1er Novembre 2012, 1h du matin,j'avance en silence dans le cimetière désert. Je me sens en paix, entouré de ces gens qui se reposent à jamais. Chaque année, ce jour est le seul où je me sens calme, paisible.  

J'avance doucement, longeant les allées, caressant le marbre des tombes, humant l'air de la nuit. Les gens auraient peur, moi je me sens bien. C'est l'endroit auquel j'appartiens. C'est mon monde. Je m'appelle Hector Depardon et je suis mort il y a maintenant 20 ans. Mort de je ne sais quoi, les médecins ont parlé de complications. Comment je le sais? J'étais là. Tout le temps qu'ils parlaient à ma femme Julia et à ma fille Dora, j'étais dans la pièce, je les regardais, me demandant ce qu'il se passait.J'ai compris très vite. J'étais mort mais je restais accroché à la Terre. J'étais ce qu'on appelle un fantôme, de ceux qui restent car ils ont quelque chose qui les retient, quelque chose qu'il faut qu'ils accomplissent.  

Cela fait 20 ans que je reviens chaque année à la vie. Et cela fait 20 ans que je fais la même chose. je traverse tout le cimetière vers la sortie et je me rend au 25 rue de la Lune. J'ai habité ici, avant de mourir, et ma famille y vit encore. Enfin, ma famille... Je ne suis plus rien pour eux, peut-on dire qu'ils sont encore quelque chose pour moi?  

Chaque soir, je regarde à la fenêtre et je les regarde veiller. C'est une tradition que Julia tient de sa mère. Chaque jour des morts, on veille sur les esprits qui nous ont quitté. On les écoute et on les remercie de veiller sur nous chaque jour pendant l'année. Comme un service rendu, quoi... J'ai toujours trouvé cette habitude complètement idiote mais, maintenant que je suis mort, elle me sert bien. Depuis 20 ans, je me poste à la fenêtre et j'écoute leurs paroles, je vois ma fille grandir, devenir de plus en plus belle. Et je vois ma femme vieillir, m'oublier et recommencer petit à petit à vivre.  

Cette année, comme l'année dernière, elle ne sont plus seules. L'homme est là. Il a l'air d'un étranger dans cette maison et, pourtant, elles l'ont accepté dans leur famille. Il a pris ma place, il me vole ce qui m'a fait vivre pendant ces 20 années, suspendu entre ce monde et le mien. Il me coupe toutes mes attaches. Comment pourrais je rester, alors? Mais je ne veux pas partir, les laisser c'est mourir encore. Je n'ai pas peur de ce qui m'attend mais de savoir que je les abandonne.  

Il se penche vers ma femme. Il l'embrasse. Je hurle. Un cri de douleur, glaçant, mais que personne ne peut entendre.  

Pourtant, Dora se retourne, elle me regarde droit dans les yeux, elle me sourit. C'est fou, je n'en revient pas. C'est une vraie femme maintenant. 20 ans sont passés si vite. Elle s'excuse auprès de sa mère et de l'homme, et sort de la pièce. Je peux alors me concentrer sur ma femme et son amant, sur cette douleur qui me brûle.  

Tu es en retard cette année, je ne t'attendais plus. Pourquoi vient tu si tard?  

Je me retourne. Elle est là, ma Dora, elle me parle, me voit. Un sourire mélancolique se dessine sur son joli visage. Je la regarde, je la touche, je l'embrasse. Maintenant que je l'ai retrouvée, je ne veux pas repartir. Elle me parle, je ne l'entends plus. Puis je me concentre sur sa voix, ces intonations qui ont tant changé. Elle me parle d'un garçon, son petit copain. Elle veut que je le connaisse, car elle va l'épouser.  

J'ai trouvé un sens à ma presque vie, aider ma fille à reprendre la sienne. Et peut être que je pourrais récupérer ma femme.