Deux corps s'effleurent, se caressent, glissent. La gestuelle est douce et incertaine. Il abaisse peu à peu son siège, et elle en fait de même. À la belle étoile, seulement éclairés par la toile, les deux amants s'éveillent.  

Gene (Logan Horowitz) et Sandy (Alice Andrews) assistent, distraitement, à la projection de Bonnie and Clyde. Leurs corps s'embrasent en cette nuit d'été. Encore un geste et leurs chaires s'enflammeront. S'ils faillissent, ils seront littéralement calcinés par les flammes éternelles des enfers, se rappelle-t-elle. C'est ce qu'elle a répété tout l'été au camps chrétien de Swan Lake où ses parents l'ont envoyé. Alors, pour échapper au mal, elle ouvre les yeux, écarte la main de l'assaillant, et se relève. Il aimerait aller plus loin, mais n'insiste pas ; il n'en espérait pas tant. Ils sont jeunes, trop jeunes pour l'Amérique puritaine des années 60. La révolution sexuelle n'en est qu'à ses balbutiements.  

Ils n'attendent pas la fin du film, il est déjà tard. Ils ont finalement peu suivi l'histoire, alors qu'importe. Sandy se recoiffe, reboutonne sa chemisette ; Gene n'en à que faire, il vit avec sa grand-mère qu'il ne rencontrera pas en rentrant, sauf imprévu. Il enclenche la marche arrière, et sa Ford disparait hors du Drive-in theater.  

Ils échangent quelques mots, quelques commentaires sur le dernier épisode de Mission Impossible, quelques craintes à propos du devoir de mathématiques à venir. Il passe sa main dans la longue et blonde chevelure de son amie. Elle ne le repousse pas. Il la regarde, lui sourit, n'a pas le temps de réagir alors qu'une voiture arrive à une folle allure dans leur direction, ...  

Il a réussi, à temps, à dévier son véhicule pour éviter le choc. À le dévier sur le bas-côté de la route, au seuil d'un champs de maïs. Leur souffle, d'abord coupé, commence à redoubler, tout comme les battements de leur coeur. Ils s'extirpent hors du véhicule. Alors que Gene relève tous les dommages causés par l'accident, Sandy lève l'index en pointant la voiture qui a failli les emboutir. Elle a fini sa course de l'autre côté de la chaussée, dans un arbre. Elle accoure, avant de pousser un cri totalement dissonant. Gene la rejoint et comprend son hystérie : le conducteur baigne dans son propre sang. L'être a été défiguré par la collision, mais sa chevelure laisse penser qu'il s'agissait d'une femme. Gene tente de paraître infaillible, alors que Sandy a trouvé refuge dans le creux de ses bras. Il aimerait partir, fuir, mais il ne peut se dérober et maintient son regard sur les boucles ensanglantés de la défunte. Mais peu à peu, son attention dérive ; sur la banquette du passager, sont éparpillés des centaines, peut être même des milliers, de billets verts épargnés par les giclées de sang ...  

« Eh regarde ... là ... ça ... tout ça ... ».  

Sandy, lentement, se retourne, entrouvre ses paupières. Gene lui indique l'objet de son bredouillage. Des dollars jonchent le siège, et même l'arrière du véhicule. Gene ouvre la porte de la voiture, empoigne des coupures, approche sa main pleine tout près de ses lèvres et souffle. Les billets s'envolent. Il resserre son poing, le place devant sa bouche. Ses yeux sont fixes, immobiles. Il réfléchit. Et soudain, il laisse apparaitre un timide sourire sur son visage. Il se retourne, palpe les billets et se fige, avant de faire surgir une large valise recouverte jusqu'alors par l'abondance de billets verts.  

« Elle a failli nous tuer. Et puis ... imagine ce qu'on pourrait faire avec cet argent, pense à tous les désirs fous qu'on pourrait satisfaire ...  

- Oui, et puis de toute façon, si ce n'est pas nous, ce sera un clochard ... »  

Très vite, Sandy propose de cacher l'argent. Ici, sur place. Quelque part dans le champs. L'argent étant sans doute sale, il pourrait être recherché pendant un certain temps. Dans un mois, peut être deux, ils pourront tranquillement revenir chercher l'argent et en faire ce qu'ils désirent. Mais pour l'heure, Sandy suggère d'enterrer le précieux pactole. Elle rassemble les billets, les range dans la valise, délicatement, soigneusement.  

La lune est ronde et déborde de clarté. La route s'étend sur le plateau, semble se frayer un chemin au milieu des plantations. De part et d'autre, les deux véhicules accidentés demeurent, réduits à l'impuissance, à n'être que des épaves totalement obsolètes.  

À quelques mètres de là, les deux adolescents s'enfoncent dans l'infini champs de céréales. Gene repousse, balaye les longues tiges pour tracer son chemin. Sandy suit, insensiblement, la très chère mallette à la main. Une fine sonorité, faite de ululements, de stridulations et du doux murmure du vent, accompagne leur marche insensée. Soudain, ils s'arrêtent.  

« Ici, c'est parfait. »  

Gene acquiesce.  

Elle recompte les coupures, tandis qu'il commence à creuser du bout des doigts. Difficilement, lentement, il s'enfonce dans le sol. La niche se creuse, se fore, s'approfondit. La tâche est laborieuse, malaisée, mais les additions formulées par Sandy le stimulent.  

Mais soudain, un vrombissement provenant de la route, se fait entendre. Le son semble se rapprocher et puis tout à coup s'interrompt. Gene et Sandy se lèvent, se regardent, puis se tournent en direction de la route. Ils sont attentifs au moindre bruit. L'assurance de Gene vacille. Il s'interroge, se questionne ; peut-être est-ce trop risqué ? l'argent, même en cette quantité, n'en vaut probablement pas la peine ... Sandy lui ordonne de se taire. Il se soumet. Mais au loin, quelqu'un semble se rapprocher. Le froissement de l'herbe sèche sous ses pas indique une cadence régulière, sûre. Il suit les traces laissées par le passage du jeune couple. Gene, encore une fois, propose de tout abandonner, de s'enfuir. Et alors qu'il mesure une dernière fois, avec ses bras, la profondeur de son ouvrage, la malle renfermant leur fortune s'abat sur lui. Neuf fois. Le temponnement est violent, brutal. Emportée par l'angoisse, Sandy vient de commettre un meurtre. Le corps de Gene s'effondre. Le cadavre sombre dans la fosse. Le malheureux a creusé sa propre tombe ...  

Alerté par les cris que Gene a lâché en expirant, l'inconnu semble avoir hâté son pas. Sandy attend, doute. Elle n'a plus d'autre choix que de fuir, mais n'ose pas courir. Les bruits causés par sa fuite pourrait éclairer l'étranger sur sa position, et précipiter sa fin. Il n'est plus qu'à quelques mètres d'elle. Sa respiration s'atténue, mais le tambourinement de son coeur enfle. Elle est pétrifiée. Elle maintient fermement ses doigts sur la poignée de la malle. Elle ne peut plus hésiter ; encore quelques foulées et il se retrouvera face à elle. Elle se met d'un coup à courir, à cavaler au milieu du champs, sans aucune discrétion. En même temps qu'il l'interpèle, il se met lui aussi à courir. Le poids de la valise la ralentie, la freine, mais elle ne peut absolument pas se résoudre à l'abandonner. Pas maintenant. Elle parvient encore à presser son allure, excitée par l'angoisse d'être arrêtée. Elle imagine la réaction de ses parents, des paroissiens, de ses amies s'ils venaient à savoir ce qu'elle vient de commettre ...  

Et puis soudain, elle tombe. Elle se presse de se relever, et découvre qu'elle est parvenue jusqu'à la route. Il est à moins de quinze mètres d'elle. Elle ne sait pas où aller désormais. Les deux voitures sont hors d'usage. Elle lève les yeux, regarde à l'horizon, et constate qu'une troisième voiture stationne sur le bord de la route. Elle appartient, sans nul doute, à l'inconnu qui la pourchasse. Le véhicule est ouvert. Elle reprend sa course, parvient jusqu'à la voiture, et s'y faufile, toujours accompagnée de la malle. Le propriétaire a laissé ses clefs. Sandy n'a jamais conduit de voiture de sa vie, mais parvient, à temps, à démarrer. Le poursuivant assiste, impuissant, à la fuite de la jeune fille ainsi qu'au vol de son véhicule. Elle est désormais hors de portée.  

Sandy est maintenant loin, très loin. Elle contemple la valise placée à ses côtés. Elle n'en touchera pas un mot. À personne. Si on lui demande ce qu'il s'est passé ce soir, ce qu'il est advenu de Gene, elle dira simplement qu'ils se sont quittés sur son pallier, qu'il l'a sagement déposée devant chez elle. Aucune suspicion ne sera formulée à son égard. Elle n'aura qu'à dissimuler l'argent dans son placard ou sous son matelas.  

Elle commence à rêver, à s'imaginer tout ce qui devient possible grâce à cet argent. Il n'est plus question de restreindre ses désirs. Elle se figure dans de belles robes, portant de beaux bijoux. Betty, sa meilleure amie, n'en reviendra pas lorsqu'elle la verra ainsi vêtue ! Les images s'accumulent dans l'esprit de Sandy. Et alors qu'elle rêvasse, alors qu'elle est hypnotisée, captivée par le contenu de la mallette, elle s'écarte de sa voie pour côtoyer la voie inverse. Elle lève les yeux et voit arriver, dans sa trajectoire, une voiture roulant à vive allure. Elle n'a que peu de temps pour s'écarter, pour orienter son véhicule.  

Du sang, des billets, du sang, des cris.  

Sandy meurt, lentement. Son visage a violemment heurté le volant. Neuf fois. Elle peine à entrouvrir ses paupières, mais discerne deux personnes sur sa gauche. Surement viennent-elles la sauver. Peu à peu sa vision se clarifie. Et c'est alors qu'elle constate l'impossible : cette jeune femme qui hurlait et qui est désormais blottie contre son ami, c'est elle. Ce jeune homme qui la regarde fixement, c'est Gene. Littéralement. Elle comprend l'inconcevable réalité à laquelle elle fait présentement face. Ils ne lui viendront évidemment pas en aide et elle restera, ici. Et elle mourra, ici. Encore une fois.  

L'air se raréfie, les battements de son coeur diminuent. Sandy n'est plus. Pourtant Sandy demeure, et s'affaire déjà à rassembler l'argent qu'elle vient de trouver ...  

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Imaginé, écrit et réalisé par le seul et même homme, Jason Kelly.  

Pour son retour, InShadow Production s'associe à ManDown Productions (dans la conception de l'affiche).