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Chpom Entertainment présente
Elle m'avait dit...

Un film de Rafael Calvet, présenté au concours Rouge.  

 

Thomas Levanon  

 

Lucy Camacho.  

 

*  

 

Ça y est, j’entrais dans son appartement. Aude était là, sur le seuil, une cigarette à la main et un sourire au coin des lèvres. Les rideaux rouges laissaient passer une douce lumière qui venait s’étaler pleinement sur son corps de rêve et sa robe rouge éclatante. Je venais pour un cours de danse privé, bien sûr. Rien d’autre.  

 

Effectivement, elle avait un grand salon qui permettait de répéter la chorégraphie. Je m’installais sur le fauteuil après avoir déposé mes affaires dans l’entrée. Elle s’installait au piano et, ses yeux perçants les miens, commençait à jouer un air que je reconnus composé par Brahms. J’en avais presque envie de danser. Elle le comprit et me fit signe de me lancer. Comme j’aimais improviser, je me levai et esquissai quelques gestes maladroits qui a eux seuls justifiaient ma présence à ce cours privé.  

 

Sur le thème « Rouge », j’avais éclaté deux semaines plus tôt. En cours, avec tous les autres élèves, je m’étais livré corps et âme dans cette improvisation avec piano. Pendant que je dansais, je pensais à elle, Aude. J’étais amoureux depuis des mois, je l’exprimais enfin. Avec mon corps !  

 

« Tu pourrais faire un beau danseur » m’avait-elle dit devant tous les autres. J’étais gêné, aussi n’avais-je pas répondu. Mais dehors, après le cours et quand les autres élèves étaient partis, je lui avais expliqué qu’il me plairait beaucoup de devenir danseur. Elle avait souri et m’avait proposé de venir prendre des cours privés chez elle, pour progresser. Sa maladroite façon de s’exprimer m’avait fait comprendre une chose : les sentiments que j’éprouvais envers elle étaient réciproques.  

 

La musique s’arrêta. Aude, qui venait d’enlever ses doigts du clavier, me regardait d’un air qui m’échappa. J’étais dans mon élément et persuadé d’y rester. Elle se leva et s’approcha, je baissai mes bras qui étaient restés suspendus dans l’élan. Sa bouche effleura la mienne. Toujours en gardant mes yeux dans les siens, j’allais m’asseoir au piano, unique fuite possible. Je commençais à jouer à mon tour.  

 

Elle avait voulu m’embrasser, c’était clair ! Pourquoi avais-je reculé ? Je n’avais que 19 ans, elle 28. Cette différence, peut-être. Elle m’impressionnait. J’avais complètement perdu les pédales et Debussy devait s’en retourner dans sa tombe tellement je massacrais son morceau. Aude en rigolait mais dansais toujours. A peine avais-je eu le temps de reprendre mes esprit que je réalisais la situation dans laquelle j’étais.  

 

Aude dansait toujours au rythme des timides notes sorties du piano à queue. Elle avait les seins nus et son état de transe m’atteignit. J’oubliais alors le regard extérieur que je portais sur moi même sans cesse et me mit à accélérer le tempo. Les notes s’enflammait à l’image du parquet sous les pieds d’Aude. En dansant, elle se déshabillait.  

 

Etait-elle le diable ? M’avait-elle jeté un sort ? Et lequel ? Je l’aimais, je la désirais. Totalement. Charnellement.  

 

Les notes s’arrêtèrent de nouveau. Pas Aude, qui continuait à danser comme dans l’eau, lentement. Nue. Je me levai. J’étais l’eau, je l’entourais jusque dans ses moindres recoins ouverts. Nus tous les deux, nous dansions dans le silence. Plus aucun regard, juste les corps qui communiquaient entre eux.  

 

Plus d’intellect, plus aucun contrôle. Le corps à l’état pur.  

 

Ce « jet de geste » comme elle appelait ça, finit au sol. Nous sûmes que c’était fini. Elle me regarda. Nous sûmes que tout commençait. Sur le parquet chaud, je lui fis l’amour. Ma première, comme si c’était la centième.  

 

*  

 

J’ai 21 ans. Je suis danseur en passe de devenir professionnel. On dit de mon corps qu’il est beau. On dit de ma danse qu’elle est gracieuse. Je monte un spectacle intitulé « Rouge comme moi ». Ce rouge qui m’inspirait tant. On dit que j’ai peut-être de l’avenir dans le métier. Peut-être ?  

J’ai toujours cru que c’était évident. Elle m’avait dit que ça l’était. Au début, oui. Plus les cours privés passaient, plus nous faisions l’amour, moins elle m’en parlait. Plus nous étions proches, plus la danse s’oubliait.  

 

Quand ce garçon discret est venu me voir à la sortie du cours pour « me parler d’Aude », j’ai pris mes deux années de relation avec elle, ma vie, mon passé et mon futur sur la gueule : lui n’a tenu que six mois avec elle. Heureusement : il a pu changer, se réorienter. Et puis, au fond, il aimait pas la danse, m’a-t-il avoué, il aimait Aude. C’est elle, avec tous ses compliments et ses encouragements qui lui avait monté la tête. Elle lui avait dit : « Tu pourrais faire un beau danseur » avant de l’inviter à des cours privés chez elle.  

 

Aujourd’hui, il est écrivain. Ça marche pas fort, dit-il. Et moi aujourd’hui, je suis quoi ? Je suis un danseur en passe de devenir professionnel.  

 

 

 

Scénario : (3 commentaires)
une série Z sentimentale (dramatique) de Rafael Calvet

Thomas Levanon

Lucy Camacho
Musique par Emmannuelle Cage
Sorti le 09 septembre 2017 (Semaine 662)
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