Sous le coup de la gifle que lui mit son époux, Louise tomba à terre près du berceau où son bébé pleurait. Une fois de plus, Paul était rentré ivre à la maison, et une fois de plus cela le rendait violent. La moindre petite contrariété se transformait vite en crise de colère, en cris puis en coups. Cela faisait trois ans que ça durait, trois ans qu'il avait sombré dans l'alcoolisme et que les choses avaient petit à petit empiré pour en arriver là. Au début, lorsqu'elle avait surpris son mari la nuit, en train de se grimer comme il l'avait fait pendant dix ans, elle avait pris sur elle, se disant qu'il lui faudrait du temps pour se réadapter à sa nouvelle vie. Mais elle avait petit à petit compris que ce passé lui manquait, que Suzanne lui manquait. Il n'était pas bien dans sa peau, et avait noyé ça dans l'alcool.  

Dans le berceau, Paul Junior pleurait plus fort encore. Les cris autour de lui, les coups qui pleuvaient, affolaient le nourrisson qui exprimait son mal être à sa manière. Plus loin, Paul se tenait la tête, ne supportant plus les cris de son enfant. "J'en peux plus !, hurla-t-il. Arrête de crier où tu vas en prendre une toi aussi !" Près du berceau, Louise s'était relevée, et regardait son époux avec un mélange de haine et de pitié. "Qu'est-ce qu'il y a ?" lui hurla Paul en la voyant le regarder ainsi. Sans rien répondre, elle marcha jusqu'à son lit, et s'assit près de la table de nuit. Paul Junior continuait de pleurer. Le bébé était malade, ce qui n'arrangeait pas les choses. Son père se tenait à nouveau la tête entre les mains.  

Soudain il releva la tête, les yeux rouge de haine. Il fila alors droit vers le berceau, déterminé à mettre à cet enfant la raclé qu'il méritait. Mais il fut tout à coup stoppé dans son élan, au moment où un coup de feu retentit. Debout près du lit, tenant dans sa main l'arme qu'elle venait d'attrapper dans le tiroir de la table de nuit, Louise observa alors son mari sans trop comprendre elle-même ce qui venait de se passer. Une tâche brune apparut sur la chemise de ce dernier, puis il s'écroula à terre. Les mains tremblantes, tandis que son bébé continuait de pleurer, Louise chercha à comprendre ce qui venait de se passer. Comment avaient-ils pu en arriver là, eux qui s'étaient tant aimé, eux qui avaient traversé de telles difficultés ?  

Ce jour là, le jour où leur vie avait changé, ils étaient pourtant convaincus d'avoir trouvé la solution à tous leurs problèmes. Paul Grappe (Blad Demeci) et Louise Landy (Alyssa Mitchell) s'étaient rencontrés lors d'un bal où ils s'étaient rendus avec leurs amis respectifs. Très vite, ils s'étaient mariés. On était en 1911, et la vie était facile pour cet opticien qualifié. Déjà les deux amants imaginaient leur vie à deux, se voyaient avec plusieurs enfants. Un avenir radieux semblait se dessiner sous leurs pieds.  

Mais l'Histoire avait tout changé. Lorsque la France entra en guerre en 1914, Paul fut envoyé au front, comme tous les hommes de son âge. Là-bas, il connut l'enfer et l'horreur des tranchés, un traumatisme tel qu'il alla jusqu'à se mutiler l'index, prétextant une blessure de guerre, pour y échapper. Une fois guéri, sachant qu'il allait devoir y retourner, Paul avait préféré s'enfuire de l'hôpital avec l'aide de son épouse, pour déserter. Il ne pouvait se résoudre à retourner dans les tranchées, loin de celle qu'il aimait. Cela faisait déjà plus d'un an que la guerre avait été déclarée. Espérant qu'elle ne dure pas, il s'était donc caché dans leur appartement parisien jour et nuit, attendant l'armistice. Car à l'époque à Paris, les jeunes hommes qui ne faisaient pas la guerre étaient vite suspectés de désertion.  

Pendant des semaines il était resté enfermé, mais la guerre s'éternisait, et Paul devenait fou enfermé entre ces quatre murs. Un jour, ils avaient pensé trouver la solution à tous leurs problèmes. Avec l'aide de Louise, il enfila des vêtements de femme et se maquilla, pour pouvoir enfin sortir au grand air. Au départ il ne pensait le faire qu'une seule fois, pour mettre les pieds or de cet appartement. Mais Paul y prit vite goût, et Louise appréciait également de pouvoir passer des moments avec son mari à l'extérieur.  

Ainsi, Paul Grappe devint Suzanne Landgard. Les deux amies faisaient tout ensemble. Louise trouva même du travail pour Suzanne dans l'atelier de couture où elle travaillait. Suzanne se lia d'amitié avec les amies de Louise. Petit à petit, il prit de plus en plus goût à ce rôle qu'il jouait à la perfection. Le temps passa, et la guerre prit fin. Mais pour autant, la chasse aux déserteurs ne fut pas abandonnée. Paul fut donc forcé de continuer à se travestir pour se cacher, mais déjà Louise le soupçonnait d'apprécier la situation.  

Un soir, alors que Louise et Suzanne s'étaient rendues au bal avec des amies, Louise voulut rentrer lorsqu'il commença à se faire tard. Mais Suzanne de son côté n'était pas décidée à interrompre sa soirée. Les deux amies se disputèrent alors, et Louise rentra sans son mari à l'appartement. Elle ne le reconnaissait plus. Tout ça l'avait transformé. Et pourtant, elle l'aimait toujours de tout son coeur. Tandis que Louise passa la nuit à s'inquiéter, craignant que Paul ne fasse une bêtise et ne soit démasqué, lui continua à faire la fête.  

Sur le chemin du retour, passant par les bois, il surprit un couple qui, à la lumière de la lune, s'était éclipsé pour faire l'amour. Caché derrière un arbre, Paul observa la scène, lorsque l'homme l'aperçut. Voyant cette femme qui les observait, l'homme lui propose de se joindre à eux. Hésitant un instant, l'esprit embrumé par l'alcool, Paul accepta finalement et rejoignit le couple. Lorsqu'il rentra chez lui, il ne prononça pas un mot à sa femme.  

A partir de ce jour, Paul abandonna sa femme chaque nuit, pour se rendre dans le même bois où il retrouvait des personnes et couples en tous genres. Dans ces bois, il se prostitua à la fois avec des hommes et des femmes, et participa à des partouzes. Une nuit, s'inquiétant de ce que son mari faisait tous les soirs, Louise le suivit jusqu'à ce bois. Lorsqu'il la découvrit, Paul ne se formalisa pas et lui proposa de les rejoindre. Après tout, plus on était de fous... Il lui présenta alors Jean, un des jeunes hommes qui venait là chaque nuit comme lui.  

Suzanne était devenue une célébrité dans ce bois, et rencontrer sa femme était un honneur. Par amour pour son mari, Louise accepta de le rejoindre dans ces soirées. Chaque nuit elle y retrouva le même homme (Bradley Alanson), qui devint rapidement son amant, sans que cela ne dérange aucunement Paul. Lui aussi avait une maîtresse, Jacqueline (Carla Morane). Loin de la vie qu'ils s'imaginaient quelques années auparavant, les deux époux s'adonnèrent alors à tous les vices dans ces bois, dans le Paris des années folles.  

Paul semblait se sentir mieux que jamais dans la peau de Suzanne. Il semblait ne pas vouloir l'abandonner. Il n'avait pas d'autre choix de toute façon, sachant quel sort lui serait réservé si jamais on le retrouvait. C'était un déserteur. Mais plus Paul s'enfonçait dans ce rôle qu'il s'était créé pour échapper à la mort, plus il risquait d'être difficile pour lui d'en sortir le jour où il serait amnistié. Or il ne se rendait pas compte que sa femme, celle qu'il amait tant et pour qui il avait pris tous ces risques, souffrait de cette vie qu'ils vivaient tous les deux.  

Louise espérait voir tout ça prendre fin, retrouver l'homme qu'elle avait épousé. Elle ignorait que jamais plus elle ne pourrait le retrouver vraiment. Car Paul et Suzanne ne faisaient plus qu'un, et il lui serait impossible de quitter définitivement celle qu'il était devenu.