Cinejeu.net : devenez producteur de cinéma ! (jeu en ligne gratuit de simulation économique)

Les Films du Corbeau présente
Le Diable au corps

La locomotive se mettait en branle et François (Thor DEGAST) fut contraint de se jeter sur la marche du compartiment et d’actionner la poignée de la porte avec une certaine violence. La jeune femme qui y était assise, seule, sursauta et il s’excusa poliment. Il prit place sur le siège opposé et reprit sa respiration. A quelques secondes prêt, il manquait son train et aurait du attendre près de deux heures à la gare Saint-Lazare.  

La journée avait été éprouvante. Son frère ainé, Antoine, était soigné à l’hôpital de la Salpêtrière depuis plusieurs semaines. Il n’avait jusqu’à présent pas eu l’occasion de lui rendre visite, mais sitôt les vacances scolaires entamées, il s’y était précipité. Il se demandait s’il avait bien fait : il avait été très choqué par son visage ravagé par un éclat d’obus. Jusqu’à présent, il maudissait ses quinze petites années, insuffisantes pour lui permettre de rejoindre le front. Mais voir son frère dans un tel état lui avait fait comprendre que les idéaux d’héroïsme et de courage qu’il avait en tête n’étaient pas du tout en osmose avec ce que son frère pouvait raconter de la bataille de Verdun qui lui avait valu de telles blessures et un traumatisme que le temps aurait bien du mal à guérir… Il se rendait maintenant compte à quel point il était privilégié d’être un jeune collégien, en sécurité dans sa petite ville de banlieue parisienne, protégé par des soldats comme son frère qui, du jour au lendemain, pouvaient revenir dans un état plus proche de la chair humaine.  

Clémence (Ines LAMBERT) était songeuse, angoissée. Elle venait de rendre visite à la tante parisienne de son mari, et elle n’avait pas réussi à obtenir plus de nouvelles de son époux qu’elle n’en avait elle-même reçu. Elle n’était mariée à Alphonse que depuis quelques mois quand il dut rejoindre le front. Il avait toujours écrit avec une grande régularité. Mais cela faisait plus de deux semaines qu’il n’avait pas écrit, et cela n’était pas dans ses habitudes. C’est à cela qu’elle pensait alors qu’elle regardait défiler la campagne par la fenêtre du compartiment, inconsciente du regard qui se posait sur elle.  

François la trouvait très belle. Son visage était sérieux et reflétait une certaine angoisse, mais il pouvait facilement deviner à quoi elle ressemblait quand elle souriait, quand elle riait. Il observait ses mains délicates et nerveuses triturer les boutons de son corsage. Elle était bien plus attirante que les jeunes filles de son âge, dont les formes ne se dessinaient que timidement sous leur uniforme de collégienne.  

Ils descendirent à la même gare. Il lui prêta la main pour descendre du compartiment et ne pas se prendre les pieds dans sa longue robe, et il put apercevoir un léger sourire alors qu’elle le remerciait. Mais leur échange de regard avait été bien rapide. Il la regarda rejoindre une dame plus âgée, qu’il reconnut pour être Madame Gasnier, une patiente de son père. La jeune femme devait surement être la jeune épouse du fils Gasnier, qui était parti sur le front…  

 

 

- François, arrête de bailler aux corneilles. Les vacances ne sont pas seulement faites pour traînasser. As-tu pensé à ma suggestion ?  

Son père le fit sursauter alors qu’il était en train de s’assoupir, vautré sur la balancelle du jardin. Médecin apprécié de la ville, le docteur Chancelle avait de hautes ambitions pour son fils. L’année prochaine, il souhaitait absolument que François rejoigne un lycée parisien réputé, et il s’était mis en tête de mettre à profit ces dernières vacances scolaires avant l’été pour que son fils rattrape son retard dans certaines matières. Apparemment, l’une de ses patientes pouvait l’aider à travailler ses lettres classiques. L’idée de passer ses vacances le nez dans des livres d’auteurs morts depuis plusieurs siècles en compagnie d’une vieille bigote quelconque n’enchantait nullement François. Son père l’épatait : s’ingénier à le faire penser à ses études alors qu’une guerre faisait rage, et que si cette guerre ne prenait pas fin bientôt, il rejoindrait sans doute le front avant d’arriver au baccalauréat. Mais il préféra s’abstenir de partir sur ce terrain-là. Si ses parents étaient bien plus détendus depuis qu’Antoine était revenu du front, son état et l’avenir en général faisaient de la guerre un sujet tabou au sein de la maison.  

- Et si je lisais quelques bouquins, ça ne pourrait pas faire l’affaire ?  

- Ne fais pas l’enfant. Allez, c’est décidé. D’ailleurs, j’ai dit à Madame Gasnier que tu irais la voir cet après-midi.  

Madame Gasnier, cela changeait tout ! Peut-être pourrait-il revoir la jeune femme du train…  

 

 

François était à l’heure lorsqu’il sonna à la porte d’entrée. Madame Gasnier ouvrit la porte et le regarda avec un sourire aimable.  

- Bonjour Madame, je suis François Chancelle. Mon père m’a dit…  

- Ah bien sûr, le jeune François ! J’avais oublié. Mais ton père m’a mal comprise, ce n’est pas avec moi que tu as rendez-vous. C’est avec ma bru, Clémence. Sa maison est à juste en face.  

François traversa la rue et sonna à la porte d’une maison de taille bien plus modeste, mais à la façade délicatement fleurie. C’est bien la jeune femme du train qui ouvrit la porte. Contrairement à leur première rencontre, elle était beaucoup plus rayonnante. Sa robe blanche reflétait la lumière du soleil sur son visage et elle souriait. Exactement le sourire qu’il avait imaginé dans le train…  

- Tu dois être le jeune François ? Bonjour, je suis Clémence. Entre.  

Il la suivit dans une petite salle à manger. La table n’était pas desservie du repas qu’elle avait visiblement prit seule, et elle s’affaira à la débarrasser.  

- Tu dois m’excuser du désordre. Je n’avais pas oublié notre rendez-vous, mais pour tout t’avouer, le facteur m’a apporté une lettre de mon mari et je n’ai pas vu l’heure passer. Il est sur le front, et je n’avais plus eu de nouvelles de lui depuis un moment.  

- C’est donc pour ça que vous aviez l’air soucieuse l’autre jour !  

Clémence le regarda avec surprise.  

- Nous avons pris le train ensemble il y a deux jours, depuis la gare Saint-Lazare. Vous ne vous souvenez pas ?  

- Le jeune homme du train ! Pardonne-moi. C’est vrai que j’étais soucieuse ce jour-là. Je n’ai pas fait très attention au monde qui m’entourait…  

Avec le sourire qu’elle lui renvoyait, il l’aurait excusé de fautes bien plus graves encore…  

Elle déposa sur la table une pile de livres qu’elle avait visiblement préparée à son intention. Elle avait fait quelques études de littérature, lui dit-elle, dans le but de devenir institutrice. Mais elle avait abandonné ses projets lorsqu’elle avait rencontré son futur mari.  

La séance se déroula sans accroc, même si François avait quelques difficultés à s’intéresser aux auteurs dont lui parlait la jeune femme. Il l’observait, regardait son chemisier se gonfler à mesure qu’elle reprenait sa respiration lorsqu’elle lui lisait quelques extraits, se noyait dans ses yeux bleus quand elle le regardait… C’était la première fois qu’il ressentait de tels émois pour une vraie femme. Ils devaient avoir 6 ou 7 ans d’écart seulement, mais cet écart était souvent infranchissable lorsqu’on était si jeune. Pourtant, en sa présence, il ne se sentait pas un enfant. Il se sentait même particulièrement à l’aise, à la place où il devait être, au moment il le fallait. Lorsqu’il quitta la jeune femme au bout de deux heures, il n’y avait aucun doute dans son esprit : il était amoureux…  

 

 

Il n’eut aucune difficulté à se rendre à son cours particulier quotidien, et son père s’en félicitait. Lorsque les vacances prirent fin, il eut le cœur serré. Mais il décida de poursuivre ses visites, aussi souvent qu’il le pouvait. Et il était bien accueilli, car Clémence n’étant pas originaire de cette ville, elle n’y connaissait pas grand-monde en-dehors de sa belle famille. Et elle se sentait souvent seule. Ils s’installaient autour d’un thé et parlaient d’abord littérature, études. Puis rapidement, ils en vinrent à parler d’eux même. Clémence dévoilait ses peurs et sa solitude de savoir son mari sur le champ de bataille. François lui apportait un réconfort respectueux, et lui parlait de ses ambitions et aspirations. Clémence se sentait bien en sa compagnie. Pour un jeune homme de quinze ans, elle le trouvait particulièrement mature et intéressant. Il la distrayait de sa vie de femme mariée à un mari absent et dont la vie ne pendait qu’à un fil.  

Ce jour-là, elle trouva François plus nerveux que d’habitude, plus absent. Pourtant, il la fixait d’un regard plus intense que d’habitude. Lorsqu’il prit soudain sa main dans la sienne et qu’il y déposa un baiser, elle ne fut pas choquée, juste un peu surprise. Elle se rendait compte que sans y avoir prêté réellement attention, sans avoir mit de mots sur cette sensation, elle s’y attendait. Elle retira sa main, mais après de longues secondes. Trop de temps pour ne pas rougir.  

- François, que fais-tu ? Tu ne peux pas…  

- Je t’aime, Clémence. Ca te gène ?  

Elle se leva et marcha de long en large dans la pièce. Son visage la brûlait.  

- Enfin François, c’est insensé ! Nous ne pouvons pas… tu ne peux pas te comporter comme ça ! Je suis mariée, et bien trop vieille pour toi !  

Il la fixait d’un regard désarmant.  

- Qu’est-ce qui nous empêche vraiment ?  

- Qu’est-ce qu… Mais enfin, tout ! Mes beaux-parents vivent juste de l’autre côté de la rue, mon mari est sur le front, tu as quinze ans et moi vingt-deux… Le regard des gens, tu ne te rends pas compte ?  

Il se leva de son siège et s’approcha d’elle. Elle recula, il resta devant elle sans la toucher. Son visage s’éclairait d’un large sourire. Elle fronça les sourcils.  

- Pourquoi souris-tu ?  

- Parce que tu n’as pas dit que je ne te plaisais pas…  

C’était vrai, c’est pourtant ce qu’elle aurait du dire en premier lieu. Et elle réalisa qu’elle ne l’avait pas dit car elle ne le pensait pas une seule seconde. François lui plaisait énormément, elle ne l’avait seulement pas encore remarqué… Il approcha son visage du sien, mais elle le repoussa.  

- Non François, non ! Ce n’est pas possible. Je ne peux pas.  

Elle s’éloigna et ouvrit la porte du salon.  

- Il faut que tu t’en ailles maintenant. Et s’il te plait, ne reviens pas.  

Pourtant, lorsqu’il revint frapper à la porte le soir même, à la nuit tombée, elle ouvrit la porte et le laissa entrer sans dire un mot…  

 

 

Depuis ce jour, et pour les semaines et les mois qui suivirent, Clémence et François se retrouvèrent régulièrement, secrètement, chez elle ou à l’extérieur de la ville, dans une guinguette des bords de l’Oise ou tapis dans une clairière ombragée. Certes, les parents de François comme les beaux-parents de Clémence froncèrent les sourcils, regardèrent les allées et venus de l’un comme de l’autre avec un front soucieux. Devinèrent-ils ? Savaient-ils ? Peut-être n’avaient-ils pas envie de croire à une association aussi dissemblable que scandaleuse. Les amoureux se faisaient discrets, tout en évitant de se confronter à la réalité.  

Une réalité qui n’allait pas tarder à les rattraper. Un soir d’octobre 1918, Clémence annonça à François qu’elle attendait un enfant. Il fut tout à sa joie, il voulait de Clémence entièrement, jusqu’au bout. Elle fut plus soucieuse. Elle savait que la guerre était proche de son terme, et qu’Alphonse allait revenir. Maintenant c’était trop tard, elle ne pouvait plus repousser l’échéance d’un scandale...  

 

---------------------------------  

 

Un film de Leonard BRUMEL  

Sur un scénario du Corbeau, adapté du livre de Raymond RADIGUET, Le Diable au corps  

 

Avec  

Thor DEGAST - François  

Ines LAMBERT - Clémence  

 

Sur une musique de Valeria CAMACHO  

 

Scénario : (1 commentaire)
une série Z sentimentale (Drame) de Leonard Brumel

Thor Degast

Ines Lambert
Musique par Valeria Camacho
Sorti le 05 septembre 2031 (Semaine 1392)
Entrées : 17 200 348
url : http://www.cinejeu.net/index.php?page=p&id=54&unite=fenetre&section=vueFilm&idFilm=21886