Harv (Daryl Emerson) venait de sortir du puits... En sang et guenilles, écorché il jeta un coup d'oeil effrayé autour de lui. Personne. La lande déserte, le froid d'un automne rigoureux, les pores de la peau qui sèchent. Au milieu du pré, ce puits dont l'escalade devait avoir pris - combien ? - trois, quatre heures...  

Sa fuite n'était probablement pas passée inaperçue. Il commença à tracer son chemin au milieu des fougères et rentra rapidement dans le sous-bois. S'ils étaient à sa recherche, il n'entendait pas les chiens. Il savait pourtant qu'il ne serait jamais en sécurité s'il restait immobile - il devait constamment se déplacer.  

Toujours cette impression d'être observé. Toujours cette odeur nauséeuse qui imprégnait l'atmosphère et la peau. Il ne se sentait pas bien, avait envie de vomir, déféquer... Pourtant, il n'avait rien mangé depuis deux (trois ?) jours, à peine bu - il commençait à sérieusement accuser le coup.  

Les murmures. Les ombres se mettaient en place et venaient à lui. "Les ombres", c'est ainsi que les autres appelaient les corps décharnés qui vous reniflaient à des kilomètres à la ronde.  

Lui, Harv Bloomberg - un des meilleurs linebackers de sa génération de l'équipe de Foot de Cincinatti, coincé dans cette île paradisiaque méditerranéenne au milieu d'une forêt bizarre et coursé par des créatures qu'on aurait dites sorties d'un mauvais Z rital des années 80 - il délirait complètement : c'était L'Île du Dr Moreau et Les Chasses du Comte Zaroff en live.  

Ca avait commencé il y a une semaine. Leur yacht, accosté par des pirates, détourné, son amie Ann (Maude Lester) violée et abattue d'une balle en pleine tête, leur arrivée ici, leur inspection "sanitaire" par un soit-disant scientifique à fort accent germanique (Barry Tudyk) - un pur délire.  

Il venait de tomber dans les broussailles. Un coup d'oeil furtir derrière lui - personne. Il faisait trop de bruit. Il était rapide mais pas en forme, il...  

"- Debout Monsieur Bloomberg, c'est l'heure de vos pilules."  

L'accorte infirmière en blouse bleue (Caroline Burns) venait de le réveiller. Il était en sueur.  

"- Encore vos rêves, hm ?! Il faudra que vous en reparliez au Dr Friedemann"  

Il était attaché au lit. Autour de lui, quatre murs blancs et de belles aquarelles. Il savait que l'une d'entre elles s'était ajoutée entre hier et aujourd'hui. Le tableau représentait un jeune couple devant leur maison. Lui était noir, elle blanche. Ca aurait pu être Ann et lui mais ils ne portaient pas leur visage.  

Après qu'elle lui eût administré sa médication, l'infirmière détacha Harv et le laissa maître de ses mouvements. Elle le prit par le bras et l'amena à travers les couloirs de l'institution dans la grande pièce commune. Table, chaises et canapés confortables étaient disposés pour l'agrément des patients. Le tout supervisé par un barman (Huey Caesar Hendrixx Newton) qui reconnut le sportif et lui adressa un grand geste amical.  

"- Viens me voir tout-à-l'heure, j'ai un nouveau cocktail à te faire goûter"  

L'infirmière lui adressa un regard froid.  

On finit par asseoir Harv en face d'une masse de muscles silencieuse (Daniel Erotas) qui observait les pièces d'un jeu d'échecs.  

Harv ne savait pas jouer aux échecs, mais connaissait ce gars - un quaterback d'une équipe concurrrente. Il avait l'impression de revivre Vol au-dessus d'un Nid de Coucous avec des gens dont il aurait un jour croisé la route.  

Il prit une des pièces du jeu et la posa en face d'un bishop. Il l'avait fait instinctivement. Ce qui renforça la concentration de son adversaire.  

A côté d'eux, la télévision passait un documentaire sur les cigognes.  

Dosant ses efforts, il se leva, se dirigea vers les fenêtres. Aucune d'elles n'était renforcée. Dehors, il voyait des gens déambuler paisiblement dans les jardins. Visites autorisées, promenades autorisées. Un nouveau coup d'oeil circulaire - pas de surveillant apparent - peut-être une caméra.  

Le stress de son cauchemar lui revenait. Il s'avança lentement vers la porte de sortie à double-battant. Se retrouva à nouveau dans les couloirs cliniques.  

Le grand air pur lui fit un bien fou. Il prit l'allée centrale, fit une centaine de pas vers les bois environnants. Se retourna. La bâtisse était un centre clinique de style victorien. Il devait se trouver dans un état du Sud. Un patient arriva à son niveau, lui fit un petit signe de la tête, le dépassa  

Et s'effondra.  

Non. Se liquéfia à ses pieds, laissant à sa place un ensemble de vêtements tachés et de chairs pantelantes.  

"- Je passe maintenant la parole à Monsieur Bloomberg qui va nous exposer les résultats trimestriels de Cincinatti. Harv ?"  

Il venait de sortir de sa torpeur - cette réunion durait maintenant depuis deux heures, il n'avait pas eu le temps de téléphoner à Ann pour s'enquérir des résultats de l'échographie et la torpeur de la ventilation l'avait assommé. Depuis sa retraite sportive et son embauche comme "coach managérial" au sein de cette compagnie d'assurances, il avait encore moins de temps pour son couple que lors des championnats. Un comble.  

Tout le monde le regardait à présent avec un regard mi-interrogatif, mi-amusé. Son collègue Phil (Huey Caesar Hendrixx Newton) lui faisait des gros yeux.  

Harv se leva. Très pro, il prit place en bout de table et démarra l'exposé qu'il avait répété jusqu'à trois heures du matin. Sa présentation Powerpoint serait rapide.  

Dans l'assistance, il remarqua le sourire tenace de Corben Friedemann (Barry Tudyk), un responsable des ressources humaines - un peu le gars à qui il devait ce poste. Il se demandait à présent s'il avait bien fait de signer ce contrat.  

Alors qu'il termine sa démonstration, il avise un coup d'oeil aux baies vitrées.  

La ville à perte de vue. La qualité panoramique du 30ème étage. Un corps indistinct qui chute.  

Harv se retourne vers l'assistance, frénétique :  

"- Vous avez vu ça ?!!"  

"- Vu quoi mon chéri ?"  

Il est dans un lit, Ann à ses côtés. Dans la cabine de leur somptueux navire. Il la regarde, se lève, nu - enfile un peignoir. Sort. Le jour - il est Midi, le personnel de bord s'attelle au déjeuner. Un des potes de son équipe passe à ses côtés - c'est vrai qu'il les avait invités aussi.  

Il regarde l'horizon, laissant le soleil le réchauffer.  

Soudain, son angoisse le reprend : ils se dirigent vers l'île.  

Ils doivent bouger.  

Toujours se trouver en mouvement.  

Pour survivre.  

(Script original)