San Francisco, matin d’hiver  

Comme à son habitude, l’homme, Bradley de son prénom, enfila ses pantoufles les yeux fermés et quasi encore endormi. C’était à la limite d’un automatisme à faire peur tellement il avait maintenant pris l’habitude de sortir son cleps à l’aurore pour le faire pisser. Le chien aboyait comme un malade depuis maintenant un peu plus de 20 minutes devant la baie vitrée de l’appartement où Bradley vivait. Mais peu importe, la tête encore dans des nuages cotonneux, Bradley s’habilla quelque peu, prit ses clopes en même temps que son portable, attrapa la laisse et héla son compagnon pour enfin sortir avec lui.  

Le chien traîna son maître jusque dans l’entrée, où le froid glacial le saisit.  

« Fait chier … » fit Bradley, dans un souffle de vapeur. Il était temps de patienter pour que Monsieur pisse au bon endroit, la queue frétillante … Allez, un quart d’heure à se les geler puis il rentrerait fissa sous la couette. Mais curieusement, ce matin-là, son chien prit une toute autre direction que celle du parc habituel situé non loin … Cela réveilla Bradley qui, agacé, tira sur la laisse :  

« Mais qu’est ce que tu f… » il stoppa sa phrase nette au fur et à mesure que le chien, couinant à n’en plus finir, l’amena au coin de la rue amenant à une place, celle qui se trouvait devant son appartement. Les brouhahas se firent de plus en plus importants et Bradley écarquilla véritablement les yeux lorsqu’il arriva sur la place, bondée de monde à cette heure-ci.  

« Qu’est-ce que c’est que ce bordel ? » fit Bradley, halluciné.  

Manifestement, l’amas de personnes était regroupé autour d’une espèce de totem placé en plein milieu de la place. Des visages fermés, certains apeurés … Bradley prit la peine de regarder sa montre … 6h25 … puis entreprit de se faire un chemin jusqu’à cette curiosité. Une forme se distingua nettement alors qu’ils avançaient pour finalement découvrir qu’il s’agissait d’un antique épouvantail, prostré sur sa croix et planté dans le sol .. Intriguant, c’était limite flippant de voir une telle représentation ici, en pleine ville. Cette chose surélevée imposait le silence et, dans les rangs, chacun se posait des questions alors que les premières sirènes se firent entendre … Quelque chose n’allait pas et Bradley se revit machinalement quelques années en arrière lors d’une conférence professionnelle sur la psychologie cognitive et d’une allocution, particulière.  

… Une crise cardiaque ! Il mit sa main à son cœur, son foutu chien se mit également à gueuler à ce moment précis, le faisant sursauter. Mais visiblement, ce n’était pas les sirènes qui le faisaient aboyer mais un volatile, un corbeau qui se posa avec difficulté sur l’épouvantail … Accroupi dans une foule compact, il était occupé à calmer son chien et en un fragment de secondes, un souffle chaud engloba l’environnement, balayant tout sur son passage et puis plus rien …  

…  

« C’est … comment dire … affreux …  

- Pardon ?  

- Non rien … »  

Tom Fedgewick, attablé dans sa cuisine avec sa femme, retourna à la lecture de cet article qui relatait l’incident spectaculaire qui avait eu lieu quelques jours plus tôt à San-Francisco.  

Une explosion avait engendré une cinquantaine de morts en plein centre d’une place, anormalement bondée à une heure matinale. La déflagration avait engendré un souffle puissant qui avait démoli une bonne partie des habitations à proximité immédiate du lieu.  

Cette information titilla Tom car le lieu de l’incident correspondait à l’endroit même où résidait son meilleur ami Bradley Polder. La corrélation l’amena à passer un coup de fil immédiat … mais sans succès. Pas de réponse. Les choses commençaient à se bousculer dans le crâne de Tom, il ne prit même pas le temps de retourner dans la cuisine et fila directement à son cabinet.  

« Je … les … hais … tous » fit dans un souffle rauque l’homme lorsqu’il eut fini sa tâche. Manifestement satisfait, il contemplait son œuvre, symbolique, puis se retourna afin d’y placer le reste de son plan morbide.  

Derrière lui étaient disposés sur un établi les premiers articles qui faisaient état d’un véritable carnage humain, ne laissait aucune chance de survie à la récente explosion survenue dans un quartier de San-Francisco. Aucune explication plausible n’était envisagée puisqu’il ne restait absolument aucun indice de ce qui s’était passé. Autant dire que les autorités ramaient à l’heure actuelle pour dénicher la moindre information officielle et cela satisfaisait grandement Harold Blind, éminent psychologue maintenant à la retraite, une retraite forcée dirons-nous depuis quelques années.  

Infirmiers et autres personnels hospitaliers s’affairaient. Des bribes de conversations entrèrent en Bradley pour repartir aussi vite qu’elles étaient entrées, il était de nouveau inconscient.  

Amanda Plumming, des services de police San-Franciscains avait d’emblée ordonner de ne rien communiquer en ce qui concernait cet homme, salement amoché, mais le seul à s’être sorti indemne du récent événement. Le FBI était sur le coup dorénavant, elle avait reçu ce coup de fil condescendant de ses connards … ils rappliqueraient dès que possible pour prendre l’affaire en main. Mais ce qu’elle souhaitait surtout, c’était prouvé qu’elle en avait sous le capot et elle qui était une carriériste née, elle attendait le moment opportun pour prouver de quoi elle était capable. Elle tenait quelque chose d’énorme avec ce qui venait de se passer et elle devait absolument faire parler cet homme.  

La porte s’ouvrit à la volée et Tom entra pour rejoindre son bureau. Le jeune psychologue exerçait à Gerardmerveille depuis quelques mois seulement mais était résolument attaché à son fief, San-Francisco. Aussi, il espérait grandement que son meilleur ami avait eu le réflexe de l’appeler à son cabinet par habitude et dans l’urgence sans doute. Tom écouta attentivement … il y avait un message en attente et valida l’écoute  

Des grésillements prirent place immédiatement … puis « Tom, c’est Brad excuse-moi de t’appeler à cette heure-ci mais peux-tu … » les grésillements reprirent de nouveau, agaçant Tom puis … « … la conférence au mois de juin 2023 ? C’est étrange mais cet épouvantail me rappelle les travaux de ce conférencier Harold Bl… » Un larsen épouvantable lacéra les tympans de Tom à ce moment précis ! Il appliqua immédiatement ses mains sur son oreille droite, un sifflement strident prit place dans son crâne. Le cœur palpitant, il pria pour que son ami s’en soit sorti … Puis, une fois la douleur devenue plus supportable, il se précipita dans ses dossiers afin de se remémorer les paroles de Bradley Polder.  

-« Harold Blind … » fit Tom tout en revenant en arrière dans ses archives … Bien sûr qu’il se souvenait de ce type, un ponte dans le métier et disparu misérablement depuis au moins 3 ans maintenant. Psychologue apprécié par son professionnalisme mais décrié par ses confrères, l’homme commençait à sérieusement pencher vers une obsession maladive envers ses patients. Il menait une thèse sidérante sur la relation « attraction / répulsion » et qui l’avait amené à obtenir des résultats stupéfiant entre animaux et humains dont la signification de l’épouvantail. Le psychologue fut radié après des plaintes de sa clientèle, condamné à ne plus pouvoir exercer définitivement.  

« Ce taré met en pratique ses recherches désormais … » fit Tom, la main sur ses lèvres. Il lit avec avidité les questions qu’Harold posait à l’assistance à l’époque.  

Le rôle de l’épouvantail est intéressant puisqu’il sert de répulsif immédiat contre les corbeaux entre autres, dans un environnement adapté. Cela dit, ces derniers répriment cette répulsion pour développer au bout de quelques heures une attirance vers ce même personnage finalement immobile et sans défense.  

Harold Blind était persuadé qu’un attirail de cette sorte en milieu inapproprié, aurait l’effet inverse sur une population humaine et qu’il en découlerait …  

Tom détenait quelque chose de fondamental, c’était certain, il en était certain … mais se devait-il de régler lui-même cette affaire ? Il prit les documents nécessaires pour les étudier plus profondément avant de débouler à San-Francisco. Au même moment, Bradley Polder remonta à la surface, sous l’effet d’une injection d’endorphine. Il vit une jeune femme qui le secouait lourdement.  

« Monsieur Polder ? Monsieur Polder ! Réveillez-vous ! Que dites-vous ? » fit Amanda Plumming, interloquée.  

Bradley bougea ses lèvres subrepticement, un son infime en sorti …  

« To …. Tom Fedgwick … psychologue … » avant de retomber profondément dans un coma qui semblait définitif.  

Le lendemain, quelque part à FunDanse, les habitants d’un quartier se levèrent pour voir de leurs fenêtres un amoncèlement de fric placé au beau milieu d’une rue … déjà des brouhahas se levèrent avant de voir débouler des personnes, avides et attirées … enfin pour un laps de temps bien déterminé avant que l’effet inverse n’intervienne.  

* * *  

Scénario : Paul Birdnam / Leïla Drexler  

Réalisation : Kim Birdnam  

Casting :  

Derek Band dans le rôle de Tom Fedgwick  

Ruth Chambers dans le rôle d’Amanda Plumming  

Logan Duval dans le rôle de Bradley Polder  

Mandy Constantinescu dans le rôle de l’épouse de Tom Fedgwick  

Musique par Wayne Kirkhope