Janvier 2043 - Conférence inaugurale de la SinCo Expo en parallèle du ComDex Las Vegas.  

"La nouvelle Rock Doll est une révolution, c'est pourquoi nous l'avons appelée RêveOlution. Grace à l'énorme succès de ses premiers modèles, SinCo peut désormais abaisser le ticket d'entrée au paradis à 300 000$ !"  

Sur l'estrade du Infinite Loop Hall, le séduisant et charismatique Stéphane Jobe (Mickael Glau) détaille les nouveautés de ses nouveaux modèles : plus de mémoire, d'optimisation, de fantaisies inédites, nouvelles capacités cognitives.  

"Vous n'avez pas la tête à la bagatelle ? RêveOlution peut aussi se transformer en incroyable auxiliaire de vie, en infirmière chirurgicale sans ajout de plug-ins - les capacités sont infinies."  

Dans les rangs du parterre de journalistes et visiteurs du ComDex, on est déjà séduit : il faut dire que la majorité de l'assistance a déjà un modèle. Et comme le nerd et le geek sont majoritairement masculins, SinCo réalise 75% de son chiffre d'affaires avec ses modèles féminins.  

"SinCo lance un formidable programme d'échange : la récupération de votre ancien modèle - même défectueux - contre une réduction de 90% sur l'achat de la nouvelle version !"  

Métro aérien de Kyoto, au même instant : Kobe Uazaki (Jason Byrne) regarde la retransmission de la conférence de Jobe sur l'écran de sa paume gauche - 15 heures à Vegas, 8 heures du matin ici, Kobe se rend au boulot comme d'habitude. Une Rock Doll, il en a une à la maison. Est-ce lui qui lui a insufflé la vie ou est-ce qu'il se fait des films ? Il aurait voulu sortir de sa vie pourrie, partir ailleurs en sa compagnie mais quelque chose l'a retenu : est-ce qu'il est devenu fou, est-ce qu'on l'internerait s'il annonçait que sa Lucy (Joanna Lawrence) est vraiment vivante ? - qu'à son contact il est devenu plus humain et elle devenue humaine, "pour de vrai" ?  

Bien sûr, elle reste faite d'un alliage de synthèse mais ce n'est pas la carcasse qui l'intéresse, c'est ce qu'il y a désormais au plus profond d'elle-même qui compte.  

Il a voulu se marier avec elle récemment, une demande désormais refusée par les autorités Kyotoïtes afin de ne pas encourager ce comportement avec les robots domestiques : le Japon souffre toujours d'un déficit chronique de natalité.  

La journée se passe normalement dans ses nouveaux bureaux - il a largement progressé dans sa hiérarchie - il surprend même ses collègues à baver sur les nouvelles Rock Dolls devant leurs écrans. Kobe ne sait que trop qu'elles sont avant tout d'extraordinaires outils de distraction, véritables esclaves sexuelles consentantes. Lui aussi est passé par ce stade. Entre-temps, la société ne s'est guère améliorée, dépendant de plus en plus des servo-mémoires et du silicone et de moins en moins du libre-arbitre de chair et de sang.  

Quand il revient chez lui ce soir-là, Lucy n'est plus là ! A sa place, se trouve au milieu du salon une jeune femme (Anastasia Buffett) qui l'accueille en petite tenue.  

"- Bonsoir Maître Uazaki, SinCo vous félicite pour l'acquisition de votre nouveau modèle : je m'appelle Lucy - l'ensemble de vos paramètres de configuration et vos préférences m'ont été communiqués."  

Non, ce n'est pas sa Lucy ! Où est-elle ?!? Alors qu'il navigue dans son agenda à la recherche du Service-Clients, "Lucy 2", comme si elle avait lu dans ses pensées, lui annonce que l'ancien modèle a été récupéré par les livreurs qui l'ont amenée ici avec le gardien.  

"- Mais je n'ai rien demandé !!  

- La clause de renouvellement figure pourtant sur votre contrat - page 19, Article 22 alinéa 15."  

Non, non, NON !! il parcourt rapidement le document vaguement téléchargé sur les bases de données de son néo-cortex. Complètement paniqué, il comprend qu'il aurait du lire son contrat de vente : ce dernier stipule bien qu'en cas d'échange encadré par un programme du fabricant, l'ancien modèle part au 'recyclage', "les données du client ayant été préalablement copiées sur le nouveau modèle."  

Et le contrat de préciser : "Dans le cadre de sa politique de confidentialité, tout recyclage d'unité obsolète comprend au préalable un formatage bas-niveau."  

Non, non, NON !! S'ils reformatent sa puce, Lucy, "sa" Lucy perdra sa conscience et lui la seule femme qu'il ait jamais aimée.  

Il reprend sa veste et sort de son penthouse en courant, accompagnée de "Lucy 2", à peine plus décente que tout-à-l'heure.  

Rome, Italie, au même moment : dans un appartement cosy du centre historique, Flavio Cipetti (Amaury Jodorowsk) arpente les couloirs. Flavio est développeur chez SinCo, ingénieur informatique chargé des programmes cognitifs et de la "persona" des séries Rock Doll - autant dire un boulot critique et forcément superbement rémunéré. Sous les ordres directs de Stéphane Jobe, il étudie de puissants algorithmes dispersés dans son appartement comme autant de tableaux lumineux projetés sur les murs. Il manipule le langage informatique comme un chef-cuisinier manipule ses ingrédients, à la recherche du meilleur compromis : du gouteux mais adapté à la clientèle.  

Plus tôt dans la soirée, aux alentours de Minuit, il a suivi la retransmission de la conférence de Jobe. Sacré Jobe, incapable de ne pas cabotiner et dénigrer la concurrence (larguée, il est vrai) devant l'imposant parterre des médias "techno" des quatre coins du monde. Tout le monde loue son "génie" alors qu'il n'est qu'un remarquable commercial. Mais lui, Flavio, aurait été incapable de vendre autant de Rock Dolls, de transformer SinCo en empire : l'initial "jouet pour adulte" est devenu un phénomène globalisé - et c'est à Jobe qu'on le doit, à son flair et à un remarquable sens des affaires doublé d'une discipline de fer et d'un choix pertinent de son entourage.  

Tandis qu'il repense à tout cela tout en compilant quelques nouveaux sous-programmes, il reçoit un message étrange en provenance de Kyoto.  

Les Japonais, leurs meilleurs clients des premières séries : malgré la crise, il est certain que la version 2.0 va faire un carton. Il se connecte sur la base de données. Un message du Service-Client et du programme de recyclage. Accompagné d'une vidéo. Un ancien modèle. Flavio analyse son numéro de série - un 1.2.6 visiblement mis-à-jour automatiquement jusqu'à la version 1.8. L'autre "coup" de Jobe : les mises-à-jour gratuites sans que le "maître" ne s'en soucie. Il sourit dans sa moustache et lance la vidéo.  

Une petite salle à l'éclairage cru et hospitalier : la Rock Doll est assise nue sur un tabouret tandis que des opérateurs s'affairent à lui retirer les membres supérieurs. La cyborg se présente comme "Lucy" au technicien hors-champs qui lui demande son authentification. Bizarre : l'employé a clairement énoncé la suite de mots qui sont la clé qui doit déclencher chez le modèle une description technique : numéro de série, version du logiciel, du firmware*, date actuelle et de première mise en service, nom et lieu de résidence du proprétaire, etc.  

Là, que dalle. Juste : "Mon nom est Lucy." Le timbre est resté identique, celui que le propriétaire a personnalisé. A ce stade, le cyborg a repris sa voix standard, monocorde et synthétique. Pas ici - on perçoit même de l'agacement chez le modèle.  

Le technicien hésite un instant, renouvelle sa suite de codes, réclame d'autres informations. Lucy tourne la tête vers ceux qui sont en train de la démonter, balaye le champs du regard, regarde la caméra.  

Flavio fait un arrêt sur image. C'est un regard perçant qu'elle jette à l'objectif : impossible sans modification rétinienne coûteuse. L'ingénieur télécharge le dossier du modèle : il n'a pas été amélioré, c'est du matos d'usine avec des réglages et un logiciel d'usine. Un bogue ? Une vidéo truquée ? Une mauvaise blague ? Ou autre chose ?  

Tandis qu'il lance sur un de ses écrans holographiques le programme sensé être présent sur ce modèle, il reprend la vidéo tout en réclamant communication avec Kyoto.  

"- Vous avez pas intérêt à m'avoir dérangé pour rien..."  

* coeur logiciel du matériel, présent habituellement sur la mémoire de la carte-mère.  

Générique de fin : Annie Lennox, No More I Love You  

(Script original, suite de Rock Doll (2017) : http://www.cinejeu.net/index.php?page=p&id=54&unite=fenetre&section=vueFilm&idFilm=13918)