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Guards Brothers présente
Maestro

La musique. Cette musique. Henry était emporté par la composition dont il dirigeait la partition. C'était un moment de grâce, il sentait tous ces regards pointés sur lui – ses musiciens et son public. Il était le chef, le chef de cet orchestre. Tous jouaient, et la sublime musique que ce mélange donnait ne cessait de l'emporter. Il adorait ces moments – ils arrivaient si souvent dans son métier, mais chaque nouveau morceau était un nouveau bouleversement. Malgré ses soixante-dix ans, il ne s'en lassait pas. Personne n’oublierait cette musique – dommage qu'il n'en soit pas de même pour lui. Je suis un débris. Mort depuis longtemps. Alors que les notes s'enchaînaient, il voyait ses débuts défiler devant ses yeux. Son premier concert, son premier job, ses premiers pas dans ce monde de requins – tout avait été si bref, et si puissant aussi. Tous ces moments, il ne les avait pas assez savourés – il les avait laissé filer, alors qu'il aurait pu en profiter. S’il avait su ce qu'il deviendrait, il les aurait rejoués en boucle. Il avait tout gagné, et tout perdu. Ses rêves, ses espoirs avaient été réalité – mais qu'en restait-il désormais ? Des remords, de la mélancolie – mais plus d'espoir. La musique se termina. Le public salua la prestation d'une salve d'applaudissement alors qu'il s'inclinait, lui et ses musiciens, devant celui-ci. Le public était finalement son seul ami.  

Il quitta la scène sous les bavardages des spectateurs enthousiastes, et parti rejoindre en coulisse son agent. William Doyle avait les bras croisés et regarda son client s’approcher. Il faisait une moue déprimante et leva les sourcils quand Henry arriva en face de lui. « C’était pas mal. » commenta-t-il, ce qui voulait dire beaucoup de chose de sa part. Ils marchèrent tous deux vers la loge. Doyle était aussi un vieillard. Il avait suivi Henry presque toute sa carrière – il l’avait presque lancé. « Tu as entendu parler de Lynn Scodelco ? » lui demanda-t-il.  

Les yeux intrigués d’Henry se tournèrent vers son agent. « Une violoncelliste, c’est ça ? » Il avait déjà entendu ce nom plusieurs fois – une jeune très talentueuse qui était souvent qualifiée comme l’un des plus grands espoirs de la musique classique.  

« Elle m’a appelé pendant le troisième mouvement. Elle voudrait te rencontrer. J’ai fixé un rendez-vous demain dans l’après-midi. »  

« Me rencontrer ? » s’étonna Henry. Il possédait toujours une certaine renommé, mais son style très vieille école et le rythme de plus en plus lent de ses apparitions l’avait fait perdre en célébrité et en reconnaissance. On le citait comme s’il était du passé, donnant comme référence les orchestres qu’il avait brillement mené il y a quarante ans, mais très peu venaient à ses concerts – moins qu’à une époque. Il avait été, il n’était plus. « Et pourquoi donc voudrait-elle te rencontrer ? »  

Doyle haussa les épaules et laissa Henry à l’entrée de sa loge. Il lui tapota l’épaule amicalement puis repartit vaquer à ses occupations. Henry poussa la porte, et une fois entrée, ferma à clé derrière lui. Il voulait être seul. Il s’assit dans son fauteuil. Il réfléchissait, il pensait au passé.  

 

Henry poussa la porte de sa chambre. Il regarda l’horloge à affichage électronique juste à côté du lit et vit qu’il était déjà une heure du matin. Sa femme Elizabeth était déjà couchée. Elle avait le même âge que lui – ils étaient mariés depuis presque cinquante ans. Mais il l’aimait toujours. Le temps n’avait pas été favorable à son corps, ni à son esprit, de plus en plus ravagé par sa sénilité et son grave cancer. Il s’assit sur le bord du lit et fixa Elizabeth quelques instants. Il la revoyait plus jeunes, même de quelques années, encore heureuse et bien vivante.  

Mais elle souffrait.  

Ses yeux balayèrent la pièce. L’obscurité l’empêchait d’apercevoir les piles de livres, de partitions et de feuilles qui s’entassaient de toutes parts. Elizabeth avait aussi été musicienne : une brillante violoniste en son temps, et une magnifique danseuse. C’est ainsi qu’ils s’étaient connus, lui et elle.  

Il s’allongea et se mit sous les draps, les yeux toujours ouverts, fixant le vide.  

 

Henry était assis sur une chaise. Ses mains étaient croisées, ses yeux tournés vers le sol. Juste à côté de lui, sur le lit d’hôpital, Elizabeth, endormie. Elle venait de faire un infarctus, mais il avait réussi à contacter l’hôpital à temps. Le seul son dans la salle était la douce musique du cardioscope. La musique. Cette musique. L’infirmière poussa la porte de la chambre, elle tenait une feuille sur laquelle elle écrivait toutes sortes de choses. « Votre femme va bien, Mr Anderson. » commenta-t-elle. « Mais une minute de plus et elle y restait. » La femme resta encore là quelques instants puis fit demi-tour et sortit. C’est à ce moment-là que le téléphone portable d’Henry sonna – il n’était pas encore habitué à ce genre de technologie mais Doyle avait insisté pour qu’il en ait un sur lui. Il décrocha. C’était bien la voix de son agent.  

« Henry, Lynn Scodelco vient d’arriver. Nous t’attendons. » Il ne sut que répondre et se contenta d’émettre un son que Doyle prit pour un "oui". « Très bien, à dans un quart d’heure ! » Il n’était vraisemblablement pas au courant de la situation d’Elizabeth, mais Henry n’avait pas vraiment le choix : ne pas accepter cette rencontre avec l’une des personnalités les plus en vue du classique c’était faire encore une fois marche arrière, encore une fois sombrer d’avantage.  

Il se mit debout et enfila sa veste. Son regard s’attarde sur Elizabeth. Ses rides étaient plus profondes que jamais. Il s’approcha lentement d’elle et l’embrassa sur le front. Elle ne sentait rien, elle était endormie profondément.  

 

Henry arriva dans le bureau de Doyle. Ce dernier était assis sur son divan, en train de fumer sa pipe – depuis qu’il le connaissait, il l’avait toujours fait – en face de lui, sur un fauteuil était assise une jeune femme d’environ trente ans. Ses cheveux blonds tombaient telle une cascade sur ses minces épaules, son visage était clair, souriant et doux. Lorsqu’ils virent Henry, les deux se levèrent. Il serra la main de Doyle puis de la violoncelliste et tous se rassirent : Henry avait trouvé un fauteuil situé à mi-chemin entre les deux autres. « Vous vouliez me rencontrer, Mademoiselle Scodelco ? » demanda Henry.  

La jeune femme sourit et répondit brièvement d’une voix très chaleureuse : « Effectivement. » Elle prit dans ses mains la tasse de café qui était posée sur la table et but une gorgée. « Quand j’étais plus jeune, mes parents ne possédaient qu’un seul 45 tours – le vôtre, votre interprétation de la Septième Symphonie de Beethoven. Cette musique m’a bercée toute mon enfance, et elle m’a donné envie de devenir musicienne. Vous êtes l’homme qui m’a permis de devenir ce que je suis aujourd’hui. » Elle prit sa respiration. « Et depuis que j’ai commencé la musique, je ne rêve que d’une chose : être dirigé par vous, au moins une fois. Que vous soyez mon chef d’orchestre, que je sois la violoncelliste, sur le Concerto pour Violoncelles de Dvorak. » Ils se regardèrent tous deux dans les yeux pendant quelques instants.  

Que suis-je pour elle ? Un jouet ? Henry se leva brusquement. Il regarda son agent. « William, Elizabeth a fait un infarctus, je devrais être à son chevet à l’heure qu’il est. » Il fit demi-tour et marcha vers la sortie. Autant Lynn que Doyle restèrent silencieux.  

 

« Te rends-tu compte, Henry ? Tu sais qui elle est ? Tu sais qui elle connaît ? Elle pourrait t’enterrer définitivement si elle le voulait. Heureusement que ce n’est pas une méchante fille, heureusement qu’elle ne s’est pas montrée vexée par ta réaction. » La voix de Doyle résonnait à travers le téléphone. Henry avait l’habitude de ce genre de propos de sa part, depuis ses débuts.  

« William, écoute, je ne veux pas être l’instrument de quelqu’un. C’est un caprice, rien de plus, je joue avec qui j’ai envie. » Le bip bip du cardioscope battait la mesure de leur conversation.  

« Tu vas aller la voir et lui présenter tes excuses. Tout ce qu’elle doit penser de toi désormais c’est que tu n’es qu’un vieux con, il ne manquait plus que ça pour noircir encore plus ton image. »  

Henry resta silencieux quelques instants avant de répondre : « Très bien, très bien… j’irais. Et je dirigerai son Dvorak, mais je veux Tobilinsky. »  

« Pas question. Je ne veux pas de ce vieillard sur scène… »  

« Il est à peine plus vieillard que nous. C’est ma seule condition. »  

 

Il remontait la rue de l’Opéra, jetant des regards vagues vers les feuilles d’automnes tombant lentement de leurs branches. Elles me ressemblent. Elle nous ressemblent. Plus loin, sur un banc, était assise Scodelco. Il arriva à sa hauteur et regarda la violoncelliste. Elle allait se lever pour le saluer mais il s’assit à ses côtés. Elle ne semblait pas gênée, comme si les événements de l’autre jour n’étaient jamais arrivés. « J’accepte de faire votre Concerto. » lui dit Henry.  

Elle ne répondit pas tout de suite. Sur le trottoir d’en face jouaient deux enfants, qui se roulaient dans les feuilles mortes. Un signe. « C’est Doyle qui vous a convaincu. »  

« J’ai accepté. » répliqua aussitôt Henry. « Mais à une seule condition. » La violoncelliste regarda le vieillard dans les yeux. « Tobilinsky, je le veux sur scène. » Elle ne put s’empêcher de lâcher un sourire. Le pauvre possédait encore une réputation dans le milieu. Peut-être le seul musicien à s’être dénudé sur scènes en plein Bach. Il était l’un des pianistes les plus talentueux qu’Henry ait jamais connu, mais c’était un personnage au caractère unique. Après de nombreux scandales et problèmes, sa carrière s’arrêta nette et il finissait alors ses jours dans une maison de retraite.  

« Sait-il au moins encore faire une gamme ? » fit Lynn, amusée.  

Son sourire lui rappela Elizabeth, plus jeune, il y a très longtemps. Il ne comptait plus le nombre de fois où tous deux s’étaient assis sur un banc identique. Ces souvenirs le hantaient. Jamais. Plus jamais cela n’arriverait. C’était du passé. L’avenir était noir. L’avenir était plein de mort, de larmes, et de déchéance. Il ne lui restait finalement plus que la musique. « Je ne suis plus qu’un débris, vous êtes une fleur qui vient d’éclore, et nous allons jouer ensemble. »  

« Mon père me disait souvent une chose : la musique n’est pas un art comme les autres – je parle des beaux-arts ancestraux, bien entendu – il diffère de la littérature, de la poésie, de la sculpture ou de la peinture – de la même façon que le théâtre, parce qu’il se base sur une cohésion, et aussi sur un lien direct avec son spectateur. La musique que l’on écoute est en train d’être jouée. C’est éphémère et éternel, et c’est le regroupement de talents variés et nombreux qui forment en osmose une même œuvre. Comme vous, peut-être, ce que vous produisez en dirigeant un orchestre peut être éphémère mais dans l’esprit de beaucoup, comme moi, il est éternel. Il pourra passer la mort et les tempêtes sans en être entaché. L’immortalité. »  

Le téléphone d’Henry sonna alors. Il le sortit de sa poche et décrocha. C’était le Dr Simon, le Médecin de sa femme. « Docteur ? »  

« Monsieur Anderson, l’état de votre femme s’est aggravé. »  

 

 

Jeff Collins : Henry Anderson  

Joan Krumholtz : Elizabeth Anderson  

Olivia Stuard : Lynn Scodelco  

Mickael Glau : Docteur Simon  

Stjepan Boksic : William Doyle  

Ivan Suerte : Anton Tobilinsky

Scénario : (1 commentaire)
une série A dramatique (Sonatine) de Demetra Kantelinen

Jeff Collins

Joan Krumholtz

Mickael Glau

Olivia Stuard
Avec la participation exceptionnelle de Ivan Suerte, Stjepan Boksic
Musique par Alice Gerrard
Sorti le 07 avril 2029 (Semaine 1266)
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