Là-haut là-haut parmi ces champs Sont la mère et la fille  

J’entends la mère qui va chantant La fille qui soupire  

Elle était là, allongée, nue et obscène, à même les pierres froides du sol.  

Elle avait tant hurlé qu'elle ne souffrait plus.  

Qu’as-tu qu’as-tu à soupirer Marguerite ma fille  

Aurais-tu donc le cœur chagrin Parcequ’on te marie  

Elle avait eu une vie heureuse autrefois, mais elle n'y pensait plus. Elle ne pensait plus à rien.  

Marguerite (Rebecca Yusef) était devenue le jouet de sa famille.  

Ma mère j’ai grand peine en moi Que je n’ose vous dire  

Car je suis fille le jour Et la nuit blanche biche  

Le 14ème siècle était dur pour ses fils, ses filles, ses enfants.  

Surtout pour ses filles - enfants devenues femmes.  

Les chiens de vos trois barons Sont toujours à ma suite  

Mais celui de mon frère René Est bien encore le pire  

Le père parti à la guerre, son frère René (Alan Tager) resté avec elle, loin du champs de bataille - frustré, résigné par une infirmité pourtant bénigne suite à une chute de cheval.  

Il n'avait jamais su trouver les mots, alors il l'a forcée, comme son père l'avait forcé, lui...  

Allez allez chère maman A son château lui dire  

Que je suis fille le jour Et la nuit blanche biche  

Il l'avait marié avec Hugo (Jeremy Goodman), autre noble. Et son calvaire qui aurait pu prendre fin ici - n'avait fait que continuer.  

Elle avait fini par regretter les gestes et la cruauté de son frère.  

Où sont tes chiens René mon fils Tes chiens ta chasserie  

Mes chiens sont seuls dedans les bois Chassant la blanche biche  

Souillée, elle n'avait jamais su porter la descendance de son mari.  

Celui-ci avait fini par commettre l'irréparable avec René. Devenus amants, les deux hommes avait continué à s'acharner sur Marguerite  

Rappelle tes chiens René mon fils Rappelle-les bien vite  

La biche que tu poursuis C’est ta sœur Marguerite  

Rien ne lui avait été épargné.  

Devenue une plaie vivante. Ici, seule dans cette pièce close au sol froid. Tellement froid.  

Il prend trois fois son cornet d’or Sa trompette jolie  

N’a pas sonné deux fois encore Que la biche était prise  

Un soir, ils l'ont prise de concert. Donnée aux gardes.  

Puis aux chiens.  

Elle a les cheveux blonds et peignés Et les seins d’une fille  

René prend son couteau d’argent En quartiers il l’a mise  

Finalement, ils se sont lassés de leur vice.  

Face à son silence résigné devant telle folie, ils ont fini par prendre une bien cruelle décision.  

Il s’en va dire au cuisinier Ce soir qu’elle soit cuite  

Car j’invite pour mon souper ma mère, sa compagnie  

René, excité par la venue d'invités, n'a pas su se contrôler un soir.  

S'ils ne pouvaient plus la dominer, ils commettraient sur elle l'ultime infamie.  

Ne furent pas au milieu du repas Où donc est Marguerite  

Soupez Messieurs, soupez sans moi J’suis la première assise  

Le soir, alors que la compagnie de leur mère (Sharon Landau) finissait les entrées, on décidait d'amener un met très spécial.  

Un met d'une délicate saveur familiale.  

Ma jolie tête est dans le plat Et mon cœur aux chevilles  

Et mon sang partout répandu Dans toute la cuisine  

On était venu la chercher dans la pièce où elle croupissait.  

On l'avait lavée, bichonné - elle, totalement catatonique.  

Entre ces deux plateaux d’or Mes poitrines sont mises  

A ces petits crochets d’argent Mon petit corps pendille  

Elle était à présent dans les plats.  

Sa mère dévisageant le regard apaisé de sa fille dans la grande assiette.  

L'assistance venait de se lever. Ce qui venait de se dérouler ici échappait à Dieu et à l'homme pour signer l'acte d'une bête. La mère regardait les convives à tour de rôle, cherchant un quelconque réconfort : sa Marguerite était partie, ne lui restait plus qu'un fils dégénéré et un beau fils qui ne valait pas beaucoup mieux.  

Elle tournait les talons et décidait de ne plus jamais remettre les pieds dans le château familial du Comté d'Amiens.  

Marguerite ne voyait pas les morts. Elle regardait à présent les restes de son corps servis à point et prêts à être dévorés - elle, désincarnée et prisonnière de ses murs, maudite à jamais. La réaction de sa génitrice, tardive face à tant de violence à son encontre, l'avait rassurée.  

C'était trop tard désormais, et ceux qui lui avait fait subir son calvaire - elle le savait - resteraient ici à repenser à ce que l'oisiveté, l'ennui et les mauvaises pensées leur avait fait commettre. Ils ne pourraient jamais la voir, elle subirait une seconde malédiction : celle d'être leur témoin muet.  

Elle observerait donc leur déchéance, du sentiment de culpabilité qui finirait par les ronger et les entraîner dans les abîmes de l'horreur auto-mutilatrice. René et Hugo. Pouvait-elle leur pardonner un jour ?  

(Script original, d'après la chanson anonyme du Moyen-Âge)