Mais Benoit parvenait encore à résister à Damoclès. Il savait que tant qu'il évitait les situations conflictuelles, Damoclès ne sortirait pas de sa cage. Benoit s'enfuit vers un endroit isolé, là où il était le moins susceptible de rencontrer des âmes et de laisser s'échapper Damoclès. Il trouva une cabane au fond d'une sombre forêt. L'endroit était parfait pour la solitude absolue. Benoit vécut des années en ermite, sans croiser la moindre personne. Il survécut en chassant et en allant à la cueillette. Il crut s’être débarrassé de Damoclès, car depuis qu'il vivait là, il ne l'avait plus vu resurgir. Mais Damoclès était toujours présent,attendant son heure et guettant la moindre occasion de se montrer.  

Lors d'une soirée d'été, alors que le soleil disparaissait derrière la cime des arbres, Benoit aperçut un jeune garçon s'avancer sur l'allée menant à sa cabane. Le jeune garçon devait avoir 10 ans, il avait l'air résolu, décidé. Benoit s'approcha du gamin et lui demanda ce qu'il faisait là, dans cet endroit lugubre, à cette heure, alors que la nuit commençait à tomber. Le jeune garçon lui répondit qu'il venait le chercher et l’emmener. Benoit ne comprit pas, il resta perplexe. Pourquoi ce jeune garçon venait-il le chercher ? Voyant que Benoit était perturbé, le garçon répéta le but de sa venue. Benoit était perdu dans ses pensées, ce petit garçon l'avait plongé, par un simple regard, au plus profond de son être. Il se remémorait son passé et il se rappelait du petit garçon qu'il fut jadis. Il se souvint de sa mère, dépourvue de sentiments, et de sa grand-mère, seule personne qui n’ait jamais compté à ses yeux.  

Le petit garçon remarqua l'air absent de Benoit et montra des signes d'impatience. Il se fit plus insistant. Benoit revint peu à peu à la réalité et regarda plus attentivement son interlocuteur. Le petit garçon lui semblait familier et il ne pouvait se l'expliquer. Le garçon trépignait et son agitation était perceptible. Benoit, ayant repris ses esprits, répondit au gamin qu'il n'avait aucune intention de le suivre et qu'il ferait mieux de rentrer chez lui avant qu'il ne fasse noir. Le gamin répondit sur un ton agacé qu'il était chez lui et que l'obscurité ne l'effrayait pas. Il la considérait au contraire comme sa plus chère amie. Benoit proposa alors au jeune garçon de l'abriter pour la nuit, afin de dormir dans un endroit sécurisé ; et de le raccompagner en ville le lendemain dès l'aube. Le jeune garçon fronça les sourcils et s'exclama qu'il ne lui appartenait pas de prendre des décisions, ni même cet air autoritaire. Seul lui avait le pouvoir de décider et d'imposer ses choix. Benoit rétorqua, énervé, que c'était lui l'adulte et qu'un gamin comme lui devait obéissance et respect aux personnes plus âgées.  

Le gamin rit. Il rit d'un rire moqueur et sournois, ayant l'air de n’être affecté par rien. Benoit sentit son sang se glacer et l'impuissance le gagner. Ce rire l'avait atteint au plus profond de son âme. Il se trouva paralysé, ne sachant plus ni parler, ni penser. Ce rire sembla durer une éternité et ne pas vouloir s’arrêter. Quand il finit enfin, le visage du garçon sembla transformé. Il avait l'air plus sombre, détaché de toute humanité.  

Benoit ne pouvait rien faire, il sentait que ce petit garçon qui le fixait était bien plus fort et bien plus puissant que lui. Il songea à Damoclès et se dit que si celui-ci avait été présent à ce moment, il ne se serait pas senti aussi démuni. Il essaya de faire sortir Damoclès de sa cage, mais celle-ci semblait déjà vide. La peur et la lâcheté avaient pris sa place.  

Benoit faisait face au gamin et était résolu à ne pas céder à celui-ci. Il sentit, malheureusement, qu'aucune force ne lui permettrait cet affrontement. Il savait qu'il n'avait aucune chance face à ce gamin. Le sol semblait se dérober sous ses pieds, alors qu'au contraire, l'enfant grandissait à vue d’œil.  

Bientôt, Benoit fit face à un homme massif, puissant, dont le regard ne laissait transparaître aucune faiblesse. Il remarqua que l'homme lui faisant face lui ressemblait étrangement. Il était bien plus sombre, plus déterminé et ne semblait avoir aucune pitié. Benoit comprit que son adversaire avait déjà gagné, il sentit son âme le quitter peu à peu, absorbée par cet être sombre.