Région de Cannasucre, bas Moyen-Age.  

Les brigands venaient de dévaster le petit village - la horde n'avait laissé aucune chance aux habitants des hameaux, pillant, violant, éviscérant avec une sauvagerie peu commune pour finalement ripailler sur la grand-place. Au zénith, ils avaient dressé un grand feu de joie dans lequel ils jetaient nonchalamment les têtes et membres arrachés d'hommes, femmes et enfants - victimes de leur barbarie satisfaite.  

La plupart d'entre eux n'étaient même pas des hommes, à peine des adolescents. Ils étaient menés par un prédicateur (Clement Drake) qui leur prédisait l'apocalypse à venir et leur intimait de redoubler d'ardeur…  

L'homme, à peine plus âgé qu'eux, s'étonnait d'ailleurs de l'absence d'église ou de lieu de culte en ce lieu. Il commençait à ne pas aimer ça : les villageois ne s'étaient apparemment pas battus, comme déjà exténués. Comme si leur force et leur destin ne leur appartenaient déjà plus.  

Aucun d'entre eux n'avait imploré une divinité supérieure.  

Un des brigands venait de donner l'alerte - quelqu'un approchait.  

C'était un homme de taille moyenne (Aurélien Delgrange), à peine mieux vêtu que les gueux qu'ils avaient occis dans la mâtinée. Un homme qui avait été attiré par le feu, inhabituel ici en ces heures.  

L'homme n'était pas armé et le groupe de semeurs de mort s'était réuni autour de lui. Il regardait en silence chacun d'entre eux d'un regard perçant - sans nul doute celui-là était-il un soldat ou un homme qui avait vu la mort.  

Le prédicateur s'était approché de lui, le sourire aux lèvres :  

"- Toi qui a vu plus de lunes que nous tous, dis-nous comment tu voudras passer ta dernière heure avant que l'apocalypse ne t'emporte."  

L'Apocalypse, c'était eux bien sûr. Mandaté par le seul vrai Dieu qui importât.  

L'homme regarda le post-adolescent. Quel âge avait-il ? 19-20 ans - l'âge d'ensemencer probablement, à la différence de nombre de ceux qui le suivaient. Il le dévisagea un instant, ce que l'autre prit pour une insulte :  

"- Tu as donc perdu ta langue, mes amis vont te la faire ravaler. Bientôt, tu crieras comme les autres..."  

Pour seule réponse, l'homme tendit le bras - un tentacule en sortit et rentra directement dans la bouche de l'infortuné bouche bée. Le tentacule se répandit littéralement en lui, drainant chacun de ses souvenirs, chaque minute de sa courte vie.  

Et l'homme vit. Il sut qui ils étaient, quelle était leur mission.  

Le tentacule se retira, le prédicateur vomit, se tordant de douleurs au sol.  

Dans les quelques secondes qu'avait duré cette pénétration orale, la troupe avait dégainé et se précipitait déjà sur l'homme.  

Les premières lames pénétrèrent sa chair sans qu'il en ressente la moindre douleur. Devant le visage consterné de ses adversaires qui commençaient à comprendre ce qui se passait, il laissa sa véritable nature prendre le dessus.  

L'homme perdit immédiatement sa forme humanoïde et se transforma en quelque chose de vil et repoussant qui prit la tête de l'un pour la réduire en bouillie en une fraction de seconde, déchiqueta les chairs d'un autre et laboura les organes d'un troisième pour s'en nourrir.  

Chaque fois que ses organes rentraient impudiquement en contact avec les corps des malheureux, il récupérait de précieuses informations.  

Il les massacra jusqu'au dernier puis retrouva sa forme humaine - forcément imparfaite et nue.  

Le prédicateur avait décampé. Il retournait à son point de départ. Maintenant qu'ils avaient été intimes, l'homme pouvait voir à travers lui sans que l'autre ne se sache.  

"Sorcellerie !" aurait hurlé un homme de bien, mais lui n'avait rien d'un sorcier.  

Il était démon depuis toujours et Krutupiuneei était le patronyme de sa famille. Ils avaient toujours hanté ces terres. Plus malins que les autres, prenant l'apparence de leurs adversaires de toujours, cette race de bipèdes qui prétendait régenter les affaires des continents.  

Le village, c'était ses gens. Il y a des siècles de cela, il avait semé terreur et dévastation - puis traversé les océans pour finalement s'établir ici et devenir le Maître de cette plaine. 250 années de tranquillité jamais interrompues - qui s'était jamais intéressé à la région ? Personne ! S'il n'avait été en déplacement avec sa demi-soeur perverse (Lydia Jurmann), il aurait pu prévenir ce massacre.  

Elle l'attendait à l'entrée du village. Si les brigands avaient pris par l'Est, ils seraient tombés sur leur demeure, modeste château peu fortifié (à quoi bon ?) et caché sur la colline par une épaisse végétation.  

L'homme en robe détalait plein Sud, vers les routes commerciales. Il courait comme un possédé. D'ici 3-4 jours, il croiserait probablement des caravanes, s'il survivait à son périple.  

Il revenait vers ses Maîtres.  

En lisant en lui, Krutupiuneei avait vu une femme (Sarah Kantelinen), prêtresse d'un culte obscur dont la finalité était le réveil de créatures oubliées au fin fond des temps et de l'espace. Créatures qui selon leur culte, avaient régné ici avant même l'arrivée de la vie.  

Krutupiuneei était un démon - il se savait ange déchu même si le reste de sa famille avait toujours assimilé cela à des vestiges de traditions. Il savait aussi que réveiller des formes de vie plus anciennes que Dieu lui-même n'était guère positif pour leur situation. C'était le chaos initial qui s'inviterait ici. Chaos que ces jeunes gens répandaient comme parole de l'au-delà.  

Krutupiuneei ne s'intéressait pas à ce qui arriverait aux hommes si ces créatures sortaient un jour de l'obscurité - l'homme n'avait jamais été une finalité à ses yeux : il s'inquiétait plutôt pour l'avenir de sa famille. Ils étaient des démons immémoriaux et lui tenait à s'assurer qu'ils demeurent sans concurrence sur ce créneau. Il était le Mal incarné mais connaissait son intérêt : s'amuser à faire souffrir et asservir toute forme de vie. Il n'avait aucune envie de partager ce qu'il considérait comme chasse gardée.  

Il ignorait encore le degré d'avancement des plans de ce culte mais comptait les prendre au sérieux. Il récupéra de nouveaux vêtements et intima à sa demi-soeur de rester sur place.  

S'il avait su qu'il était lui-même un pion essentiel dans le schéma de ces Créatures qu'il considérait désormais comme de nuisibles adversaires, il aurait probablement mis moins d'empressement à suivre la trace du jeune prédicateur...  

(Script original)