Epernay.  

La grande demeure familiale était décorée de toutes parts, habillée de rubans colorés ou autres ballons rouges. La pièce est comble, il y a même du monde dehors, sur la terrasse. Tout le monde s'embrasse, heureux de se retrouver depuis tant de mois. On se laisse aller à des plaisanteries faciles, on rigole. Car aujourd'hui est un jour spécial. Oui, aujourd’hui, Olivier fête ses quarante ans.  

Les plus jeunes enfants sont collés à leur mère, les plus âgés, plus sages, restent simplement assis sur le canapé, attendant seulement que cette longue et ennuyante journée se termine. C'est le cas de Maxime et Lucas, deux frères.  

Soudain, quelqu'un arrive par le jardin. Bernadette. La joyeuse ambiance qui régnait se dispersa aussitôt en voyant que c'était elle. Elle était accompagnée de sa fille, Anaïs. Mais il y avait une chose : Bernadette était en fauteuil roulant.  

Les adultes essayaient tant bien que mal de faire comme si tout allait bien, mais l'ambiance joyeuse qui régnait il y a peu encore n'était plus. Les sourires et les rires étaient forcés. On évitait ainsi soigneusement de parler d'une quelconque maladie, pour ne pas blesser Bernadette encore plus. Elle souffrait d'une sclérose ; elle ne pouvait presque plus bouger et avait du mal à parler.  

Anaïs avait rejoint les deux frères, qui étaient à peu près les deux seules personnes à qui elle pouvait parler, se confier...Malheureusement, leur cousine, Lili, les avait suivi. A 6 ans, elle était totalement ingérable. Elle avait pour habitude d'enchaîner les caprices et d'embêter son petit monde. En la voyant débouler, les trois adolescents soupirèrent ensemble. Si en plus, ils devaient supporter ça...  

- Anaïs, viens jouer à la poupée !  

- Non, Lili.  

- Alleeeeeez !  

La gamine était sur le point de piquer une de ces crises dont elle avait le secret. Maxime intervint :  

- Moi, j'ai plutôt envie de jouer aux cartes. Tu peux aller chercher le jeu, s'il te plaît ?  

Lili se leva d'un coup et courut chercher le jeu de cartes. Pendant ce cours laps de temps, Maxime, Lucas et Anaïs avaient disparu.  

Ah, que c'était bon de pouvoir échapper enfin à cette peste de Lili ! Mais les trois jeunes gens avaient profité de l'occasion pour échapper à l'interminable après-midi qui se dessinait à eux et étaient donc partis faire un tour. Ils rentreraient pour le début du repas, ce qui leur laissait au moins une bonne heure et demie.  

Il faisait frais et un léger vent soufflait, aérant l'esprit, soulageant le corps. Maxime, Lucas et Anaïs marchaient dans les rues pentues, les mains dans les poches, trop heureux de pouvoir échapper à cette énième réunion de famille. Un petit réservoir d'eau à ciel ouvert se dessinait déjà, grillagé tout autour. Lucas ramassa une pierre, la jeta dans l'eau. Elle coula à pic. Anaïs prit un petit galet à son tour, le lança.  

- Quatre ! Qui peut faire mieux ?  

Maxime s'essaya à son tour aux ricochets. L'expédition ne faisait que commencer.  

Maxime montra du doigt le caniveau en forme de V, où s'écoulait un mince filet d'eau.  

- Tu te souviens quand on faisait des barrages ?  

- Oui !  

C'était le beau temps. Tous les trois se voyaient plus souvent. Et puis, Bernadette n'était pas malade. La balade reprenait alors tranquillement. Lucas en profitait pour dire tout haut ce que les autres pensaient tout bas à propos de Lili. L'on progressait désormais à travers les chemins de terre, entre les vignes de ces nobles coteaux. Anaïs cueillit une grappe de raisin qui n'était pas mûr, et entreprit d'en lancer les grains sur la tête de Lucas. Il se retourna, et lança à son tour. Une véritable petite bataille de grains de raisins commençait.  

Cela faisait bien trois quarts d'heure qu'ils étaient partis à travers les vignes. Trois quarts d'heure qu'ils grimpaient sur les coteaux. La lisière du bois se rapprochait petit à petit, à mesure que le ciel se couvrait. Les mollets de tout le monde commençaient à devenir un peu durs. Pourtant, cela faisait bien longtemps qu'Anaïs ne s'était pas sentit aussi bien. Humer l'air des vignes, se dégourdir enfin les jambes, voilà ce à quoi elle aspirait. Ne plus parler des problèmes de sa mère la soulageait.  

Maxime était à la tête du petit groupe depuis le début. Sur son visage également, on pouvait voir un joli sourire qui se dessinait. Ils étaient désormais arrivés à la hauteur des bois. Maxime s'arrêta net. Lucas continua et lança gaiement :  

- Tu te souviens tu temps où on construisait de belles cabanes avec les branches des arbres ?  

- Oui !, répondit Anaïs.  

- Max, tu viens ?  

Il ne répondit pas. Il avait le regard fixé sur l'écran de son téléphone portable. Un message de sa mère était affiché : Bernadette est morte.