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Gérard Cousin Prod présente
Jardin Intérieur

Ils sont seuls, seuls dans cette pièce immense et pourtant si petite. Elle (Chiara Amen) est nue couchée sur le sol, observant le plafond blanc comme une voute étoilée sans étoile et qui serait blanche. Lui (Vivian Kander) est nu aussi mais il est assis contemplant au travers de la fente la grisaille au dessus de Zagreb, des gouttes de pluie frappant sur les carreaux comme des larmes roulant le long d'une joue. Un chien se trouve dans la pièce, dans un coin, comprenant lui aussi la terrible sensation de manque de repère de ses maitres, comprenant leurs interrogations, leurs angoisses aussi...  

En fond, on entend l'Adagio d'Albinoni, la jeune femme parle finalement:  

-"Penses-tu que notre existence soit définie par ce que nous sommes ou plutôt par ce que nous ne sommes pas?"  

Le silence entre les deux amants est pesant, le vieux gramophone continuant à cracher les notes de l'adagio. Finalement, le jeune homme détache enfin son regard de la fenêtre et des gouttes de pluie pour lui répondre en la regardant:  

-"Nous ne sommes rien sauf les produits d'une société mercantiliste et castratrice, découlant d'une main-mise patriarcale à sens unique..."  

Il se tait, elle regarde toujours le plafond, lui la regarde, le chien les regarde...  

-"Alors la réponse à ta question est oui tout en étant non à la fois..."  

La pluie s'intensifie, l'orage se déchaine, mais eux ne bougent pas comme figés dans la position de quelconques statues abandonnées là par un sculpteur dépressif et n'ayant pas eu le courage de les terminer avant de se donner la mort...  

Oeuvres inachevées tant la négation de ce qu'ils sont ou ne sont pas est forte en eux, tant la substance même de leurs êtres sont mal dans leurs esprits et dans leurs chairs.  

-"Est-ce moral ce que nous faisons?"  

La jeune femme continue de fixer le plafond, son compagnon d'infortune reste assis, ne regardant plus le chien mais elle désormais:  

-"Refusons-nous la morale ou bien est-ce elle qui se refuse à nous?"  

Le jeune homme baisse les yeux vers le carrelage et une larme coule le long de sa joue, faisant ainsi écho aux gouttes de pluies qui tombent sur les carreaux de la fenêtre. Il passe sa main sous ses yeux, et dit:  

-"L'essence de nous même et de nos actions sont dans notre jardin intérieur, ce lieu qui nous définit en tant qu'humain, plein de rage animale mais aussi de la subtancialité de l'être qui forme chacun d'entre nous..."  

Le gramophone produit de légers craquements, le disque étant terminé depuis longtemps. Mais les deux âmes en peine n'ont pas la force ou le courage d'en mettre un autre: A quoi bon mener des actions dans ce monde où finalement on est absolument rien sauf un mort en sursis? Pourquoi vivre en sachant que tout est fini dès que l'on nait? L'humain est un survivant en sursis et tel le veau s'en allant à l'abattoir, l'homme avance inexorablement vers sa fin, l'esprit et le corps plein de doute, doute sur l'existence mais aussi et surtout sur la finalité intrinsèque de tout cela. L'orage se déchaine de plus en plus au dehors, eux ne bougent pas d'un millimètre, faisant presque déjà parti du néant tout en étant toujours vivants.  

-"Si vivre ne sert qu'à mourir, est-ce que mourir sert à vivre?"  

Le jeune homme se lève et fait face au chien et déclare:  

-"La réponse à cette question est dans la solution du problème en lui-même..."  

Toujours en s'adressant au chien, le jeune homme continue:  

-"L'amour que tu crois me porter est lui aussi une illusion tant l'amour en lui même dans sa substance n'existe pas non-plus..."  

La jeune femme reste sans réaction, comme ailleurs.  

-"Alors qu'est-ce qui nous lie si ce n'est l'amour?"  

Il se tourne vers la fenêtre et comme hypnotisé par la pluie qui tombe, il répond:  

-"La recherche mutuelle de la solitude passe par une recherche de compagnie, compagnie aussi vaine que fictive dans la réalité des choses car au fond, même entouré de milliers de personnes, ne sommes nous pas seuls, seuls avec nos angoisses, nos peurs et nos démons?"  

Le chien émet un petit couinement plaintif alors que le tonnerre gronde à l'extérieur.  

-"Alors que décidons-nous?"  

Le jeune homme se couche à son tour au sol, à coté de la jeune femme:  

-"Nous essayons de comprendre ce qui nous retient dans cette gangue de chair qui se décompose minute après minute, seconde après seconde..."  

La pièce est uniquement éclairée par la lumière venant du dehors, le bruit des gouttes frappant les carreaux devient une symphonie funèbre et exaltante, plus exaltante que la vie elle-même, plus mélodieuse que la création humaine la plus somptueuse.  

Ils restent là à écouter et à observer le vide du plafond, l'extase que cette observation leur procure est plus sublime que n'importe quelle action...  

La jeune femme fait glisser ses doigts jusque vers ceux de son compagnon, leurs mains s'étreignent comme deux amants fougueux alors que le reste de leurs corps ne bouge pas...  

-"Alors, m'aimes-tu?"  

-"Je n'en sais rien..."  

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Filmé en noir et blanc et en plans fixes dans une pièce n'ayant qu'un lit et une chaise, "Jardin Intérieur" est le film "concept" du réalisateur Gorka Marchena. On trouve au générique de ce film Vivian Kander et Chiara Amen.

Scénario : (2 commentaires)
une série Z dramatique (Un Certain Regard) de Gorka Marchena

Vivian Kander

Chiara Amen
Sorti le 19 mars 2022 (Semaine 898)
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