La pluie martelait les pavés depuis plus d'une demi-heure. Le vent frais d'Ouest commençait à se lever, venant chatouiller les vitrines des beaux magasins. Les passants désertaient peu à peu la grande rue piétonne du centre-ville Art Deco, fuyant cette eau tombée du ciel. C'est alors qu'un homme (Quentin Da Silva) arriva brusquement d'une petite ruelle alentour et s'engouffra dans cette rue. Il forçait le pas, les mains dans les poches et le crâne couvert d'un chapeau de feutre sombre. On aurait dit qu'il ne voulait pas être reconnu. Ni vu. Il se fondait parfaitement dans le paysage gris et triste, se mouvant avec aisance et rapidité…  

… lorsqu'un quidam le héla de l'autre côté de la chaussée.  

I dream of heaven  

I dream of heaven  

I dream of heaven, yeah*  

"- Propeller !"  

L'homme ne ralentit pas son pas - il n'avait pas cillé : s'il connaissait l'autre, il n'en laissait rien paraître.  

L'autre traversa la rue, manquant de se faire renverser par une des rares voitures passant par là. Il arriva très vite à son niveau, le dépassa puis se plaça en face de lui.  

"- Dis voir; cette putain de came que tu m'as refilée la semaine dernière..."  

L'homme regarda autour de lui - plus grand-monde, quelques badauds au loin, pas de caméras de surveillance à portée. Il prit le bras de l'autre et l'amena dans une impasse adjacente.  

"- Je t'ai déjà dis de ne pas m'appeler comm'ça dans la rue, connard."  

L'autre s'en fichait : ce qu'il voulait savoir, c'est pourquoi la drogue de synthèse qu'il lui avait achetée n'avait pas eu l'effet escompté sur la petite sur laquelle il l'avait testée.  

Propeller écouta et regarda le junkie droit dans les yeux tout en rapprochant discrètement sa main de la poche intérieure de son trench-coat.  

"- Ecoute, tu sais… Je teste plus tout ce que je vends ces temps-ci, et les effets de certains produits dépendent du métabolisme du client…  

- Métabolisme, mon cul : la gamine a canné devant moi ! L'a fallu que je fasse disparaître le corps ! Tu imagines pas la merde dans laquelle je patauge !!"  

Ca sentait l'overdose à plein nez - les risques de la came. Propeller leva les yeux au ciel, inspira un grand coup : l'air sentait la pisse. Quand il redescendit les yeux sur le visage de son client il avait déjà sorti une longue dague de sa poche intérieure.  

Le junkie ne vit pas le coup partir, son corps se soulevant sous la pression exercée par Propeller. On entendit des os craquer. La lame s'enfonça jusqu'au pommeau. Quand il la retira pour la nettoyer sur les plis de son manteau, il regarda encore quelques instants son ex-client se vider de son sang, étendu sur le bitume mouillé, parcouru de spasmes. Le poumon percé, du sang remontait à la glotte et commençait déjà à le noyer. On pouvait entendre des gargouillis sortir de sa gorge.  

D'un coup de talon sec, il lui brisa la nuque - autant ne pas prendre de risques. L'autre cracha un lourd filet de sang mêlé de salive sur le trottoir. Il arrêta de gargouiller. Propeller n'avait jamais été un tendre - son éducation, probablement.  

Il s'assura que personne n'avait observé la scène, dissimula le cadavre derrière des poubelles et reprit sa marche d'un bon pas. Il réajusta son feutre. L'image, ça comptait.  

Mais il revenait de loin : avant que l'autre ne l'accoste, il venait de vivre un mauvais moment, fallait pas lui baver sur les rouleaux : il sortait de chez un de ses meilleurs clients, propriétaire d'un penthouse en centre-ville. Ce qu'il y avait vu, jamais il ne l'oublierait. Jamais.  

I spy tears in thier eyes  

They look to the skies for some kind of divine intervention  

Food goes to waste !  

Le gars se fallait appeler Hightide (Robert Troughton), petit dernier d'une famille d'entrepreneurs à qui la ville devait beaucoup. Un gars qui lui commandait régulièrement un kilo de came pour satisfaire les convives de ses parties fines. Il réglait rubis sur l'ongle et réclamait sans cesse de "nouvelles sensations" à Propeller.  

Le dealer l'aimait bien, ce type : totalement amoral, richissime et une bonne couverture en cas de pépin. C'est pourquoi il l'avait invité à tester une nouvelle drogue issue des laboratoires lunaires.  

Le Mash.  

Tout le monde en prenait sur le satellite. Came militaire. Les organismes terriens n'était pas habitués - le cocktail était détonnant.  

Propeller avait compris trop tard la portée des effets secondaires du truc.  

High time we made a stand and shook up the views of the common man  

And the lovetrain rides from coast to coast  

D.J.'s the man we love the most  

Il revenait de l'appart' du centre d'Hightide. Il l'avait trouvé baignant dans le sang de plusieurs minettes qu'il avait ramenées d'on ne sait quel bordel. Il était nu, assis en tailleur, un couteau de boucher à la main. Il regardait les corps inertes en souriant, toujours sous l'effet du Mash.  

Quand Propeller était arrivé dans le salon, il s'était tourné vers lui, comme touché par la Grâce divine, le visage ensanglanté.  

"- Je ne rêve plus."  

Il avait overdosé le Mash, avait survécu et s'était entre-temps déchainé sur les filles. Leur avait ouvert le crane et ingéré une partie de leur cerveau.  

"- Je ne rêve plus."  

Il se rappelait ses cours de biologie. On lui avait apprit le siège des songes. Que le cerveau rêvait. Or, s'il ne rêvait plus par lui-même, peut-être le pourrait-il à nouveau en dévorant des parties bien précises de cerveaux.  

"- Je ne rêve plus." Il répétait cette phrase à l'envi tandis que Propeller commençait à se reculer. Oui, le Mash pouvait avoir ce type de répercussions sur l'organisme : perte de conscience, absence de rêves, paranoïa aigüe, délire meurtrier et psychose. Un risque calculé que son fournisseur, Marjorie Q. (Gaëlle Wilson), avait évalué à 0,001% des consommateurs.  

Un 0,001% qui le dévisageait à présent, le regard clair et éveillé, des morceaux de cervelle entre les dents...  

Kick out the style ! Bring back the jam !  

My flame is heart, My baby do as she please  

What good is living, when you live in disease  

Hightide était toujours assis… son cou et son crâne formaient un angle bizarre.  

"- Tu sais, elles me l'ont demandé… Elle m'ont demandé de le faire. Elles voulaient m'aider."  

Le doulos regarda autour de lui. Il essuya consciencieusement les traces qu'il aurait plus laisser en entrant dans l'appartement. Dehors, la pluie commençait à tomber. L'appartement s'assombrit très vite.  

"- Je ne rêve plus."  

Il préféra prendre congé, simulant un calme impérial.  

"- Tu me rappelles, hein ? Si tu en veux encore..." Hightide ne répondit pas.  

Propeller avait fui. Par les escaliers. Avait parcouru plusieurs pâtés de maison, prit des chemins détournés. Il continuait à marcher d'un bon pas quand son autre client l'avait accosté.  

Putain, il en avait perdu deux aujourd'hui.  

I dream of heaven, it's a heavenly place  

Why fall in love? when you can fall from grace  

With Johnny Panic  

Arrivé chez lui, Propeller téléphona immédiatement à sa grande soeur Carrie (Ezra Hoskins). Biologiste à la fac, c'est elle qui l'avait initié aux drogues. Elle s'était mariée depuis avec Marjorie Q. Les stupéfiants étaient un peu une histoire de famille chez eux depuis les années 70.  

Il essayait de garder son calme tout en exposant ce qu'il avait vu aujourd'hui.  

"- Il faut que tu informes Marjorie de tout ça, il va peut-être essayer de me buter ! Ce gars est devenu complètement taré !!"  

As the headline says you're free to choose  

There's egg on your face and mud on your shoe  

One of these days they're gonna call it the blues  

L'inspectrice Delggard (Evangelina Heaven) regardait les cadavres des jeunes femmes. Toutes décapitées. Hightide se tenait à ses côtés, visiblement paniqué et sous l'effet de calmants administrés par ses collègues.  

"- Je les ai trouvées comme ça quand je me suis réveillé ce matin. Je ne comprends pas."  

Delggard avait fait subir un test de dépistage à Hightide. Négatif. Il mentait bien sûr : ce trou du cul étaient un des intouchables que comptaient la cité, un de ses oligarques qui se croyaient tout permis - et les barons de la drogue avait toujours un train d'avance sur eux. Hightide avait frayé avec toutes les facettes du crime organisé. Mais trois cadavres dans son salon, c'était assez nouveau. Et c'était lui qui avait prévenu la Police.  

L'inspecteur Stepanelli (Weston Erotas) prit Delggard à part tandis que l'on amenait Hightide en cellule psy.  

"- A quoi vous pensez ? Réglement de comptes ? Avertissements des petits copains de Hightide ? Un trip qui aurait mal tourné ?"  

Juste avant de sortir de la pièce, Hightide se retourna vers les policiers, un mince sourire au lèvres :  

"- Inspecteurs … Est-ce que vous rêvez ?"  

Johnny Panic and The Bible Of Dreams  

I dream of heaven  

I dream of heaven, yeah  

(Script original pour le Concours "Tous égaux !", * inspiré par la chanson Johnny Panic and the Bible of Dreams de Tears For Fears)