- Bonjour. Je suis Arnaud Lecoutre. J’ai rendez-vous à quinze heures avec Maître Voucy.  

La secrétaire vérifia l’agenda et prévint par téléphone l’avocat que son rendez-vous était arrivé.  

Après seulement deux minutes d’attente, Maître Voucy vint à la rencontre d’Arnaud Lecoutre et l’invita à entrer dans son bureau.  

- Asseyez-vous, et dites-moi ce que je peux faire pour vous ?  

Arnaud lui raconta alors le pourquoi de sa visite : sa femme demandait le divorce.  

Il raconta que plus rien n’était pareil entre lui et sa femme.  

Ils se rencontrèrent à dix-sept ans, se marièrent à vingt, et divorçaient aujourd’hui, sans avoir eu le temps (mais l’ont-il réellement penser ?) de fonder une famille.  

Il n’avaient rien à se partager hormis les quelques meubles acheté lors de leur aménagement dans cette location qu’ils s’étaient promis de n’occuper que deux ou trois ans avant d’acheter une maison, ce qu’ils n’ont jamais fait.  

La décision de divorcer était venue simplement.  

Elle lui avoua ne plus avoir de sentiment pour lui, il la comprit et lui avoua la même chose.  

Il ne la désirait plus comme au début, et elle n’avait plus envie de se rendre désirable pour lui.  

Cela s’était éteint, lentement, tel un feu de cheminée que l’on ne nourrit pas.  

Une fois l’entretien terminé, Arnaud rentra chez lui, dans cet appartement vide qu’il devrait quitter s’il ne voulait pas se ruiner en continuant à régler un loyer désormais trop lourd pour lui seul.  

Vers vingt et une heure, on sonna.  

Il ouvrit et fut partagé entre la joie et l’agacement quand il vit son ami Franck accompagné de deux personnes qu’Arnaud ne connaissait pas.  

- Salut mon gars. Je me suis dit que ça te plairait de sortir boire un verre ce soir pour te changer les idées. Ça te tente une viré avec Zacharie, dit Zaza pour les intimes, et Ahmed ici présents ? dit Franck en présentant ses deux amis.  

- Non merci, répondit Arnaud en souriant poliment. Sans vouloir te vexer mon Francky, je doute que l’endroit où toi et tes amis comptaient vous rendre me plaise vraiment.  

Comprenant l’allusion, Franck répliqua :  

- Et alors, c’est ouvert à tout le Monde ! Tu crois que les videurs vont te mettre un doigt dans le fion pour vérifier que tu es vraiment de la jaquette ? Tu ne risques rien. Si un mec te dragues ou se colle trop à toi, tu lui dit que tu hétéro et que tu es venu avec des potes homo, c’est pas plus compliqué que ça !  

Arnaud réfléchit un court instant et accepta. Il devait effectivement se changer les idées, et un bar, qu’il soit homosexuel ou non, était un excellent endroit pour penser à autre chose qu’à son divorce.  

Il était vingt-deux heures, et Arnaud s’amusait « follement » avec Franck et ses amis. Le dénommé Zaza était extravagant comme le peuvent-être les « folles tordues », comme les appelaient Arnaud, mais ici, ça ne choquait pas.  

C’est en se tournant qu’il vit un visage familier juste à côté de lui.  

- Ca alors ! Maître Voucy ! Vous venez déjà me réclamer des honoraires ? lança-t-il en riant.  

- Non non, répondit l’avocat d’un air amusé. C’est le hasard. Je ne savais pas que vous fréquentiez ce genre d’endroit.  

- Oh non, c’est très rare, expliqua Arnaud. Je suis venu avec des amis. Eux sont pédés, alors ils préfèrent sortir ici. Et vous ?  

- Moi aussi.  

- Vous avez des amis homos ?  

- Non, je suis homo ! répondit l’avocat en riant.  

Arnaud resta ébahi un cours instant.  

Depuis qu’il était devenus amis avec Franck à l’université, il avait moins de préjugés sur les gays qu’avant. Il savait que ce n’était pas tous des follasses dégénérés ou des transsexuels pervers. Il savait qu’un avocat dans son costume sans aucune manière efféminée pouvait être homosexuel. Mais voir celui qui était maintenant « son » avocat dans ce genre de bars le laissait un peu pantois.  

- Ça vous gêne ? demanda Maître Voucy.  

- Non. Je n’ai pas de réticences envers les gays, même si je ne les fréquente pas assidument.  

La conversation continua, et ils passèrent d’un sujet à l’autre, parlant de politique, des actualités, de sports et de leurs souvenirs respectifs de jeunesse.  

Vers deux heures du matin, Arnaud rentra chez lui et s’endormit avant d’être réveillé vers neuf heures par son téléphone.  

- Allo ? dit-il en prenant le combiné à moitié éveillé.  

- Bonjour, c’est Antoine… Maître Voucy si vous préférez… je me disais… ça vous tenterez d’aller boire un café cet après-midi ?  

- Pour parler de mon divorce ? demanda de manière suspicieuse Arnaud.  

- Oui… enfin… entre autres choses.  

- Écoutez Antoine, on a passé une bonne soirée hier, mais sachez que bien que vous soyez très sympathique, je ne souhaite pas une relation autre qu’amicale ou professionnelle entre nous.  

- Oui, entendit-il dire Antoine à l’autre bout du fil. Je suis désolé… c’est de ma faute, je me suis imaginé… enfin bref… si jamais vous changez d’avis, je serais à seize heures au bar d’hier. Si vous ne venez pas, on se reverra mardi à mon cabinet pour parler de votre divorce… à moins que vous ne décidiez de changer d’avocat.  

Quand Arnaud raccrocha, sa première réaction fut la colère, puis, la matinée passant, elle fit place à de l’amusement. Lui, se faire draguer par une tantouse. OK, il les aime bien ces gens-là, mais quand-même, il y a des limites.  

Et puis, petit à petit, il repensa à la soirée de la veille et aux bons moments passé avec son « prétendant ».  

Lorsque vint seize heures, Arnaud tournait en rond, ne sachant ce qu’il devait faire.  

C’est vrai qu’il est sympa ce gars. C’est vrai aussi qu’il est plutôt mignon. Et puis, lui-même n’avait-il pas déjà, lors de son adolescence, pratiqué la masturbation réciproque sur un de ses camardes lors d’un camp de vacance ? Ne continuait-il pas regarder le sexe des autres hommes dans les vestiaires du club, juste comme ça, "par curiosité" ? Une relation amoureuse, ou, pourquoi pas, uniquement sexuel, avec un homme le rebuterait-il autant que ça ?  

A seize heures cinq il prit ses clefs et quitta son appartement en direction du bar en se disant, qu’après tout, et si la cause du ratage de son mariage n’était tout simplement pas qu’il s’était trompé en tombant amoureux d’une femme ?