"- Tu entends ces voix ?  

- Non…  

- Tends mieux l'oreille…"  

Mars 1990 - Briscanish, Nord de l'Ecosse - à quelques encablures de Helmsdale.  

Sur la falaise qui surplombe la vallée du village, Donald "Don" O'Reilly et sa fille scrutent l'horizon. La petite Carron ne sait pas pourquoi son père l'a réveillée pour l'amener ici, dans la brume du petit matin : elle a froid, elle a peur et n'a jamais vu son père poser sur elle un regard aussi fou.  

"- Là, tu entends ?!"  

Non, elle n'entend pas. Elle voudrait être dans son lit, serrer son doudou très fort, oublier ce qui commence à s'apparenter à un cauchemar. Ici, elle est dans ce fog humide et menaçant - des larmes commencent à perler sur ses jolies joues.  

"Papa, je veux rentrer, j'ai froid…"  

Mais son père ne l'entend plus, lâche la main de sa fillette et se rapproche dangereusement du rebord de la falaise : en bas, des roches et la mer du Nord, mauvaise. Il marche droit devant lui, en équilibre, comme un funambule ou une poupée à qui l'on dicterait ses dernières volontés.  

La petite fille crie. Un court instant, Donald s'arrête, se retourne et la regarde, les yeux en larmes et suppliant :  

"- Carron, souviens-toi toujours de ce qui s'est passé aujourd'hui."  

Un dernier pas et c'est le vide… Il tombe en silence et disparaît dans les flots déchainés.  

La petite fille reste sur place, tétanisée. Elle est retrouvée quelques heures plus tard grelottante mais vivante par la battue organisée par ses grands-parents.  

Mai 2020 - Aérodrome d'Helmsdale.  

Carron O'Reilly-Bonnemaison (Jewel Couscous) venait de poser le pied sur le tarmac écossais, une première depuis 20 ans pour la jeune femme devenue professeur d'histoire des religions… Revenir à Briscanish serait une corvée mais avec l'enterrement de sa grand-mamie adorée, elle consentait à ce sacrifice. Après, juré, elle disparaîtrait de cette terre maudite.  

Cette lande autour de Briscanish était l'oeuvre du démon.  

En réussissant un parcours scolaire exceptionnel, la jeune Carron avait vu s'ouvrir devant elle les portes de l'université. Son cursus focalisé sur les religions l'avait amenée à Paris puis en Floride - où elle s'était mariée avec le Pasteur Cletus Bonnemaison (Fabrice Fenton) qui l'accompagnait aujourd'hui.  

Cletus lui avait promis de rester en retrait des cérémonies religieuses : les grands-parents et la région de Briscanish était massivement catholique et on se demandait même parfois si certains ne vénéraient pas de divinités pré-chrétiennes.  

Après deux heures de route dans la lande fraiche et désolée, ils étaient sur place. Ils avaient loué une chambre dans le Bed&Breakfast local. Briscanish n'était plus un port très fréquenté : les dernières familles de pêcheurs étaient parties il y a cinq ans et la région se dépeuplait peu à peu. De 1 200 âmes, la population était tombée à 400.  

Une voûte nuageuse basse et grise plombait durablement l'ambiance. Pour Carron, c'est comme si rien n'avait changé depuis son départ. Comme si le temps s'était arrêté : les mêmes maisons, la plupart désormais abandonnées faute d'habitants, les mêmes sinistres faciès, la même mousse sur les murs d'enceinte, la même brise marine et les oiseaux qui, au lointain, vous rappelaient à votre statut terrien.  

Le couple avait retrouvé Lorrie McCorkindale (Lara Carlos) sur leur Facebook un peu par hasard. Toutes ces années, elle avait été un peu leur cordon ombilical avec le village natal de Carron. Lorrie les avait accueillis du mieux qu'elle avait pu, leur réclamant "des nouvelles du monde" comme si elle n'avait jamais été capable d'en prendre elle-même : ici, la réception TV dépendait du temps, la radio crachotait et l'internet s'était arrêté aux années 2000.  

A 17h00, la nuit était presque déjà là et des vents violents s'annonçaient.  

L'enterrement devait avoir lieu le lendemain, sous la direction du curé Flinnegan Winebagoo (Bernd Donaldson), également bourgmestre et seul épicier de la commune.  

Harassés par le voyage, ils s'étaient couchés tôt.  

… Donald …  

"… souviens-toi toujours de ce qui s'est passé aujourd'hui."  

Un corps brisé sur les rochers.  

Carron vient de se réveiller en sursaut. Les cauchemars, à nouveau - une première depuis son départ.  

Elle se tourne vers Cletus, elle veut se lover dans ses br…  

Il n'est plus là. Paniquée, elle se lève, sort de la chambre et… lui rentre dedans au moment où elle ouvre la porte.  

"Oh !?! Qu'est-ce qui se passe ? - tu es bien agitée..."  

Elle lui explique en pleurs qu'elle a cru le perdre - comme son père avant lui… Elle n'arrivera plus à dormir tant qu'elle restera ici. Elle le serre dans ses bras.  

"- Où étais-tu passé ?  

- Dans le couloir … J'avais cru entendre quelque chose.  

- Comme une plainte ?"  

Cletus, qui lui caressait les cheveux, se recule légèrement.  

"- Oui, sans doute le vent… Mais comm… ?  

- C'est la plainte des maudits - je te l'ai dit et répété : ce lieu est maudit, mauvais, perdu !"  

"La plainte des maudits" : c'est ainsi que Carron avait fini par verbaliser cette étrange et lointaine psalmodie venue de la mer, psalmodie qui avait emporté tant d'individus par le passé et qui à ses yeux relevait de vestiges des temps anciens - de malédictions ancestrales jamais levées qui dictaient leurs lois autour des rivages de la vieille Europe.  

Malgré la rationalité que son entourage avait voulu lui inculquer, Carron n'avait jamais fait le deuil de Donald O'Reilly : obsédée par ce qui avait causé sa perte, elle s'était plongée dans les études des mythes et légendes des créatures littorales, à commencer par les sirènes : on disait Donald fragilisé par le décès de son épouse - on parlait d'un suicide. Pourtant il s'était bien retourné vers elle ce soir-là, le visage triste, lui intimant de ne jamais oublier. Que sa disparition n'était pas accidentelle.  

Il avait entendu le chant d'une sirène comme tant d'autres avant lui (les victimes se comptaient par centaines à travers les siècles sans que jamais on ne s'y intéressât). Ce chant, il l'avait pris pour une plainte de sa femme. Il avait voulu la "rejoindre", l'aider - mais le prix de son sacrifice était d'abandonner Carron. Et ça, il ne pouvait s'y résoudre. Des sentiments contradictoires qui avaient dicté sa route jusqu'au précipice.  

Croire en Dieu, c'était croire au Diable. Croire au Diable, c'était croire en la manifestation du malin sous diverses formes : humaines, tragi-comiques, et parfois totalement dénuées de crédibilité apparente.  

Carron savait qu'elle avait affaire à ça mais ignorait comment combattre ce mal. Quelque chose en elle lui criait de fuir ces terres à jamais oubliées du Bien, mais autre chose - le souvenir des années heureuses avec son père et ses grands-parents ? - lui conseillait de rester.  

Rester pour découvrir la vérité, quelqu'en fut le prix à payer. Voir la Vérité en face : ne plus se cacher, ne plus fuir à l'autre bout du monde. Ne plus fuir ses propres démons. Et les autres, ceux qui avaient depuis des siècles semé la peur dans le coeur des Hommes.  

Mais comment ferait-elle ? Quels étaient ses moyens ? La Foi déplaçait des montagnes, mais l'Homme était-il prêt à mettre cette Foi en péril face à ce danger inconnu ?  

(Script original - tourné dans les Studios Futuro)