Un scénario de Sonia Loïs, avec :  

- Ivan Franke : Eathan  

- Matt Ador : Aron d’Asserf  

- Joanna Davis : Elmonde  

- Ivan Harrison : Iman  

- Sarah Constant : Dame Acéra  

- Billy Beal : Le prêtre  

Le jeune Prince Aron d’Asserf, l’héritier du trône d’Ahlmar, utilisait sa plus belle plume pour calligraphier un faux acte de mariage. Après près de quatre heures de travail minutieux, l’illusion était parfaite. Il avait recopié à la perfection chaque lettre qui composait l’acte de mariage de ses deux parents. Il ne restait plus qu’à appliquer la signature des deux époux et du prêtre qui scellait les liens devant Dieu.  

Inquiet, le prêtre regardait le faux d’un œil noir. Le Prince l’avait fait venir en pleine nuit pour une histoire dont il ne connaissait pas les détails. Aron prit son encrier rouge et trempa une plume plus modeste dans l’encre écarlate. Avec soin, il écrivit son nom et ses titres là où le marié devait le faire, signa rapidement et appliqua un buvard pour sécher l’encre. Le Prince tendit ensuite la même plume au prêtre, qui n’osa pas la prendre.  

« - Pardonnez-moi, mon Prince, mais j’ai quelque réticence à signer un faux. Daignez au moins m’expliquer ce que vous avez en tête. Avec qui voulez-vous vous lier ainsi ? »  

« - Avec Dame Acéra des Terres du Nord, mon père. »  

« - Dame Acéra ? Elle refuse pourtant de vous épouser. Vous savez bien que son cœur va au Duc de Pic. »  

« - Que m’importe maintenant où va son cœur. Notre Royaume est sur le point de tomber sous le joug de l’ennemi, ma mère la Reine a déjà été assassinée et mon père le Roi tarde à rentrer de campagne. Si je venais à trépasser, le trône d’Ahlmar reviendrait à ces guerriers du Sud. En épousant Dame Acéra… »  

Le prêtre grimaça en comprenant où le jeune Prince Aron voulait en venir.  

« - Vous lui offrez la couronne, mon Prince ? »  

« - Elle fera une Reine parfaite. Elle a l’âge de régner. Et seule l’armée du Nord pourrait nous aider à repousser l’ennemi. Qu’en dites-vous, mon père ? L’échange me paraît juste. Si elle sauve Ahlmar, elle en deviendra la régente. Ma famille ne survivra pas à cette guerre, je dois désormais penser à notre peuple. Je refuse qu’il devienne l’esclave des ennemis du Sud. »  

Le prêtre hocha la tête d’un air triste. Les armées du Sud étaient en effet trop cruelles pour le peuple d’Ahlmar. Lui-même faisait encore des cauchemars quand il repensait à l’horrible sort qu’ils avaient réservé à leur Reine. Combien de pauvres femmes avaient été trouvées mutilées devant les portes du château ? Combien de nouveau-nés avaient été jetés aux chiens des guerriers comme de vulgaires os de poulet ? La veille, les ennemis du Sud avaient obligé les hommes à éventrer leurs enfants pour sauver leur femme du viol.  

Si on laissait le trône à ce peuple des Terres Basses, les Ahlmariens vivraient en enfer jusqu’à ce qu’il ne reste plus aucun survivant. Finalement, le prêtre saisit la plume et signa à l’encre rouge cet acte de mariage falsifié. Il ne restait plus qu’à obtenir l’accord de Dame Acéra.  

« - Je ne signerai pas à sa place et l’acte ne restera pas ici. L’envoyer par oiseau messager serait trop risqué également. Je vais envoyer quelqu’un pour lui apporter le document ainsi que tous les bijoux porteurs du pouvoir royal. »  

« - Mon Prince, veuillez pardonner mon outrecuidance, mais je pense que quiconque se retrouvera en possession de tels objets préférera les voler et les utiliser pour leur confort personnel. »  

« - Je sais, mon père, mais il existe une personne à qui je fais totalement confiance. Quelqu’un de trop innocent pour me tromper et mettre en péril la survie de mon Royaume.»  

L’émotion serrait la gorge du Prince quand il remit le parchemin à l’enfant. Le petit Eathan n’avait que huit ans et il était comme le frère qu’Aron n’avait jamais eu. Il n’y avait qu’à ce fils de servante qu’il faisait suffisamment confiance pour une mission aussi importante.  

« - Tu veux que je parte, Aron ? » s’étonna l’enfant.  

« - Oui, je veux que tu ailles au Nord. Tu n’es plus en sécurité ici. Les ennemis du Sud te feraient du mal s’ils venaient à te capturer, tu comprends ? »  

« - Je comprends. »  

L’image de la Reine agonisante revint à la mémoire d’Eathan. Ses jeunes yeux bruns se brouillèrent un instant, mais sa fierté l’empêcha de verser une larme devant Aron. Quelque chose l’empêchait de pleurer la Reine si son propre fils restait stoïque devant de tels événements. Aron était courageux, lui. Alors Eathan n’avait pas le droit de pleurer.  

Le Prince lui remit ensuite une petite sacoche dans laquelle se trouvaient les couronnes royales, les chevalières et les autres bijoux d’apparat du Roi et de la Reine. L’enfant, curieux, ne put s’empêcher de les toucher, mais il n’y avait aucune convoitise en lui. Aron regrettait de devoir choisir ce garçon pour aller rencontrer Dame Acéra, mais personne d’autre ne pourrait être aussi loyal qu’Eathan.  

Patiemment, le Prince d’Ahlmar expliqua à son nouveau messager toute la situation. Il essayait de ne pas employer de mots trop violents ou trop complexes, mais malgré tout, il était en train de lui parler comme s’il parlait à un adulte. La guerre avait fait grandir Eathan trop vite. Aron n’oublia rien : la Dame Acéra, l’acte de mariage, les bijoux, le marché, et évidemment, l’avenir qui attendait le Royaume d’Ahlmar.  

« - Bien sûr, je ne te demanderai pas de partir seul, ce serait trop dangereux pour toi. Tu irais là-bas avec ma nourrice Elmonde et mon valet Iman. Tu les connais bien, n’est-ce pas ? Ils prendront bien soin de toi. »  

« - Oui, je crois qu’ils m’aiment. Ils sont toujours gentils avec moi. »  

Le Prince acquiesça. Tout le monde aimait Eathan : c’était un garçon adorable qui avait perdu ses parents très tôt. Mais il avait confiance en Elmonde et Iman pour l’amener jusqu’aux Terres du Nord. Et c’étaient deux domestiques qu’il aimait également beaucoup, les savoir saufs lui mettrait du baume au cœur.  

« - Mais tu ne dois jamais leur dire pour ta mission, d’accord ? Quoiqu’il arrive, tu dois garder le secret. Ne laisse personne voir ce que tu possèdes. Seule la Dame Acéra devra les toucher, d’accord ? »  

« - Oui Aron. Dis, elle est belle, la Dame Acéra ? »  

Aron rit en ébouriffant les cheveux du garçon. Si Acéra était belle ? Depuis la naissance, cette femme était une étoile. Combien d’hommes l’aimaient à se damner ? Lui-même avait tout essayé pour obtenir un peu de son amour. En vain.  

« - Oui, elle est sublime. Magnifique, gentille et juste. Je suis sûre qu’elle te plaira. »  

Satisfait, Eathan hocha la tête. Il sembla hésiter un moment.  

« - Dis, Aron… »  

« - Oui ? »  

« - Ça veut dire que je ne te reverrai plus jamais ? »  

Le sourire d’Aron fondit comme neige au soleil. Sa gorge se noua un peu plus et il ne put que baisser les yeux devant le regard brun plein de tristesses. Malgré sa volonté de rester digne, les lèvres du Prince se mirent à trembler.  

« - C’est bien ça, Eathan. Je pense qu’on pourra se dire adieu pour toujours. Tu vas me manquer, tu sais. »  

Iman, le valet personnel du Prince Aron, tenait les rennes des chevaux. Fatiguée, Elmonde restait à l’intérieur de la voiture. Elle avait passé la journée à pleurer, désespérée à l’idée de laisser le Prince seul au château à la merci des ennemis du Sud. Pour elle qui avait accouché d’un mort-né, Aron avait été son seul fils.  

Eathan restait aux côtés d’Iman, le visage fermé et les dents serrées. La sacoche était bien cachée sous toutes ses autres affaires. Le valet avait bien essayé de lui changer les idées pour lui rendre le sourire, mais le garçon ne pouvait visiblement pas oublier la tristesse qui l’habitait. Il avait cru qu’Aron serait avec lui pendant toute sa vie. Désormais, il n’avait plus personne. Un juron d’Iman lui fit relever la tête.  

« - Des soldats du Sud gardent le pont… Ils ne nous laisseront jamais passer ! » Eathan riva les yeux au sol. Il aurait dû rester avec Aron. Oui, quitte à mourir, il aurait préféré mourir avec le Prince qui avait été son frère.