La Mecque, Arabie saoudite - 2017  

Les fidèles tournaient autour de la Kaaba en un flux ininterrompu sous la garde de l'armée des commandeurs des croyants. Au dessus d'eux, sur les terrasses des immeubles entourant la place, d'autres croyants priaient ou discutaient avec toute la ferveur dont ils étaient capable.  

Au milieu de la marée humaine grouillante, Suranayan Noreesh Spade (Aslan Karagül) faisait mine d'observer le pilier de l'Islam, psalmodiant ses sourates tout en se rapprochant, avec toute l'attention à laquelle son conditionnement l'avait entrainé, de sa cible : un homme de grande taille entourée d'une dizaine de comparses. Un terroriste reconnu dont les objectifs ici n'étaient pas apparus hostiles mais que La Division souhaitait voir disparaître.  

Spade savait qu'au-dessus d'eux, drones, caméras et sentinelles armées analysaient le mouvement de la foule et tout indice suspect (course, contre-sens, accélération par rapport au flot) pouvaient entrainer punition. Il savait aussi que chaque année, des centaines de fidèles étaient victimes de blessures, tombaient d'épuisement, d'insolation, ou donnaient leur vie dans cet ultime acte de contrition. C'était alors considéré comme "mort naturelle". Tous étaient sévèrement fouillés avant leur entrée dans l'esplanade ; Spade - qui pour l'occasion arborait l'identité d'un certain "Youssouf" - n'avait sur lui qu'un dard empoisonné dissimulée dans une dent spécialement préparée (n'était-il pas un chirurgien bucco-dentaire réputé ?), il suffisait juste qu'il se rapproche suffisamment de son objectif et d'un souffle précis pour l'atteindre.  

Arrivé à quelques mètres, il ne s'attendait pas à voir la tête de ce dernier exploser comme une tomate trop mûre, entrainant avec lui une projection de chair sur plusieurs dizaines de mètres et un soudain vent de panique. Spade s'était immédiatement détourné de feu-le terroriste pour aviser la terrasse d'où le tir s'était produit - un mirador, en fait : celui qui était à l'origine de cette exécution avait agi sur ordre et s'était dissimulé au sein des forces spéciales nationales.  

Avec toute la maîtrise dont il était capable, le jeune agent secret parvenait à ressortir du flot de la foule terrifiée : ce soir, la radio compterait les dizaines de morts piétinés broyés sous le poids des croyants mais passerait sous silence la disparition du terroriste.  

Deux heures plus tard, revenu à son hôtel miteux après avoir passé plusieurs check-points et témoigné sur la scène à laquelle il avait assisté, S.N. Spade passait un appel téléphonique satellitaire sécurisé : il avait entre-temps reçu un SMS qui l'invitait à reprendre contact avec le siège.  

La voix hypnotique au bout du fil lui rappela son récent lavage de cerveau. Il fit le debriefing de sa mission en termes totalement codés et attendit les nouvelles instructions.  

"- Vous êtes réorienté sur Calcutta.  

- Ce tir, c'était nous ?  

- Un allié, répondit la voix - tout en ajoutant avec une pointe d'ironie - Il fallait vous libérer au plus vite."  

Un dossier complet sur sa prochaine mission lui était parvenu sur son smartphone : un nom s'en détachait - un certain Ivan Dedliev (Brian Harper), Ouzbek musulman converti à la religion orthodoxe. L'homme, d'une vingtaine d'années, avait fomenté plusieurs révoltes régionales contre le gouvernement central de la Fédération de Russie avant de passer à la vitesse supérieure en s'impliquant dans plusieurs trafics d'armes d'envergure.  

Et par "envergure", on entendait apte à faire pousser les champignons atomiques hors-saison. Le bonhomme semblait être tombé dans une psychose millénariste à tendance apocalyptique et comptait bien accélérer le mouvement...  

Dedliev ne paraissait pas pour autant être le cerveau de l'organisation - son membre le plus charismatique, leader d'hommes et porte-parole certes, mais pas son idéologue : la cible principale de Spade se nommait Isabelle Lynne (Stephanie Jarred), une canadienne écolo-bobo issue du mouvement new-age qui parlait des hommes en termes de fluide d'énergie. Son association avec Dedliev, pour singulière qu'elle fût, répondait à une certaine logique : faire tomber "l'ancien monde".  

Seulement, "l'ancien monde" avait créé des garde-fous pour se prémunir de tels agissements. Et l'un d'entre eux se nommait la Division Spade.  

Calcutta serait donc la prochaine étape. Là, "Youssouf" s'y transformerait alors en "Raymond Hirsch", collectionneur fantasque - et prendrait le vol le plus rapide pour Tokyo, où Ivan et Isabelle devaient se rencontrer lors d'une convention de Science-Fiction au coeur de la cité.  

Une convention de S.F. pour préparer l'apocalypse - l'ironie avait décidément son mot à dire sur les missions du jeune agent...  

Dans le bus qui le ramenait à l'aéroport, Spade regarda à nouveau les photos de ses prochaines cibles. Autant Dedliev ne lui disait rien, autant il était persuadé d'avoir déjà croisé la route de la femme. Ils s'étaient déjà vus. Aimés peut-être. Alliée d'hier devenue ennemie d'aujourd'hui*.  

Il n'était pas programmé pour réfléchir à cela mais des informations contradictoires cherchaient à atteindre son raisonnement.  

Occupé par ces pensées, il avait fait semblant de ne pas remarquer la jeune métisse asiatique (Cristina Lillard) voilée qui le suivait discrètement depuis son départ le l'hôtel. Il l'avait déjà repérée dans un reflet il y a cinq jours, à son arrivée ici. Elle venait de rentrer dans le même Terminal qu'elle - et Spade le savait : le hasard n'existait pas dans la profession. Elle montrait par contre une parfaite connaissance des arts de la dissimulation.  

Une technique qui remuait en lui les souvenirs d'une autre vie**.  

(Script original, - séquelle du film Spade Redux (2015) produit par MMP : http://www.cinejeu.net/index.php?page=p&id=54&unite=fenetre&section=vueFilm&idFilm=6192)  

* voir Spade Redux (2015)  

** voir Spade (2009) : http://www.cinejeu.net/index.php?page=p&id=54&unite=fenetre&section=vueFilm&idFilm=4522