Début des années 90.  

Ils étaient quatre amis. Sortis du collège, résidant dans le même immeuble de la lointaine banlieue Londonienne. Quatre belle âmes issues d'une classe ouvrière que les gouvernements Thatcher puis Major s'étaient mis en tête de détricoter.  

Ils étaient quatre : Billy (Conor Torkildsen), Ivo (Edward Raven), Princess (Jenny LaSalle) et Barbie (Laura Hess), ils avaient des rêves, une idée de la vie différente. Soudés comme rares sont les amitiés vraiment fidèles. Ils s'étaient connus au berceau, ou presque, par un heureux hasard médical. Leur première rencontre, c'est dans la salle d'attente du médecin de famille (le père de Barbie, qui elle-même souffrait d'un léger retard mental) qu'elle avait eu lieu. Les enfants avaient sympathisé, les parents avaient suivi.  

Le quatuor avait fini par se retrouver régulièrement au centre de la commune de Shipton-on-Shedwell (cité-dortoir de la Capitale, autrefois petit village agréable) en face de son petit - et unique - cinéma, celui qui débitait les séries B américaines comme le père d'Ivo (un des rares immigrés russes de la commune) débitait les quartiers de viande. Ils avaient fini par faire de leurs escapades cinématographiques une forme de rituel au sein duquel ils oubliaient pendant quelques heures leur condition. Ils se tankaient systématiquement à la dernière rangée de la petite salle.  

Ainsi, on les appelait affectueusement "Le rang du fond", toujours présents pour remplir une salle et offrir aux films les plus improbables des spectateurs respectueux quoique rigolards... D'ailleurs, dans "La rangée", on aurait jamais pris soin de les distinguer les uns des autres. La rangée, c'était ces quatre-là. Il en aurait manqué un(e) que ce bel équilibre aurait été rompu.  

Ils s'aimaient sans arrière-pensées, partageaient ensemble leur rêves, les promesses de la vie et leur coup de coeur / coup de sang. Leur vie scolaire et sociale était perturbée : divorce des parents de l'un, violence de la mère de l'autre, mauvais résultats au tableau des notes, du chômage partout - c'était même parfois difficile de s'offrir une place par semaine, alors on se cotisait, on chapardait un peu parfois, on passait par la porte de service. Des qutre-cents coups bénins juste pour garder la tête hors de l'eau...  

Ces quatre-là n'avaient aucune envie de suivre la voie de leurs parents, aucune envie de leur ressembler, mornes comme le temps, miséreux dans leur absence d'avenir, de culture, de réaction face à l'ordre établi. Mais que pouvaient-ils faire de leur côté ? Ils étaient comme quatre frères et soeurs, leurs moyens étaient tellement limités.  

Ils se soutenaient dans leur désespoir et voulaient se jouer du sort.  

Mais le sort, lui, avait déjà décidé de la fermeture du cinéma, prochainement remplacé par une crèche... L'ordre des choses pour le commun des mortels. L'apocalypse pour nos amis.  

(Scénario original)