedjian aurait réussi à s’échapper en sautant par la fenêtre.  

Patrick Devedjian est l’un des treize militants d’Occident qui sera jugé au tribunal le 13 juillet en compagnie d’Alain Madelin, d’Alain Robert ou de Gérard Longuet.  

La liste des auteurs de l’attaque de l’université de Rouen a été obtenue par le commissaire Raymond de la PJ de Paris de la part de l’un de ses informateurs, François Duprat, militant d’Occident. Il est à noter que Duprat est également suivi par un officier des RG pour sa connaissance des milieux d’extrême gauche Maoïste. Selon des informations internes au mouvement, la personnalité même de Duprat le protège mais une rupture ou une exclusion semble inévitable.  

 

Le commissaire Gaillardon avait tenu à être présent, ne serait-ce que pour humer l’ambiance. Mais il avait surestimé ses forces à supporter le spectacle qui s’offrait à lui. Alors que l’homélie de l’abbé Ducaud-Bourget prenait fin, il se leva et se dirigea vers la sortie de l’église Saint-Nicolas-du-Chardonnet. Il n’eut que le temps d’entendre Jean-Marie Le Pen comparer le destin de Duprat à celui du Christ. La fabrique du martyr continuait… A l’air libre, le commissaire Gaillardon alluma une Gitane et son regard se porta sur sa gauche. Incontestablement, il était plus sensible aux charmes de la façade art déco de la Mutualité qu’à celle classique du saint des saints des catholiques intégristes.  

 

Le commissaire Gaillardon se senti alors subitement dépassé. Il n'était pas infaillible comme Hercule Poirot. Et pourtant l’affaire Duprat ressemblait à un roman d’Agatha Christie, Le crime de l’Orient-Express, où tous les passagers du train paraissaient avoir une portion de mobile pour tuer M. Ratchett, alias Cassetti. Parmi les deux mille personnes qui sortaient de l’église Saint-Nicolas-du-Chardonnet, combien avait un intérêt à la mort de Duprat ? Le commissaire Gaillardon en était là de ses réflexions lorsqu’il vit se diriger vers lui le commissaire Raymond…

Scénario : (2 commentaires)
une série B historique de Sheinaz El Ramani

Robert Angier

Mylene MICOTON

Leonard Brumel

Bianca Burns
Sorti le 30 décembre 2034 (Semaine 1565)
Entrées : 21 761 909
url : http://www.cinejeu.net/index.php?page=p&id=54&unite=fenetre&section=vueFilm&idFilm=22908