Un choc puissant entrainant un craquement.  

Le sang lui coulait du nez et de la bouche, ce goût métalique auquel elle s'était désormais habituée en à peine quelques jours. Son regard était vide et dans sa tête elle se répétait incessemment ces mots "ce n'est qu'un mauvais moment à passer...". Un moment qui était sur le point de recommencer quand le poing massif du colosse se leva une nouvelle fois. L'endroit puait la mort, le bois était imbibé du sang des esclaves. Ce n'était pas comme ça qu'elle aurait voulu finir, mais ce dernier coup de poing ferait l'effet d'une masse et elle n'y survivrait sûrement pas...  

Une main empoigna le bras du colosse et une voix ténébreuse retentit.  

"C'est bon Ichar, elle a eu son compte"  

Le colosse grommela un instant puis se contenta de sortir de la geole en refermant la porte derrière lui. La jeune femme au visage tuméfié se sentait redevable de cet homme qui avait arrêté cette infernale torture. Il approcha son visage d'elle. Il était beau, ténébreux, ses yeux semblaient la dévorer sur place... Un sentiment étrange la parcourait... Mais il brisa le silence mystérieux qui commençait à s'installer en lui posant une question.  

"Mon nom et Saemon Loktar (Johnny Kaufman), et toi belle enfant, quel est ton nom ?" lui demanda l'homme qui la graçiait d'un merveilleux sourire.  

Apaisée, elle se sentait désormais en sécurité et tenta de lui rendre ce sourire. Mais sa bouche n'était que craquement pénible et douloureux, alors elle se contenta d'articuler, la bouche en sang.  

"Selena Idrovoz (Natalie Hubbard), je suis de la fam..." Mais la phrase n'ira pas plus loin, interrompue par un nouveau choc, plus violent celui-ci.  

Il lui semblait que tout tournait dans sa tête après ce coup, mais Saemon la fit revenir à la réalité en l'aggrippant par les cheveux et en lui beuglant qu'une esclave n'avait AUCUN nom. Puis il se mit à rire, fier du regard effrayé de la jeune femme accroupie à ses pieds. Il ressentait ce sentiment de puissance à chaque fois qu'il mattait ce bétail trop téméraire... Mais il faut dire que celle-là était vraiment amusante. Une esclave qui tente de s'échapper, c'est fréquent et ça se matte... Mais une esclave qui tente de s'échapper alors qu'elle est en pleine mer Méditérannée, c'est vraiment hilarant !  

"Ichar !" beugle alors Saemon. "Elle a eu son compte, ramène la dans la cale avec les autres."  

La masse entra dans la pièces et eu un petit sourire en observant la réaction animale de la jeune femme. Il empoigna d'une mains la chaine qui reliait ses deux frêles mains et la traina jusqu'à la cale. Selena se laissait trainer, entrouvrant les yeux et observant toutes ces autres femmes dans la cale. On la posa dans le tas, et la dernière chose dont elle se souvient avant de tomber dans l'évape, c'est ce bruit métalique très lourd qui se refermait sur elle et les autres. Ainsi donc, même une membre de la famille ducale de Crimée pouvait devenir esclave...  

Elle se réveillera en sursaut, une heure plus tard. Un réflexe animal la fit mordre ce qu'elle croyait être une main, provoquant une douleur effroyable au niveau de sa machoire supérieure qu'Ichar, le colosse avait broyée de ses mains. C'est cette douleur qui la fit lâcher prise et revenir à la raison. Elle était toujours dans la cale, enchaînée, et ce qu'elle venait de mordre était un essui imbibé de sang... ainsi que la main qui le tenait. Selena leva les yeux et eut un mouvement de recul en voyant la couleur de peau. "Une berbère !"  

Depuis toute petite, on lui avait raconté des histoires sur ces peuples à la peau sombre qui ne servait qu'à être de bons esclaves. C'étaient des démons sans âme... Elle lui jeta un regard plein d'animosité et remarqua qu'elle ne bronchait même pas. Elle se contentait de masser sa main. Mais Selena n'avait même pas remarqué qu'autour d'elle, dans cette sombre cale, ne se trouvaient que des esclaves venant de plusieurs coins d'Afrique...  

"Chuchottez sinon le garde reviendra mademoiselle..." demanda finalement la berbère qu'avait mordu Selena. "Je voulais juste vous nettoyer le visage." continua-t-elle.  

En quelques instants, le réflèxe xénophobe de Selena s'évapora et les deux femmes firent connaissance. La berbère s'appelait Malula Umbassa (Mathurin Cynthia) et était esclave depuis plusieurs mois. Elle venait d'une région d'Afrique que l'homme blanc ne connaissait pas, mais que les commerçants Arabes foulaient très souvent pour faire leur "moisson" d'esclave. Elle raconta à Selena ses premiers jours en tant qu'esclave. Tout comme elle, elle fit tout pour s'enfuir et éviter l'asservissement. Heureusement pour elle, Ichar n'était pas encore là car elle n'appartenait pas encore à Saemon. Mais les commerçants d'esclave de Zanzibar ont d'autres méthodes pour contrecarrer ces plans... Elle releva le vêtement en haillon qu'elle portait et lui montra quelques cicatrices. Chaque cicatrice représentait une tentative, chaque cicatrice provenait d'une intense brulure au fer rouge... Mais un jour, tout comme Selena, elle se résigna. Elle avait déjà quitté Zanzibar sans aucun espoir de retour vers son paysage natal...  

C'est en Alexandrie qu'elle fit la rencontre de Saemon... Il s'agissait d'un commerçant d'esclave Vénitois. Dans ce pays, plus rien ne ressemblait à ce qu'elle avait connu. Il faisait effroyablement chaud, on traitait les gens comme du bétail, la peau des hommes et des femmes était délavée, et pour certains blanchi par le mal... C'est ce qu'elle pensa jusqu'à comprendre que même des hommes et des femmes à la peau blanche pouvaient devenir esclaves...  

Selena connaissait bien la réputation de Venise. Il s'agissait du plus important port de commerce d'Europe, mais également de commerce d'esclaves. Mais elle connaissait tout particulièrement une partie de ce commerce dont elle fut indirectement victime.  

"Malula, connais-tu le commerce des âmes ?" demanda-t-elle finalement. Elle fut surprise d'apprendre qu'elle en avait entendu parler. Il s'agissait d'un commerce que seule la ville de Venise faisait... Du commerce d'enfant esclave. Les propriétaires rachetaient aux familles pauvres les enfants non désirés et pouvaient ainsi former de véritable machine du travail, de véritables "animaux de compagnie". Mais en quoi Selena était lié à ce commerce ?  

"L'homme qui était encore quelque jours auparavant mon époux a vendu mon fils en tant qu'esclave.". Les yeux de Malula s'écarquillèrent quant Selena lui révéla qu'elle provenait d'une famille importante de Crimée. Seulement la femme n'avait normalement pas son mot à dire lorsque l'homme de la maison prenait une décision importante. Mais pour Selena, son fils Yori, c'est toute sa vie... Et sans savoir vers quoi elle allait, elle fit irruption chez le marchand d'esclave qui avait acheté son fils.  

"20 florins, voilà pour quel argent l'homme que j'ai épousé m'a vendue..."  

Un bruit de fracas métalique suivi d'un beuglement les fit tout de suite taire. Saemon venait d'entrer et fit relever toutes les esclaves... Ils allaient bientôt arriver.  

"Bonne santé, bien traitée, qualitée orientale, slave ou venue du bout du monde ! Ne manquez surtout pas la marchandise que vous propose aujourd'hui votre fidèle serviteur, Saemon Loktar, commerçant de père en fils... " Ce qui était sûr avec Saemon, c'est qu'il savait y faire pour vanter les mérites de sa marchandise. De plus, sa réputation faisait qu'il n'attirait que les plus riches acheteurs. A venise, tout le monde connaissait le commerce Loktar qui fournissait les meilleures esclaves de toute l'Europe. Le doge, la plus haute autorité vénitienne, lui-même venait se fournir en esclave auprès de cet homme. Il n'y manqua pas et envoya une de ses fidèles concubines...  

"Amelia Danila... Quel plaisir de vous voir parmi nous, vous êtes évidemment prioritaire" susurra d'un ton mieleux Saemon vers celle qu'avait envoyé le doge. La jeune femme (Virginia Kosma) au regard autoritaire se contenta de snober l'ensemble des autres propriétaires qui attendaient leur tour. Même si une colère sourde se ressentait, personne n'osait s'exprimer. En tant qu'envoyée du doge, elle avait tout pouvoir et Saemon ne pouvait qu'attendre patiemment qu'elle fasse son choix.  

Sur l'estrade, il y avait 8 jeunes esclaves mises en ventes dont Malula et Selena. Même si elles ne se l'étaient pas dit, les deux jeunes femmes espéraient ne pas être séparées... Avoir pu se rapprocher et se parler leur a permis de retrouver une force dont elles avaient toute deux besoin. Mais Selena sentit son sang se glaçer lorsque la concubine du doge s'arrêta devant la berbère. Elle posa un doigt sur ses lèvres, l'air pensive. D'instinct, Saemon se précipita vers Selena pour ouvrir sa bouche, montrer qu'elle était en bonne santé. Et Amelia parut même très satisfaite. "Nous allons prendre celle-là".  

Alors même qu'elle prononça cette phrase, l'esclave (Karen Easdale) qui était de l'autre côté de Malula se jeta aux pieds de la concubine. "Par pitié, non, prenez moi plutôt, je serais une bonne esclave pour le doge !"  

Le visage d'Amélia s'illumina d'un sourire tandis que la jeune esclave enserrait la jambe. "Tu viens d'Istrie à en entendre ton accent... le doge aime beaucoup les filles d'Istrie..." Mais le sourire s'effaca aussitôt qu'elle asséna un grand coup de pied avec la jambe libre pour décrocher cette "sangsue". "Mais ne t'avises plus jamais de me toucher, esclave ! C'est finalement celle-ci que je prends."  

Toute cette violence dégoûtait Georgio Reviglio (Raoul Yusef) qui était membre du Conseil des Quarantes. Il faisait partie des rares personnes à considérer l'esclavage comme une nécessité commerciale, mais comme un acte des plus barbares. Cependant, le fait qu'il ne soit pas propriétaire d'esclave était mal vu en politique. Il était considéré comme un homme faible et s'était rendu compte que sa voix avait moins de poids à cause de ça. Il s'est alors décidé malgré toutes ses appréhensions sur l'esclavage qu'il devrait devenir propriétaire... Mais contrairement aux autres propriétaires, il traiterait convenablement ses esclaves...  

Du fait de son rang social, il était également prioritaire sur d'autres acheteurs, cependant il ne chercha pas à s'imposer et resta en retrait. Mais l'oeil aiguisé de Saemon le repéra et l'invita à monter avant les autres. Derrière lui, il entendait les gens citer son nom. Il savait très bien de quoi tous parlaient... Georgio Reviglio allait devenir propriétaire d'esclave, un acte politique de grande importance. Mais il était hésitant et mal à l'aise.  

Il se dirigeait déjà vers Malula qu'il avait repérée de loin. Son choix était fait, cependant il voulait absolument discuter avec l'esclave avant de l'acheter. "J'aimerais au moins savoir si elle a quelque chose dans la tête..." déclara-t-il à Saemon qui trouvait la demande bien étrange.  

Georgio posa en toute discrétion ses questions à Malula. Saemon avait beau tendre l'oreille il n'entendait pas ce dont ils parlaient.  

"Sais-tu parler notre langue ?"  

"Oui" répondit Malula "Je sais faire tout ce qu'un homme désirerait d'une femme, mais je ne sais pas écrire... Je n'ai peut-être pas ce que vous voulez dans ma tête. Mais je connais quelqu'un qui a eu une éducation royale, sait écrire et est venu à Venise dans un but précis."  

Surpris, le politicien eu envie de reculer. Il ne s'attendait vraiment pas à ce qu'une esclave lui parle aussi franchement... Il lui demanda qui, et détourna les yeux vers Selena lorsqu'il obtint la réponse.  

Après tout, deux esclaves achetées publiquement, c'est prendre officiellement position...  

"Merci ... m... maitre ?" déclara Selena.  

Georgio Reviglio avait accueilli les deux esclaves chez lui comme s'il s'agissait de vrais être humains, leur offrant à boire, s'asseyant finalement en fixant Selena.  

"Appelez moi Georgio... Mais avant toutes choses, expliquez moi comment la fille cadète du Duc de Crimée est devenue esclave."  

Surprise et soulagée, la jeune femme lui raconta toute son histoire... Mais l'homme politique la fit taire lorsqu'elle évoqua le commerce des âmes.  

Une rumeur lui était déjà parvenue aux oreilles concernant un tel commerce, mais il n'imaginait pas Venise comme en étant l'origine. Georgio, Malula et Selena allaient se lancer dans une investigation en plein coeur de la Venise florissante de l'époque Renaissante. Un homme qui découvrira en la personne de Malula une force de caractère troublante, capable de faire chavirer son coeur...