"- J'en ai marre des films de zombies !"  

Nathan Whirlwind (Weston Drexler) et sa soeur Tess (Joanna Debney) sont devant un des petits cinémas du quartier ouvrier de Gérardmerveille. Au programme de la semaine : la rediffusion d'un slasher (du gore et des nénés) signé Carpet Films, un vieux torture-porn de chez Warner Interaction et ce soir, l'exclusif Festival "ZombieThon'2021", sous-titré "Quand il n'y a plus de place en Enfer, les pellicules des films de zombies reviennent" orchestré par un acteur de série Z (caméo de Sam Caine) du début des années 2000 et un concours de maquillage (dans le quartier ouvrier, on ne dit pas cosplay).  

"- Et en plus, ça va durer toute la nuit ! Et je connais tes copains, y'en a la moitié qui sera déguisée en monstres et l'autre moitié qui essayera de me peloter !"  

Tess est catégorique : cette nuit, pas de marathon à base de tripailles et de morts revenus à la vie pour un prétexte débile.  

Et pourtant, pas beaucoup d'autres activités en ce samedi du mois de juin. Les films de "prestige" sont tous dans le centre et à cette heure tardive, plus de transports publics pour vous amener (et encore moins vous ramener ici), Tess n'aime pas non plus se balader le long des immenses cités de béton (dont la moitié abandonnées - merci au renouveau des programmes immobiliers de la mairie), qu'elle soit seule ou accompagnée. Le soir, la zone lui fout la pétoche.  

Au moins, à l'intérieur, avec tous ces post-adolescents et 'geeks' attardés, elle serait en sécurité. Il est déjà 21h30, les organisateurs sont en retard pour ouvrir les portes.  

De mauvaise grâce, elle sort sa carte bancaire du sac. Nathan l'interrompt, lui fait signe que non.  

"- T'es déjà pas jouasse, tu vas pas payer en plus." Ce soir, c'est lui qui régale les places - et le pop-corn.  

Parce que ça fait 10 mois qu'il se prépare à l'événement, parce que sa soeur a pas à régler ses lubies - la loi l'obligeant à l'accompagner pour la plupart des films projetés ce soir (elle a 23 ans, lui 17).  

Et puis surtout - c'est pas parce qu'elle bosse depuis l'âge de 16 ans qu'elle doit tout lui céder. Lui passe le bac cette année et aura la chance d'aller en fac ; il a suffisamment de ronds pour lui offrir le "ZombieThon".  

Et puis c'est sa soeur, il en a qu'une !  

Il pourrait avoir une petite amie mais visiblement il cherche trop la "geekette" de ses rêves (de la culture, de l'intelligence et des nénés) - et celle-ci ne fréquente pas le quartier on dirait.  

A l'extérieur, ils ont pris la petite file d'attente. Il n'y a pas grand monde. Au loin, de gros nuages annoncent l'orage - une ambiance tout à fait cohérente avec le thème de la soirée.  

Alors que tout le monde s'installe dans la salle, l'hôte de la soirée égrène le programme sous les vivats des spectateurs : 4 films internationaux, des courts-métrages, des bandes-annonces, un montage parodique et quelques bonnes vidéos du net. Nathan trépigne d'impatience et Tess écoute poliment.  

Et comme cela était prévu, elle s'endort profondément au milieu du premier long-métrage, le Demoni de Lamberto Bava - et ce malgré le délire dans la salle.  

Puis un brusque silence, un mouvement qu'elle perçoit, des murmures et le bras de son frère qui la secoue.  

"- Réveille-toi, y'a eu une panne de courant dans tout le quartier, ils annulent la soirée - le générateur est "out".  

- J'ai dormi longtemps ?"  

Les organisateurs sont catastrophés, annoncent qu'ils rembourseront au cas par cas et commencent à prendre les noms… Tess ne veut pas attendre mais rentrer. Nathan s'y plie : il connait les proprios et ils ont discuté avec lui ce soir - lui, pas besoin qu'ils prennent son nom.  

Dehors, l'orage a laissé place à une petite pluie fine. Et glacée. Génial. Autour et à côté d'eux démarrent automobiles et mobylettes crachotantes.  

Par "chance", quelques spectateurs maquillés les accompagnent, prenant la même direction (zombies mais pas téméraires). Nathan discute un peu avec eux, il connait la plupart et avait déjà sympathisé avec les autres.  

Au bout d'un quart-d'heure, ils déconnent tous à jouer à "zombies et survivants" dans les rues désertées et assombries du quartier ouvrier. La pluie est oubliée et l'orage s'éloigne mais Tess bougonne :  

"- Vos conneries vont rameuter les flics de Cannon, vous voulez vraiment finir la nuit au poste ?" : comment des gars de 15 à 20 piges peuvent-ils être aussi… infantiles ? Mais elle-même n'ose hausser le ton comme si cela, finalement, était vain.  

Elle s'arrête soudain. Elle vient de remarquer qu'ils sont en train de passer devant son ancien collège.  

Son ancien collège abandonné.  

Les "zombies" et les "survivants" se regardent quelques instants, le regard pétillant, se comprenant sans un mot. C'est comme si un déclic s'était produit en deux : l'occasion est trop belle : Zombies + ruines à l'abandon + la nuit + téléphone portable = grand moment pour profil Facebook.  

"- N'y pense même pas !" Tess connait ce regard implorant de son frère. Elle a compris où ils voulaient en venir. Elle est probablement la doyenne du groupe, elle n'a pas envie d'avoir des embrouilles avec des zonards ou des dealers.  

Mais c'est trop tard : la petite troupe se fait déjà la courte-échelle pour franchir le mur d'enceinte.  

Finalement, et comme toujours, elle se laisse entrainer : elle se verrait mal expliquer aux parents qu'elle a abandonné son frère dans un lieu obscur au milieu de fanboys de Romero et Fulci.  

A l'intérieur, c'est du délire mais tout le monde parle en sourdine, comme si la mémoire du lieu en imposait à tous…  

Tess se souvient alors des jours qu'elle a traversés ici. D'autres parmi eux ont également connu l'endroit, juste avant son abandon sous l'ère du Maire Molchany, lui aussi plus intéressé par les opérations immobilières que l'avenir des générations futures de la ville.  

Ils finissent par trouver une classe vide presque en bon état. Ils s'y posent : ils sont cannés (ils ont beaucoup marché), certains ont appelé leurs parents pour les prévenir du changement de programme de la soirée.  

"- T'inquiètes, les portables ont le GPS, on pourra toujours nous retrouver." sourit un "macchabée" qui fait de l'oeil à Tess.  

Elle n'écoute plus - elle regarde autour d'elle et reconnait l'endroit : une ancienne salle d'Education Technique et Professionnelle.  

Et imagine - et si cela avait été différent ? Et si sa vie n'avait pas été rythmée par l'usine ou le compagnonnage dès la fin de sa scolarité obligatoire ? Et si ses parents lui avaient montré la suite que ce collège pouvait lui apporter ? Est-ce qu'elle serait devenue autre chose qu'une jolie fille un peu timide et conservatrice qui a du mal à lire un article de presse sans se prendre les pieds dans les mots ?  

Elle se tourne vers l'autre fille du groupe :  

"- T'as encore ta trousse de maquillage ?"  

Ce soir serait différent.  

(Script original)