Soleil 2 livrait à Tokyo une lumière froide. Une lumière qui semblait artificielle, comme celle des hôpitaux. Trop propre pour être propice à l’imagination, trop belle pour sembler naturelle. Cela faisait deux ans que l’ancien Soleil avait été complètement remplacé – deux ans qu’il s’était éteint définitivement, suite à la Catastrophe. Depuis, l’air semblait glacial, tout semblait éteint. L’amour, la paix, la joie, la vie. Tout sentiment de bonheur semblait avoir été évaporé par les derniers rayons de l’ancien Soleil.  

Soleil 2 n’était qu’un respirateur artificiel, qui les maintenant en vie mais ne les faisait pas vivre réellement.  

Matsu regardait avec interrogation le vieil homme qui marchait en face de lui. Il était assis sur un banc du parc rempli d’arbres et de plantes mortes – ils avaient perdu la végétation naturelle, aussi – et l’homme âgé avançait avec difficulté, reposant sur sa canne, sur le trottoir. Lui aussi agonisait, plus que tout autre personne de cette ville. Matsu lui vivait, pour la première fois de sa vie.  

Matsu était ce que l’on appelait autrefois un « enfant de la lune », un garçon atteint de Xeroderma pigmentosum, allergique à la lumière du soleil. Du moins l’ancien. Celui qui émettait ces rayons si meurtriers. Désormais son seul adversaire était mort et avait laissé sa place à cette boule lumineuse aussi inoffensive pour lui qu’une lampe torche. Matsu découvrait ce monde qui mourrait peu à peu, blessé par la perte de son étoile, de son cœur, mais qui s’obstinait à vivre, à combattre la terrible vérité de sa mort.  

Le vieil homme s’écroula sur le sol, essoufflé. La lumière devait lui paraître irréelle, si étouffante pour cet homme qui devait déjà l’être dans son appartement au vingtième étage d’une tour du centre-ville. Pour moi, elle est réelle. Elle ne l’a jamais été autant.  

Mr. Takeichi venait de s’écrouler sur le sol. Il peina à se relever. Cette lumière lui donnait des vertiges. Elle était trop grande et trop aveuglante pour qu’il puisse avancer d’avantage. Il voulait pleurer, mais il n’y arriva pas. Cette lumière… C’est celle de la clinique, celle qui sera mon tombeau. Mr. Takeichi avait beaucoup vécu, trop vécu - du moins il le pensait, il n’aurait jamais voulu vivre avec cette ampoule géante, alimentée par cette énergie humaine collectée de la pire des façons.  

En face de lui, un jeune homme le dévisageait. Il semblait si sage, si calme, comme si il était la seule personne à ne pas être affectée par le Soleil 2. Pourtant, Dieu sait que beaucoup l’avaient été. Ujinori, ma bien aimée. Il sentit une larme perler sur sa joue. Cela faisait maintenant une année que sa femme s’était donné la mort, abattue par ce Nouveau Monde éclairé de telle manière. Comme beaucoup d’ailleurs. Beaucoup ne supportaient plus de vivre ainsi. Certains devenaient des hikikomori, ne vivant que par les nouvelles technologies, cloîtrés dans leurs chambres, rideaux fermés. Mr. Takeichi se sentait encore le besoin de sortir, de se traîner ainsi même si ce soleil le faisait souffrir. Il voulait vivre, vivre jusqu’à ce qu’il meurt naturellement. Mais tout cela est-il naturel ?  

Il rentra chez lui, péniblement, trébuchant sur le sol encore plusieurs fois. Son appartement était minuscule. Il y faisait une chaleur énorme, et l’odeur du lieu était âpre et presque vomitive. Des tas de livres encombraient le séjour. Sur la table était posé encore le couvert du midi, qu’il n’avait pas trouvé le courage de débarrasser. Il prit une feuille et écrit quelques mots pour ses proches. Il avait pris sa décision.  

Il pleuvait. Il n’avait pas plu une seule fois en deux ans et là il pleuvait. Pour l’enterrement du grand-père de Sadaki. L’Organisation du Monde Uni l’avait annoncé il y a déjà quelques mois, ils avaient trouvé un moyen de gérer les intempéries : orage, vent, pluie, neige – malgré l’absence de soleil et de perturbations atmosphériques. C’était un grand pas en avant, avaient-ils dit. Peut-être que cela ferait repousser l’herbe du sol, mais la tombe du vieil Hitamini Takeichi et de la noble famille Takeichi en général était trempée, entourée de part et d’autre d’une herbe morte, noircie par l’absence de lumière, d’eau, de vie. Un scientifique aurait dit que la photosynthèse, qui allait être ajoutée aux fonctionnalités de Soleil 2 dans peu de temps, permettrait définitivement aux plantes de retrouver la vie, mais Sadaki était persuadé que c’était faux.  

Pourtant en sortant du cimetière, il vit un rayon de soleil. Une fille, magnifique, qui passa devant lui. Elle dégageait un parfum fruité et lui fila sous le nez si vite qu’il n’eut pas le temps de voir son visage tout de suite. Il resta figé, à la regarder fixement. Un peu plus loin, elle s’arrêta, ses beaux cheveux roses voletant légèrement à ce moment-là. Elle jeta un coup d’œil derrière elle et vit Sadaki. Elle sourit.  

Sadaki rentra chez lui et alluma le téléviseur. Il regarda avec ennui les dernières informations mais le visage de la fille restait gravé dans son esprit. Il avait l’impression que le temps s’était arrêté lorsqu’il l’avait vu.  

La pluie s’arrêta à l’extérieur, brusquement.  

Matsu lisait le journal dans le Parc Kyono. Le Ministre des Affaires étrangères venait de décéder, et il faisait la Une. Pour beaucoup, c’était un coup au moral dans l’exploitation de Soleil 2. Le Ministre Odaka avait été l’un des principaux exécutants dans le projet. Des enfants jouaient juste à côté de lui, mais ils semblaient tristes. Plus tristes que dans les films que Matsu regardait lorsqu’il était cloîtré dans une maison fenêtre, écarté de la lumière et obligé de s’occuper comme il le pouvait.  

Un jeune garçon de son âge s’assit à côté de lui. Il était grand et élancé, ses cheveux lui retombaient autour de la nuque d’une façon plutôt comique. « Belle journée. » dit-il en regardant Soleil 2. Matsu jeta un coup d’œil à son tour sur la boule lumineuse. Il acquiesça.  

« J’aimerais bien qu’il pleuve. » répondit Matsu. L’autre jour avait été sa première expérience de pluie. Jamais il n’avait senti auparavant des gouttelettes lui tomber dessus. Il attendait avec impatience le jour où ils décideraient de faire neiger.  

« Cette pluie virtuelle ? Très peu pour moi. J’ai du mal à supporter ce soleil. Ce qui est beau dans cette journée, ce n’est pas lui, en réalité. » Son regard s’attarda sur un banc d’en face où une jeune fille aux cheveux roses dessinait, les yeux rivés sur son croquis. Matsu ne put s’empêcher de lâcher un sourire. Le jeune garçon regarda Matsu. « Sadaki Takeichi, enchanté. »  

« Matsu Yokijawa. »  

Ils redevinrent silencieux. Matsu repris sa lecture du journal et Sadaki continua d’observer la jeune fille. « Tout ça est si virtuel. J’ai l’impression d’être dans un film. Tout semble irréel, déconstruit, comme si tout ça n’était pas vrai, froid, glacé, sombre malgré cette lumière aveuglante. Non ? » Matsu haussa les épaules.  

« J’ai l’impression de vivre pour la première fois de ma vie. » Sadaki regarda à nouveau la fille sur le banc d’en face. « Va la voir. » fit Matsu. « Elle ne tombera pas dans tes bras si tu restes planté sur ce banc à la fixer comme ça. » Sadaki sourit, mais il resta sur le banc, continua à observer la jolie fille.  

Sadaki s’assit sur le sol de sa chambre. Il ouvrit un livre et commença à lire mais la fille aux cheveux roses restait gravée dans son esprit. En ces temps sombres, ces temps où tout ne semblait pas exister, elle était son seul rayon de soleil, le seul but de son existence. Il ne connaissait même pas son nom. Elle devait habiter tout près, pourtant. Il repensa à ce que lui avait dit Matsu. Il avait raison, jamais il ne gagnerait son amour ou son intérêt en restant planter là, à l’observer.  

La lune se leva. Celle-ci existait vraiment, ce n’était pas un ersatz d’astre cosmique créé par l’homme. Peut-être était-ce alors le moment opportun, pensa-t-il. Il se leva lentement et regarda par la fenêtre. Bientôt. Elle est mon Nouveau Soleil.  

Produit par Studio Mochi et co-produit par WB Entertainment, écrit par Kane Mochibata. Distribué par Guards Brothers. Présenté en sélection officielle au 3è Festival du Film d'Animation pour Enfants, organisé le 24 juin 2028.  

Tsui Wong : voix de Sadaki  

Ronald Boswell : voix de Matsu  

Jocelyn Gunning : voix de Nouveau Soleil  

Anastasia Carlos : voix de Okira