"Succe$$ !", "Un artiste mondialement célèbre".  

On trouve de drôles de choses sur internet. Prenez Howard Kwiat par exemple. Le jeune comédien cherche une tenue de soirée pour un mariage auquel il est convié chez des amis aux USA. Comme c'est un consommateur avisé et moderne, il s'en va consulter les meilleures offres de locations de tuxedos.  

Et voilà que de fil en aiguille, un hyperlien en entrainant un second puis un troisième, il se retrouve à nager dans les méandres d'un site sur lequel il est parvenu* : Yvette's Bridal Formal, ou Yvette's. "Chez Yvette". Le choc.  

Quand on a connu les couleurs chamarrées des premiers sites commerciaux de la toile réalisés par les particuliers, le contraste saute déjà aux yeux. Mais nous ne sommes plus dans les années 90 - et pour Howard, c'est un choc esthétique de l'esprit.  

Mais "Howie" est curieux : il parcourt le site et - curieusement - s'y perd avec bonheur. Le magasin existe "depuis 1980" mais aucune adresse visible, sinon une boîte postale à Panama City, Floride. Il se pince pour y croire. Il s'enregistre devant sa webcam pour ne pas perdre une seule seconde d'incrédulité.  

Il s'allume un joint et balance Panjabi MC sur son lecteur de médias. Grosse ambiance. Il finit la soirée complètement défoncé et bien décidé à creuser l'affaire. Il a complètement oublié les raisons premières de son surf sur la toile et le mariage de ses amis.  

Le lendemain, il en parle autour de lui et filme les réactions, il est extatique. Une recherche en ligne lui apprend que le site connait un statut quasiment culte, cela en raison de la personnalité fantasque de son designer, un certain Sean Terrence Best, autoproclamé "artiste mondialement célèbre" qui manie aussi bien le pinceau que la souris**.  

Sean dispose de nombreuses pages qui lui sont dédiées sur le site d'Yvette. Une page Facebook a même été créée à son nom par des fans tout aussi fascinés qu'Howard.  

Difficile de dire si l'artiste se prend au sérieux, s'il s'agit d'un fake rigolard ou s'il relève de la douce folie - voire du génie. A chacune de ses visites, Howard découvre de nouveaux liens, de nouvelles facettes du personnage : la mise en page du site, en plus de défier les lois de la logique et de la lecture la plus élémentaire, est une véritable vitrine des prétentions artistiques de l'intéressé : il propose plusieurs dizaines - voire centaines - de milliers de dollars chacune de ses toiles sans jamais en avoir vendu une seule, s'institue "Maitre de l'Alter-Réalité" artistique. Il a également créé un culte à l'image de Lyra Sarah, vaguement basée sur un syncrétisme "hypothèse Gaïa" / légendes d'Amérique du Sud - culte dont il est modestement "High Priest V8". Un personnage qui se reconnaît dans les plus grands génies de l'humanité - en particulier Leonard de Vinci.  

Howard s'échauffe...  

Des fils de forums lui sont consacrés. Le comédien apprend que certains sont même allés jusqu'à chercher le magasin : Sean est le fils d'Yvette - un garçon extravagant à qui elle a laissé les clés du site. C'est pour lui faire plaisir qu'elle a accepté ce design sans se faire d'illusion. L'explication paraît un peu courte pour Howard.  

Fasciné par cette étrangeté - cette douce folie qui l'emporte à chaque nouvelle consultation -, il décroche son téléphone et met dans la confidence Mehdi Touareg, réalisateur de documentaire : il y a base à un documentaire fascinant doublé d'une recherche et d'un entretien avec le personnage, décidément unique dans la sphère du net.  

La réponse de Touareg est une question, simple, tranchante - factuelle : "Tu as un producteur ?"  

Non : Howard Kwiat, acteur inconnu, n'a ni producteur ni budget et encore moins de distributeur. Pourtant, il ne se décourage pas. Il prend rendez-vous avec Touareg, lui expose son projet. Le metteur en scène n'est pas optimiste : lui-même vient de signer avec Big Bear Movies pour réaliser le making-of de S-K-A, une grosse production, et il ne veut surtout pas se griller. Il doute que quiconque soit intéressé par ce Sean Terrence Best, un "white-thrash pauvre" comme certains désignent les américains sans le sou.  

Néanmoins, il accepte gentiment d'accompagner Kwiat dans son tour des producteurs indépendants. Ils emmènent Lucy Forsey dans leur tour de Gérardmerveille : elle vient d'enregistrer La reine des océans et a un peu de temps à perdre avec Howard, un ami de longue date. Pour elle, c'est aussi l'occasion de déposer son book.  

Dès le début du périple, Touareg a le réflexe d'emporter avec lui sa fidèle caméra DV : il enregistrera tout de la saga, même si le film ne se fait pas.  

Pour Howard, désormais habité par son sujet, produire ce long-métrage est désormais une priorité : sont-ils en train de passer à côté d'un Grand de l'Art Contemporain du siècle ? Son obsession ne prendra fin qu'à la rencontre de celui qui est à son origine : un homme qui vit à deux pas du bayou et aux frontières de la folie.  

* http://yvettesbridalformal.com/  

** http://yvettesbridalformal.com/aboutYvettesPortraitPainter1.html  

(Script original)