2012, Penrith, Angleterre  

Ce devait être le voyage du Renouveau. Le plus beau. Celui d'une vie nouvelle.  

Ruben (Stanley Jezek), récemment exproprié de son logement, avait trouvé chez une tante nécessiteuse le refuge rêvé pour les affaires qu'il ne se sentait pas de revendre. Au moins, si elle les cédait une bouchée de pain, il n'en saurait rien - croyant toujours dur comme fer que ces petites affaires sans grande valeur autre que sentimentale seraient conservées à jamais, intactes comme enrobées par le formol.  

Ruben ne se voyait pas revenir ici, dans cette banlieue pauvre du Nord de l'Angleterre de Cameron (David, pas James) sans avoir retrouvé un job et une base solide. A 29 ans, il avait toujours la vie devant lui.  

Son itinéraire était tout tracé : plein Nord, direction l'Ecosse et Crlanlarich - où son demi-frère par alliance le réclamait. Ruben était "technicien du spectacle", il s'occupait du son, de la lumière, des effets lors de concerts. La crise avait tapé dans les caisses des associations et les finances de ses employeurs avaient fondu comme neige au soleil.  

Son mariage avec Yasmina (Alice Brandon) avait battu de l'aile très rapidement. Yasmina, une chic fille qui n'avait pas réussi à se débarrasser d'une famille trop pieuse qui l'avait voué aux gémonies dès le départ. Le mariage civil, son refus des dogmes religieux en avait fait un paria, non seulement pour sa belle-famille, mais également pour les siens, convaincus et désespérés de savoir leur unique fils condamné à l'enfer.  

Criblé de dettes, le couple avait divorcé, Yasmina récupéré l'argent de la maison, Ruben perdu tout son matos. Le voici qu'il était devenu errant dans la petite brise veloutée et le brouillard de la cité. Au loin, il entendait le véhicule du laitier - le dernier de la région - desservir un hameau lointain. C'était la galère, mais il était vivant, le froid piquant ses yeux et ses lèvres le lui rappelaient.  

C'était déjà pas mal.  

Il avait pris la nationale qui menait à Carlisle - il savait que le noeud routier lui offrirait des opportunités d'auto-stop. Il n'avait jamais fait ce chemin-là autrement qu'en bus ou train mais sa carte de routard du pays lui permettait de se promener à peu près partout sans jamais être perdu. Arrivée sur la grande chaussée, il leva le bras machinalement tout en marchant. Quelque minute plus tard, un routier devait le "ramasser".  

"Les routiers sont sympas", c'est connu : celui-là était fan de Rick Astley. Le trajet jusqu'à Carlisle devait donc se dérouler dans une bonne humeur très eighties au son électronique des tubes du trio Stock-Aitken-Waterman repris joyeusement en coeur. Le routier, massif, venait du Maroc, et était originaire de Catalane - il avait toujours adoré le son "pop" anglais. En le quittant, Ruben était une fois de plus convaincu que la musique était ce que l'Angleterre avait jamais exporté de mieux.  

Carlisle sous la pluie n'offrait aucune perspective réconfortante au routard qu'il était. Parti très tôt de Penrith, il était arrivé pour Midi - le routier lui, bifurquait sur le port de Newcastle, plus à l'Est. La ville était moche, grise comme le reste du pays dans cette partie de l'année.  

Un calcul rapide s'imposa : pour arriver rapidement à Crlanlarich, il devait foncer sur Glasgow. Le problème est que sur l'autoroute, il n'avait pas intérêt à se faire ramasser par la Police de la Route.  

Il s'imposa donc de récupérer une nationale au plus tôt. Ce qui lui permit de croiser la route d'Amber Simmons (Alexandra Dolby). C'était une routarde qui, comme lui, avait choisi ce mode de déplacement pour raisons financières. Amber n'avait pas de chien et Ruben apprit rapidement que cette dernière avait fait partie de l'armée de la Couronne. Ensemble, ils partagèrent durant quelques heures leurs souvenirs de leur "vie d'avant". Elle avait de la famille à Edinburgh, but ultime de son voyage.  

Si Ruben avait consulté plus tôt sa carte, il se serait aperçu qu'une route plus directe y menait. Amber s'était sciemment éloignée du trajet le plus court.  

En fin de journée, alors qu'ils cherchaient - toujours sous la pluie et désormais trempés jusqu'aux os - un refuge, ils avisèrent une friche industrielle. L'endroit avait jadis été squatté par des zonards. Abandonné une seconde fois, ils en firent leur tanière sèche pour la nuit.  

Partis à l'aube bien décidés à trouver un véhicule, ils sont rattrapés par un individu nommé "Gus" (Saul Hewitt) qui fait également du stop. Gus vient de l'Est, ses vêtements souillés semblent sortir d'un établissement spécialisé et il n'a visiblement aucune idée de l'endroit où il se trouve, ne sait pas précisément où il va. Autant dire que ce troisième larron est un poids pour Amber et Ruben qui échangent, dépités, des regards désolés.  

En sortant de la Zone Industrielle, ils se trompent de chemin, leur attention détournée par le nouvel arrivant - une épaisse couche de brume matinale recouvre la région, bloque la visibilité et rend impossible toute orientation. Amber propose de revenir à l'usine en attendant une éclaircie - option rejetée par Ruben, pressé d'arriver dans n'importe quelle ville.  

Ils s'engagent sur une route. La visibilité réduite à cinq mètres. Ravi d'avoir trouvé des oreilles attentives, Gus n'arrête pas de parler, de lui, des autres - son discours tantôt philosophique, tantôt complètement incohérent commence à fatiguer ses nouveaux compagnons.  

Ils s'enfoncent un peu plus dans le brouillard persistant.  

(Script original)