Londres - il y a cinq ans.  

Les "Daleks" et les "Zombies" se tiraient la bourre sur Regent Street - les gangs de motards se faisaient concurrence sur le marché de la drogue et des jeux clandestins, leurs affrontements faisaient la une des journaux et laissaient le public, la police et les politiques impuissants devant leur violence. Ce soir en particulier, leur rivalité avait tourné au pugilat motorisé : c'était à celui qui enverrait l'autre dans le décor à 160 km/h en plein centre-ville. Avantage aux "Daleks" qui connaissaient bien leur zone. Leur leader, Agneszka Mordor (Jewel Mirren) hurlait ses ordres par la radio de son casque - elle-même était en train d'en découdre avec deux zomblards qui cherchaient à la déséquilibrer - ils venaient de déboucher sur Lliam Street.  

Lliam Street. Ses commerçants, ses touristes. Ses restaurants.  

Joseph Crossbow (Reginald Attree) était dans les toilettes-hommes du "Gnaccicho's", le meilleur italien de la ville, vérifiant dans le miroir son propre état de nervosité. Depuis son retour du Cambodge, il avait passé son temps à tenter de recoller les morceaux - c'était la soirée à ne pas rater. Dans la poche droite de sa veste achetée 200 livres, la bague de fiançailles qu'il réservait à sa Corinna adorée, celle qui patientait dans la salle devant un apéritif. Il ne voulait pas la faire attendre plus longtemps. A côté de lui, un des clients finissait de se laver les mains.  

"- Nerveux ?!  

- Vous pouvez pas imaginer.  

- Allez courage - y'a que le premier pas qui coûte..."  

L'homme était sorti après un geste amical.  

****  

Un des "Zombies" avait sorti une chaîne et la faisait tourbillonner dangereusement à côté d'Agneszka. Celle-ci para le coup, braqua, réalisa un tour à 180° et envoya la jambe contre son adversaire.  

Ce dernier perdit l'équilibre et alla finir sa course sur un arbre. Un craquement sec au niveau du cou accompagna ses derniers instants. La moto, elle, partit en direction d'une petite Opel conduite par une mère de famille qui s'en revenait des courses de Noël avec sa fillette de trois ans. La conductrice écrasa sa pédale de frein mais le choc eut lieu quand même.  

La moto ne s'était pas encastrée. Emportée dans son élan et déviée de sa direction, elle s'était envolée vers la devanture vitrée du "Gnaccicho's".  

****  

Un gigantesque vacarme sortit Joseph Crossbow de sa répétition. Il se précipita hors de la pièce.  

Le chaos avait investi la petite salle du restaurant : tout le monde courait partout, plusieurs tables avaient été renversées, le personnel et les clients fuyaient l'endroit.  

Quelques instants plus tard, il n'y avait presque plus personne sinon le patron de l'établissement encore hébété, Joseph et un corps sanguinolent et sans vie sous une moto autrefois lancée à pleine vitesse.  

Corinna était là, le corps brisé, le visage tuméfié et le regard surpris.  

Elle l'avait attendu jusqu'au bout.  

Londres - aujourd'hui.  

Agneszka Mordor venait de sortir du tribunal, libre. La horde de journalistes qui l'accompagnait dans tous ses déplacements l'avait suivie durant le procès. Cinq ans, cela avait assez duré : Miss Mordor était une bikeuse, oui - mais pas une criminelle : on stigmatisait les bandes mais dans certains quartiers de la ville où la police ne venait plus, elles étaient le seul recours de l'ordre et de la sécurité.  

Miss Mordor prenait la pose victimaire et les médias adoraient.  

Un homme était en train de regarder la retransmission sur une petite télévision. A la mort de Corinna, la police avait enquêté. Retrouvé les responsables. Fait son boulot. Déchiré par le chagrin, Joseph avait eu confiance en la justice à ce moment-là. Il voyait déjà les responsables du carnage qui avait brisé sa vie derrière les barreaux.  

Et puis, les voyous avaient fait appel, et les bourreaux s'étaient transformés en victimes - victimes du système, de la discrimination, de la vindicte populaire forcément fascisante... De puissants avocats avaient été commissionnés par les bandes.  

Ils avaient noyé le poisson. Le dernier message de l'avocat de Crossbow était qu'il prenait ses distances avec l'affaire : les "Daleks" avait retrouvé son adresse et lui avaient adressé des avertissements explicites sur la sécurité de sa famille... Il ne voulait pas mettre en danger ceux qu'il aimait.  

Et Joseph, lui, comprenait cette réaction. La peur. Toujours la peur, cette peur qui guidait le monde et interdisait à la justice d'être rendue.  

Il s'était enfermé dans l'alcool. Avait perdu son boulot de consultant pour l'ONU, vu ses parents mourir de chagrin devant son état d'épave. Il avait tout perdu.  

Tout sauf sa rage et l'envie d'en découdre.  

Ses réflexes d'ancien agent du MI6 revenaient : ces gens se jouaient de lui et du reste du monde. Il se jouerait donc d'eux et leur ferait payer au centuple sa propre douleur.  

Jusqu'au bout.  

(Script original)