Une petite ville de Province en France - de nos jours.  

C'est un vieil homme (Christopher Erotas). Chaque jour, quand Cassandra (Sharon Molchany) passe sur la place Stalingrad en revenant de l'école, il la regarde fixement. Elle n'aime pas sa manière de la regarder.  

Elle ne l'aime pas tout court - et pas seulement parce qu'il lui manque un oeil : il porte une bille de verre à la place. Sa maman dit qu'il l'a probablement perdu "à la guerre". Oui, mais quelle guerre ? Elle ne saurait répondre : dans le quartier, tout le monde ignore son âge. Tout ce que l'on sait, c'est qu'il fait partie du décor. Son père lui a un jour dit qu'il y avait des gens qui étaient là pour aider des personnes comme ce vieil homme. "SAMU Social" - elle n'a pas compris ce que ça signifiait. Pour elle, ce monsieur avait toujours une famille, seulement il habitait tellement loin d'elle et il était tellement pauvre qu'il ne pouvait la rejoindre. Elle était un peu triste de le voir comme ça, un peu seul et abandonné. Mais elle ne l'appréciait pas pour autant - ce regard, ce regard lumineux et intense lui faisait faire des cauchemars.  

Dans la cour de récré, quand elle en a parlé à ces copains de classe, ils lui ont raconté tout et n'importe quoi : que "le vieux de la place Stalingrad" avait perdu son oeil lors d'une bagarre de rue, qu'il aurait volé sa bille à un enfant qu'on aurait jamais retrouvé, les parents de l'un évitaient la place à cause de lui, d'autres pensaient qu'il avait travaillé dans un abattoir et qu'il s'était pris un crochet de boucher qui l'avait rendu fou - certain enfin, pensait qu'il communiquait des informations très importantes à la CIA par le biais de son oeil - qui était aussi une caméra. C'était n'importe quoi mais finalement assez rigolo ; ça lui permettait d'avoir moins peur.  

En plus de traîner sur la place, le vieil homme avait ses habitudes dans les troquets de la ville. On le retrouvait de temps à autres aussi dans les rues piétonnes en train de ronchonner, marmonner des choses incompréhensibles à autre qu'à lui-même... Un soir, la police avait fini par l'emporter pour tapage nocturne - il avait terminé sa nuit en dégrisement.  

Cassandra de son côté, n'était pas bonne élève. Redoublante, elle avait eu le plus grand mal à passer en 6ème. Pourtant, en ce jour de rentrée, elle avait tenu a aller en classe seule - son collège était derrière l'école, alors elle connaissait déjà un peu le chemin. Les parents avaient opiné : Cassandra, c'est vrai, avait eu pas mal de difficultés dans sa vie, mais c'était une gentille fille débrouillarde et vive, ils le savaient.  

Ses parents. Ses vrais parents biologiques le savaient aussi - bien sûr, ils ne pourraient jamais vraiment les remplacer, mais ils avaient su se faire aimer de la petite fille et le traumatisme avait été surmonté. Ils l'espéraient de tout coeur.  

Elle venait d'avoir 11 ans, c'était une grande fille à présent. C'est pourquoi le lendemain de son anniversaire, elle s'était jurée que plus rien ne l'effrayerait. C'était gravé sur le marbre de son journal intime. Elle se dirigea vers la place Stalingrad dans les premières lueurs du jour de cette rentrée après avoir embrassé ses parents et leur avoir souhaité une bonne journée (comme ils travaillaient tous les deux, elle était demi-pensionnaire).  

Le vieil homme était déjà sur la place, assis sur un trottoir à parler dans sa barbe, toujours avec son drôle de pardessus fait de bric et de broc. Les cafetiers accueillaient leurs clients comme à l'accoutumée, le vendeur de journaux installait ses présentoirs : il y avait du monde, Cassandra savait qu'elle ne risquait rien : si le vieux monsieur tentait quelque chose, elle crierait. D'un pas rapide, elle s'approcha de lui.  

"- Monsieur, pourquoi vous me regardez toujours quand je passe par ici ?"  

L'homme, surpris, se retourna, dévisagea Cassandra - plissa ses yeux comme pour se rappeler quelque chose... Il ne répondit pas dans un premier temps. La fillette reprit.  

"- Je ne parle pas aux inconnus Monsieur, mais j'aimerais savoir pourquoi vous faites ça."  

Le vieil homme soupira, regarda la bouteille de vin qu'il cachait sous ses vêtements et leva son oeil unique vers elle.  

"- Si je te le dis, tu promets de ne jamais le répéter à tes parents ?  

- Pourquoi vous me demandez ça ?  

- Je te demande pas de mentir, juste de ne pas leur en parler. S'il-te-plaît..."  

L'homme avait maintenant le regard implorant, tout en restant grave. Il poursuivit sans attendre la réponse de Cassandra.  

"- J'ai connu tes parents, petite. C'est mon véhicule qui les a percutés il y a six ans en ce beau soir d'été..."  

(Script original)