Présenté dans le cadre du Concours « Utopie ou Dystopie ».  

« Unissons-nous, mes frères ! Le Roi est mort, tué par la main de son frère le Vice-Roi ! Unissons-nous mes frères pour tuer ce traître, pendons-le avant qu'il ne soit trop tard et que notre Royaume tout entier tombe dans la décadence – cette déchéance n'aura pas lieu si nous nous battons. Tuons le Vice-Roi Otto, jetons le aux Croads ! »  

Si Caïus n'était sans doute pas un excellent Logisticien, il ne faisait aucun doute qu'il était un brillant orateur – sur la place de Ville-Natale, tous l'acclamèrent furieusement – d'autres se chuchotaient qu'il était un génie. Seul la présence des Watchers, fondant sur l'homme, démontrait que son acte n'était pas bien vu par tous – encore moins par la haute instance. Ils tombèrent sur Caïus qui n'eut le temps que de crier une dernière fois : « A mort le Vice-Roi ! » avant de disparaître dans les bras et les matraques. Il sera probablement mis à mort dans les prochains jours.  

Hogs se gratta le nez comme il le faisait à chaque fois qu'il réfléchissait. L'acte de Caïus pouvait être courageux, mais il était en réalité très idiot. Le Royaume doit se combattre de l'intérieur et non ouvertement. Chacun sait pertinemment que c'est le Vice-Roi Otto qui a fait sombrer le Royaume dans la décadence et il n'avait nul besoin de le rappeler. Au vu de tous et des Watchers en plus. Les Croads le dévoreront sans aucune pitié.  

Même au sein des Watchers il y avait eu des remous – les Hauts-Gardes du Royaume avait émis des doutes quant à la mort du feu Roi, et il y avait eu beaucoup de départs, de renvois et de disparitions mystérieuses. Le Vice-Roi eut vite fait de remplacer ceux-ci par ses hommes.  

La foule se dissipa et Hogs fit demi-tour et marcha vers le Laboratoire National. Malgré les remous extérieurs, ils devaient absolument avancer les recherches, sinon toutes les personnes attachées au projet Xanor seraient jetées aux Croads. Il entra dans le Hall. Des hommes et des femmes en blouse blanche grouillaient de tous les côtés. Il croisa une ou deux connaissance qu’il salua d’un geste de la main. Après avoir pris l’ascenseur pour le quarante-deuxième étage, il poussa la porte de l’Unité 327, où le projet Xanor était développé. Urrion somnolait sur un siège tandis qu’Helen tenait deux erlenmeyers dans chacune de ses mains. Il lui adressa un signe de tête et marcha vers le Compresseur.  

« L’analyse est bientôt terminée. » l’informa Helen. « Urrion s’en est occupé toute la matinée, il est crevé. » L’intéressé laissa échapper un bruit semblable à un ronflement tandis qu’un mince filet de bave coulait sur sa blouse.  

Xanor avait été initié à la suite des événements d’Argan. La mort des sept Watchers, sauvagement massacrés par un mouvement de foule, avait éveillé les esprits dans les Hautes Instances. Après un mois de discussion, ils en étaient venus à la conclusion qu’il leur fallait un moyen plus sûr que les Watchers pour surveiller leur population. Xanor visait à développer génétiquement un surhomme capable de protéger et de surveiller les gens du commun. Le prototype X, le vingt-quatrième donc, avait échoué le mois passé, et Y, vingt-cinquième spécimen du programme était actuellement en production. Pour l’instant, tous leurs testes et toutes leurs recherches au sein du Laboratoire National s’étaient révélées infructueuses, alors que le feu Roi, sur conseil de son frère, leur avait donné vingt-six essais, autant qu’il pouvait y avoir de lettres dans l’alphabet. Il leur restait donc deux chances. Après c’était terminé.  

Après, nous sommes morts.  

« Xanor-Y devrait être prêt demain. » affirma Helen. « On laisse tourner le Modéliseur cette nuit, et on pourra l’exécuter dans l’après-midi. Je suis certaine que c’est le bon. » Elle réajusta une mèche de cheveux qui s’était détachée du reste des autres attachés en queue de cheval.  

Hogs regarda le Dossier posé sur la table et vérifia si tout était en ordre. Les correspondances ADN semblaient justes, et il ne trouva rien à redire concernant les gênes sélectionnés. Xanor-Y serait ainsi grand, fort et à l’image du Vice-Roi. Il jeta un coup d’œil sur l’écran de l’appareil devant lui.  

Le vent souffle. Les panneaux publicitaires continuent d’éclairer les lieux – ils sont, avec la lune, la seule source de lumière. L’homme à la cape, dont on ne pourrait pas voir les traits si l’on ne se trouvait pas pile en face de lui, se tient debout, regardant fixement la modélisation de l’Être. Les plans de modélisation, ils les avaient volés. Lorsque les scientifiques du Laboratoire National s’en rendront compte, il sera déjà trop tard.  

Les particules s’assemblèrent pour former Xanor-Y. De mille et une poussières ne se formèrent qu’une forme humaine robuste. L’homme mystérieux ne put que laisser échapper un sourire. La lune était en haut de sa cloche et éclaira la flaque d’eau à ses pieds, l’éblouissant un instant et l’obligeant à regarder ailleurs tandis que Xanor-Y prenait forme. Autour de lui, des grands bâtiments de bureau dans les Quartiers Nord de la ville. Personne ne pourrait le voir, tout cet endroit était quasiment vide la nuit – mais si quelqu’un le voyait, il n’aurait aucune idée de ce qu’il était en train de faire. Aucun n’avait probablement jamais vu une modélisation.  

Des Watchers se tenaient à l’entrée du Laboratoire lorsque Hogs arriva le matin pour commencer sa journée de travail. Ils avaient bouclé le périmètre. Surpris, il s’approcha de l’un d’eux et mentionna qu’il travaillait ici, en demandant ce qu’il se passait. « Un prototype a été volé. Et ses plans de modélisation. »  

Le sang ne fit qu’un tour dans l’esprit de Hogs. Xanor-Y. Il déglutit. Je suis mort. Nous avions réussi, mais aussitôt nous avons perdu. Il eut l’autorisation de rentrer et se dirigea vers l’ascenseur pour se rendre dans l’Unité 327. Une fois monté, il se rendit compte qu’au 327ème étage, il y avait encore plus de Watchers à ce niveau-là. Il se fraya un personnage entre les différents gardes nationaux, et repéra Helen et Urrion, assis dans un coin de la pièce, tandis que les Enquêteurs faisaient leur boulot. Il arriva près d’eux. Helen tomba en larmes et Urrion, qui ne semblait pas comprendre ce qui se passait, se contenta de jeter un regard vide sur le nouveau venu. « Quelqu’un peut m’expliquer ce qui s’est réellement passé ? » fit Hogs.  

Helen sécha ses larmes et répondit en bredouillant : « On a… on a volé Xanor-Y. On ne sait rien d’autre. En arrivant ce matin, rien n’avait été forcé, mais il… il n’était plus là. On a prévenu les Watchers et ils ont découvert qu’il y avait eu une intrusion. On est entré ici cette nuit, et sur les caméras, on voit une espèce de type à capuche entrer ici et volet le projet… » Elle déglutit. Pour elle aussi ça avait été sa dernière balle.  

Soudain l’ascenseur ouvrit ses portes une nouvelle fois. Les Watchers s’agitèrent. Hogs regarda dans cette direction. Le Vice-Roi. Il vient nous jeter aux Croads. Le nouveau chef d’état Otto s’avançait au milieu de ses miliciens agités. Il jeta un regard aux étagères du laboratoire, intéressé mais pas amusé – sa mine affichait un air terrible, qui n’inspirait rien d’autre que de la peur à ceux qui oseraient croiser son regard. Hogs déglutit.  

Trois ans plus tard.  

La foule était en délire. Les gens levaient les bras au ciel, le peuple était heureux, heures que la dictature d’Otto soit enfin terminée. Certains dansaient, d’autres chantaient des airs révolutionnaires. Sur l’estrade, Hogs regardait son œuvre avec passion. Il se remémora les épreuves qui l’avaient amené à arriver jusque-là. Il ravala sa salive et ses remords, et prit la parole. « Nous sommes unis, mes frères ! Le Vice-Roi est mort, tué par notre main ! Nous nous sommes unis, mes frères, pour tuer ce traître, nous l’avons pendu avant qu'il ne soit trop tard et que notre Royaume tout entier a échappé à la décadence – cette déchéance que nous avons évitée parce que nous nous sommes battus. Le Vice-Roi Otto est mort, et sa dépouille sera jetée aux Croads ! » La foule applaudit, acclama le porte-étendard de leur rébellion.  

Il jeta un coup d’œil sur sa droite. Nero le fixait, affichant un sourire à la fois envieux et vengeur. Depuis que leur groupe avait pris de l’importance et qu’ils avaient pris l’avantage sur les armées du Vice-Roi, Nero le tenait en jalousie. Il voulait sa place, c’était une évidence. Il se gratta sa belle barbe rayonnante et lança un clin d’œil à Hogs. L’intéressé se retourna vers son public, son peuple. « Aujourd’hui, mes frères, nous créons une République. » Il y eut un mouvement énorme, les cris de joie s’échappaient de toutes parts. Il termina sur ce ceci : « Et j’annonce ma candidature. » avant de se retirer et de se placer en retrait sur la scène. Son conseiller, Devos, pris la parole et énonça les principes de cette nouvelle formule politique. Cela pris quelques minutes, à la fin desquels, ce fut au tour de Nero de prendre la parole.  

L’homme observait le nouveau venu sur scène. Il fallait le détruire. Le réduire à néant. Il allait entraver ses projets. Si celui-ci réussissait à prendre le pouvoir, jamais il ne pourrait réussir ses objectifs. Il fallait le détruire.  

Les projecteurs se placèrent sur lui, on pouvait voir son sourire, même un aveugle aurait pu voir ce sourire. Un sourire qui se sentait dans sa voix manipulatrice, dans son regard vil et dans sa gestuelle.  

« Je voudrais entendre vos applaudissements… pas pour moi, mais pour vous. Vous êtes cette République, et vous mériteriez tout autant que nous de faire un discours en ce jour glorieux, en ce jour nouveau. » La foule l’acclama plus fort que jamais. Hogs ne daignait même pas regarder Nero, il ne l’aimait pas. « Et j’annonce aussi ma candidature aux élections à venir. » Hogs baissa les yeux vers le sol. Traître.  

Il était environ trois heures du matin. Les campagnes électorales battaient leur plein, mais l’homme n’en avait que faire. Il avançait, sous sa cape, dans les rues étroites des bas quartiers de la capitale. Derrière lui se tenait le Vice-Roi. Pas le vrai, mais sa copie forte et robuste, belle et bien bâtie, celui qu’on avait jadis connu sous le nom de Xanor-Y et qui avait causé la Chute du Royaume. Il se tourna vers l’Être et lui donna un capuchon pour camoufler son visage malheureusement bien trop célèbre. Xanor-Y s’exécuta. L’homme poussa la porte du bar « Le Virdo » fréquenté par une clientèle peu recommandable, et s’assis sur l’un des tabourets en inox, face au bar.  

« Nous avons du Dersium et de la Bière. » fit le barman. « Ou de l’eau. »  

L’homme acquiesça pour signifier son choix et le barman lui apporta un verre d’eau, jetant un regard intrigué sur l’être qui se tenait assis à côté de lui. Il n’osait pas lui passer commande, la masse de l’Être était menaçante, et malgré sa clientèle habituelle, il était terrifié par cet individu inconnu.  

« Nero est-il là ? » demanda l’homme au barman.  

L’horloge sonna dix heures. A travers la fenêtre du dernier étage de sa tour de campagne, Hogs vit sur un building voisin se déployer une grande affiche représentant Nero, disant de voter pour lui, qu’il était l’homme du peuple. C’est à ce moment que le téléphone sonna. Hogs décrocha.  

« Monsieur Nero est ici pour vous voir. » C’était sa secrétaire. Hogs leva les sourcils.  

« Pardon ? »  

« Il semble pressé. » répondit-il elle aussitôt.  

« Faites le entrer. » Les portes de la salle s’ouvrirent et Nero entra en trombe. Ses cheveux étaient en bataille, il saignait de son épaule droite, de ses yeux s’échappaient des éclairs. Il était suivi par des Watchers. « Qu’est-ce que ça veut dire ? » demanda Hogs, intrigué par son entrée soudaine.  

« Ce que ça veut dire ? Attrapez ce chien. »  

Les Watchers fondirent vers Hogs et lui passèrent les menottes. « Mais… » Il regarda Nero.  

« La prochaine fois, tu y réfléchiras à deux fois avant d’essayer de m’assassiner. Et tu apprendras qu’accompagner son homme de main ça grille souvent une couverture. »  

Trois ans et quelques jours plus tôt.  

Il faisait nuit. Hogs n’avait pas à être là. Personne n’avait à être là. Il faisait des heures supplémentaires, mais ce qu’il venait de découvrir dépassait l’entendement. A quoi bon créer un homme surpuissant, alors qu’on avait de quoi en devenir un ? Le code génétique de Xanor-Y n’a pas à être modélisé, il peut être transféré.  

Le liquide jaune gouttait dans une fiole. L’opération était presque finie. Il regarda les plans de Xanor-Y. Ils étaient justes à côté de lui. Cette nuit, la modélisation devait se terminer, et Xanor-Y devait être prêt. Tout se trouvait juste à côté de lui, il aurait pu tout faire d’un clic : annuler la modélisation, détruire les plans devenus obsolètes. Mais il fallait d’abord tester sa découverte. Il n’y avait pas de meilleure option que lui-même.  

L’opération se termina. Il prit la fiole contenait le fluide, et après l’avoir observée un instant, la but cul-sec.  

Le monde sembla encore plus noir. Il entendit des voix lui parler. Il attrapa sa tête entre ses mains et cria. La capuche et la cape qu’il avait mis pour que la caméra ne remarque pas sa présence en cas d’échec sembla l’étrangler.  

Le monde soudain, s’ouvrit à lui. Il éclata d’un rire sonore et récupéra les plans de Xanor-Y et les pris sur lui. Il regarda la modélisation en cours. Il sourit, et dans un dernier geste, récupéra le Modéliseur. Il se sentait plus fort, comme invincible, comme si ce qu’il était en train de faire allait sauver sa vie, et non entraîner sa mort comme il l’aurait cru il y a quelques heures.  

Alan Evans : Hogs  

Kyle Seven : Nero  

Olivia Stuard : Helen  

Anastasia Lauber : Seraphy