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Loupieau Production France présente
Au revoir la haute

Reims, juin 1913  

 

Paul Hinsinger (Derek Weiner) était exaspéré. Cela faisait plus d’une heure qu’il patientait, et sa femme n’était toujours pas prête. Il frappa à la porte de sa chambre.  

« Que diable fabriquez-vous ? Père nous attend, et vous savez pertinemment qu’il a horreur de cela.  

- Vous tombez bien, répondit une voix chaleureuse. Marie a fini de m’apprêter pour la réception de ce soir. »  

La porte s’ouvrit soudain. Ainsi engoncée dans une robe de soie couleur émeraude qui rehaussait le vert de ses yeux, Juliette Hinsinger (Yaelle Fillion) était resplendissante. Comme à son habitude, elle avait opté pour une coupe près du corps, qui ne faisait que souligner plus encore l’harmonie de ses courbes sensuelles. Paul déglutit difficilement sa salive, tentant de retenir l’érection qui menaçait de saillir à travers son pantalon. Sa femme venait de mettre trois heures à se préparer, il nous pouvait se permettre de la décoiffer pour assouvir ses pulsions.  

« J’aurais bien le loisir de partager son lit cette nuit », pensa-t-il.  

 

Il s’approcha d’elle, un sourire aux lèvres, et lui déposa un tendre baiser sur le front. L’embrasser sur la bouche lui aurait assurément valu quelques remarques de protestations : son maquillage était parfait, il devait bien l’admettre.  

« Vous êtes splendide », lui dit-il alors qu’il prenait place dans le fauteuil de velours art nouveau situé à côté d’elle.  

Juliette gloussa de plaisir. À 23 ans, elle semblait plus belle que jamais, ainsi apprêtée. Si sa tenue paraissait quelque peu audacieuse - elle ne manquerait pas, à coup sûr, de choquer les plus conservateurs – sa coiffure, elle, demeurait bien plus en adéquation avec les standards de la mode. De longues boucles brunes encadraient soigneusement son visage, et l’ensemble était élégamment maintenu en place par une tiare incrustée de pierres précieuses.  

« Vous n’êtes pas mal non plus, dans votre genre, répondit-elle avec un sourire mutin.  

- Je vous remercie. Pourtant, cet affreux costume de soirée ne me sied guère ! Je préfère de loin le smoking à cette tenue d’une autre époque. Mais que voulez-vous, père demeure un homme attaché à l’étiquette. Et cette cravate, c’est tout juste si elle ne m’étouffe pas…  

- Approchez. »  

Paul s’inclina doucement vers sa femme. Sa petite main s’attarda quelques instants à caresser ses cheveux blonds, impeccablement coiffés d’une raie sur le côté. Puis, elle descendit sur la fine moustache d’aristocrate qui ornait sa lèvre supérieure.  

« La cravate, disais-je…, parvint-il à articuler.  

- Oh, mille excuse, cher époux. Je m’égare à mes devoirs, répliqua-t-elle, le regard teinté d’un désir ardent. »  

Ce faisant, ses mains s’affairèrent à desserrer quelque peu le nœud de sa cravate couleur champagne.  

« Voilà, c’est bien mieux comme cela.  

- Merci. Je crois qu’il est grand temps de descendre.  

- Vous avez raison. »  

 

Paul se leva prestement et présenta sa main à Juliette pour l’aider à se remettre debout. Ils entreprirent de descendre le majestueux escalier de marbre qui conduisait au rez-de-chaussée. Un vieil homme en costume de soirée les attendait de pied ferme en bas. Il possédait quelques rares cheveux blancs, lesquels étaient soigneusement ramenés en arrière, et ses traits exprimaient une sévérité authentique.  

« Enfin ! Nos invités sont presque arrivés. Je n’osais plus croire en votre présence à tous les deux.  

- Tout ceci est de ma faute, cher beau-père, intervint aussitôt Juliette. Je n’ai pas vu l’heure passer. Comment trouvez-vous ma toilette ? »  

Une lueur de désir coupable passa furtivement dans l’œil du vieillard. Puis, semblant retrouver toute sa contenance habituelle, Émile Hinsinger (Enzo Barron) s’exclama :  

« Splendide, comme d’ordinaire. Bon, passons aux choses importantes. Paul, suis-moi, veux-tu. Nous avons à parler, toi et moi, car cette soirée s’annonce très importante.  

- Comme toutes celles que vous organisez, père. »  

Émile ne parut nullement flatté par le compliment. Lui qui dirigeait l’une des maisons de champagne les plus prospères de Reims, il en fallait bien plus pour solliciter sa fierté.  

« Ce soir, le maire sera là, en plus de Louis Cochet et de quelques autres négociants. Il a finalement pu se libérer à temps de ses obligations municipales.  

- Une bonne chose.  

- Ne te réjouis pas trop vite. Étienne de Claircy sera là, lui aussi. »  

Paul esquissa une grimace. De Claircy était un de ses anciens camarade de classe, un bellâtre flagorneur et un dragueur invétéré issu de la vieille noblesse. Quelques années plus tôt, il avait tenté de courtiser Juliette alors que Paul lui avait déjà demandé sa main. Heureusement, elle l’avait repoussé. Paul le détestait pour tout un tas de raison, mais celle-ci demeurait indéniablement au sommet de la pile.  

 

À huit heures, les premiers invités arrivèrent. Émile Hinsinger était veuf depuis peu, et ce fut Juliette qui, en bonne maîtresse de maison, se chargea de les accueillir au sein du splendide hôtel particulier du boulevard Lundy. Paul se souvenait avec nostalgie avoir emménagé dans cette magnifique demeure que son père avait fait bâtir sur mesure dans la pierre, les moulures et le marbre. Cela remontait à vingt ans au moins.  

 

Louis Cochet, directeur du prestigieux Domaine Pommery, fit son entrée sur les coups de neuf heures, et le maire, Jean-Baptiste Langlet, lui emboîta le pas presque aussitôt. À 71 ans, on ne pouvait pas le manquer avec sa haute stature et son abondante barbe blanche qui lui descendait jusqu’à la moitié du sternum. Il était le dernier arrivé. Quelques domestiques attachés à l’hôtel Hinsinger passaient avec des plats en argent pour abreuver les invités de champagnes – du Hinsinger 1889 – et de petits fours. Paul s’empara d’une coupe, la vida d’un trait et la reposa sur le plateau. Ces soirées mondaines le mettaient mal à l’aise, et il avait toujours besoin d’un verre ou deux pour se détendre. Les domestiques y étaient habitués, aussi Jacques Mauran, un jeune homme aux manières irréprochables, fils d’un petit paysan, lui demanda-t-il d’une voix monotone :  

« Une seconde, Monsieur Paul ?  

- Volontiers, Mauran. »  

Il inclina la tête en guise de remerciement et saisit une autre coupe. D’ordinaire, les marques de déférence envers les employés de maison étaient plutôt mal vues, mais Paul ne voyait pas pourquoi ils devraient être traités avec mépris, comme d’aucuns le soutenaient. Il haussa les épaules et fit volte-face, pour tomber nez-à-nez avec Étienne de Claircy (Jeremy Carter).  

« Paul ! Comment allez-vous depuis le temps ?, s’exclama de Claircy.  

- Ma foi, plutôt bien.  

- Et puis-je me permettre de m’enquérir de l’état de votre épouse ? Je l’ai aperçu tout à l’heure en arrivant, mais pas assez longtemps pour l’aborder. »  

Paul se mordit l’intérieur de la lèvre dans le but de contenir la rage qui menaçait de s’emparer de lui. L’autre prenait visiblement un malin plaisir à le questionner sur Juliette. Il ne semblait pas avoir fait une croix sur elle.  

« Je crois qu’elle ne pourrait pas être plus heureuse ! Depuis la naissance de notre petite Emma, elle semble au comble du bonheur. »  

Le petit rictus malveillant qui s’étalait sur le visage d’Étienne s’éteignit soudain. Paul avait vu juste : les femmes qui avaient eu le malheur d’accoucher ne l’intéressaient plus.  

« Toutes mes félicitations. »  

Cela était sans doute indiscret, mais Paul décida d’en rajouter une couche.  

« Merci. L’accouchement ne fut pas de tout repos – hélas – car la tête d’Emma était sans doute un peu trop large. »  

Une grimace de dégoût affubla le visage de Claircy.  

« Heureusement, Juliette s’en est remise avec plus de facilité que je n’osais l’imaginer.  

- Tant mieux. Parlons d’autre chose, voulez-vous ? J’ai cru comprendre que vous alliez bientôt prendre la succession de votre père.  

- On vous a sans doute mal informé. Mon père a peut-être soixante-quatre ans, mais les affaires ne se sont jamais aussi bien portées. Il me passera la main le moment voulu. En attendant, je suis son directeur adjoint.  

- Cela doit être très instructif de travailler aux côtés d’un homme tel que votre père.  

- En effet. Et vous, que devenez-vous ? C’est que je n’ai pas eu de vos nouvelles depuis… Depuis notre mariage, si je ne m’abuse. »  

L’autre ne releva pas. Au contraire, il bomba le torse d’orgueil.  

« Et bien, figurez-vous que je suis attaché à l’ambassade de France à Vienne.  

- Une bien lourde responsabilité que voilà.  

- Certes. Je cours les soirées mondaines, je relève les jupons des domestiques effrontées, et je passe bien des heures à table avec l’ambassadeur… Mon programme est plus que chargé. Rendez-vous compte, cela me laisse à peine le temps de traduire les communiqués du Ministre des affaires étrangères autrichien pour le compte de notre gouvernement !  

- En effet, j’imagine sans mal, répondit Paul d’une voix glaciale. Excusez-moi, je dois retrouver mon père. »  

Il s’éclipsa sans plus de ménagement, laissant Étienne planté là, au beau milieu de la salle de réception.  

 

Le dîner qui suivit se passa sans aucun accroc notable. On discuta des affaires, qui se portaient mieux que jamais, mais aussi des futurs vendanges, qu’on espérait fertiles. Vers onze heures et demi, les femmes se retirèrent dans le boudoir. Les hommes se dirigèrent vers le petit salon, au milieu duquel trônait un billard en acajou. Jacques Mauran apporta deux carafes de whisky – un scotch et un irlandais – ainsi qu’une grosse boîte de cigares. Émile Hinsinger, engoncé dans un fauteuil de velours côtelé, s’empara de l’un d’entre eux, l’huma quelques instants, avant de le porter à ses lèvres et de tendre le coffret au maire. Langlet l’imita, et bientôt tous les hommes. La pièce se retrouva ainsi bercée d’une lumière tamisée par la douce fumée des cigares. Le moment était propice au déliement des langues.  

« J’ai entendu dire que les tensions dans les Balkans pourraient nous entraîner dans une guerre européenne, commença Émile Hinsinger sur le ton de la conversation. Cela serait déplorable pour notre négoce. Qu’en pensez-vous, monsieur le maire ? »  

Jean-Baptiste Langlet s’éclaircit la gorge.  

« Les russes soutiennent leur allié serbe, tandis que l’Autriche-Hongrie et l’Italie ne semble prêtes à effectuer aucune concession territoriale. Cependant, je vois mal cette situation s’achever dans une telle escalade de violence. L’Autriche ne fera rien sans l’aval de l’Allemagne, et puisque le kaiser Guillaume et le tsar Nicolas sont cousins, je pense qu’ils trouveront une solution pacifique.  

- Tout cela n’est qu’hypothétique, intervint Paul. Rien ne laisse actuellement à penser que la situation pourrait dégénérer dans les Balkans.  

- Détrompez-vous, répliqua Étienne de Claircy. En tant qu’attaché à l’ambassade de Vienne, je puis vous assurer que les situations conflictuelles demeurent légions. L’ambassadeur appuie de tout son poids pour que le gouvernement autrichien n’y réplique pas de manière plus véhémente.  

- Cela semble porter ses fruits, puisque nous n’en entendons pas parler, trancha Émile. »  

Louis Cochet, qui ne s’était pas encore exprimé jusque là, prit enfin la parole.  

« Et bien moi, je n’accueillerai pas forcément la perspective d’une guerre avec tristesse. Au contraire, une explosion de la situation dans les Balkans pourrait fournir à la France le prétexte idéal pour récupérer l’Alsace et la Lorraine que les allemands nous ont volé en 1870. »  

Comme de nombreux français, il avait vécu la débâcle de Sedan comme une meurtrissure personnelle. Les berges de la plaie semblaient ne pas s’être refermées. Cette remarque avait toujours eu le don d’irriter profondément Paul. Retenant à grand peine sa colère, il répliqua :  

« Voyons, vous ne pouvez pas parler sérieusement. L’aristocratie allemande demeure l’un de nos principaux marchés. Se priver d’une telle clientèle relèverait de la folie, d’autant plus que, comme l’a si bien souligné monsieur le maire, cela entraînerait l’Europe entière dans la guerre. Les caisses de champagnes résistent-elles si bien aux bombes ? »  

Cochet le fusilla du regard. Il lui répondit d’une voix blanche :  

« Évidemment, votre famille s’est toujours montré complaisantes envers les allemands. Notez que cela se comprend aisément, mais…  

- Arrêtez de délirer, Cochet, coupa Lenglet. Les négociants d’origine allemande se sont toujours montrés loyaux envers la France. D’ailleurs, que serait notre ville sans eux ? Dois-je vous rappeler que messieurs Roederer, Krug et Taittinger, ici présents ce soir, participent sans compter à la splendeur de Reims et de la France ? »  

Il émanait du docteur Langlet une telle autorité morale que Cochet eut le bon goût de se taire. Il esquissa un sourire poli et porta le cigare à ses lèvres.  

« Bref, puisque la guerre ne poindra pas demain, cela nous laisse aisément le temps de faire une partie de billard », proposa Émile Hinsinger, son verre de whiskey à la main.  

Les autres acquiescèrent et la soirée s’acheva comme si rien ne s’était passé.  

 

 

*  

 

 

Le 28 juillet 1914, l’Autriche-Hongrie déclara la guerre à la Serbie. L’Europe s’embrasa aussitôt. Le 3 août, la France était en guerre. Quelques jours plus tard, Paul Hinsinger apprit qu’il était mobilisé. Du fait de l’éducation soignée dont il avait bénéficié, il avait été nommé lieutenant. Lui qui se prédestinait à diriger le négoce de son père, voilà qu’il s’apprêtait désormais à mener des dizaines d’hommes sur le front. Il ne s’agissait cependant pas de la plus mauvaise nouvelle le concernant. Le 8 août, Paul apprit que sa section avait été placée sous le commandement du capitaine Étienne de Claircy.  

 

Qu’à cela ne tienne, la guerre serait courte. Dans un moins, il serait de retour à Reims.  

 

 

*  

 

 

Or, le 19 septembre 1914, Notre-Dame brûlait. Et avec elle s’envolait les espoirs de toute une génération. Comment survivre à cet immense gâchis ? Pour Émile, Juliette, et Emma (Lucy Forsey), qui étaient restés en ville, cela signifiait le commencement d’une nouvelle existence, loin, très loin, du faste et de l’opulence d’antan. L’arrière aussi de devait de faire front. Corps et âme.  

 

Scénario :
une série A historique de Cristina Jurmann

Enzo Barron

Yaelle Fillion

Derek Weiner

Lucy Forsey
Avec la participation exceptionnelle de Jeremy Carter
Musique par Wolfgang Buchanan
Sorti le 28 avril 2051 (Semaine 2417)
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