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Des Rêves de Candeur

************** Sélection officielle du Concours Rose 2033 **************  

 

— Une histoire à l’eau de rose —  

 

Les artères commerçantes semblaient s’évaser sous la pression d’une foule toujours plus fournie, toujours plus hâtive. Le flot s’agitait uniformément, tel un banc de poissons fuyant quelconque prédateur. L’air sentait la framboise, le soleil flamboyait et un doux vent caressait les passants qui défilaient inlassablement dans les rues du centre ville. Ils s’arrêtaient de temps à autres, pour admirer les vitrines des beaux magasins ou pour se procurer le dernier tirage de Libération ou du Progrès. Dans cette foule compacte, dans ce bataillon en marche, il fallait suivre la cadence imposée. Étienne Crochet-Frange par exemple (Melvil Besnard), le jeune homme à la silhouette élancée et au regard azuréen, aurait aimé s’immobiliser devant Le Café des Jacobins pour humer le parfum de la fraiche torréfaction. Il aurait surement apprécié les détails qui ornent la façade du Palais de la Bourse s’il avait pu prendre le temps de s’arrêter et de l’admirer. Mais il ne s’y serait jamais risqué.  

Étienne, à l’aube de sa dix-septième année, était un garçon réservé et pudique, qui n’avait pas pour habitude de transgresser les convenances, de rompre l’ordre. Il préférait se taire et observer, distinguer, ce qui était invisible aux autres. Savourer l’ineffable plutôt que bavasser vulgairement.  

 

Tout en maintenant un pas rapide, Étienne s'extirpa de la marche grouillante pour rejoindre une voie parallèle. Il avait pris l'habitude d'emprunter cette étroite venelle pour échapper à l'infernale agitation de la rue Saint-Jean. Là enfin, Étienne pu adoucir sa marche et s'immobiliser. Il inspecta les deux extrémités de la ruelle ; personne ne semblait s'y être engagé. Il plongea alors une main dans la poche intérieure de son gilet et en arracha une flasque en métal chromé, sur laquelle était inscrit son nom. Il retira la capsule et porta le goulot à sa bouche. Étienne se délecta ; il était accro au lait concentré sucré.  

Il tirait un véritable déshonneur de cette dépendance. Il avait grandi au sein d'une famille quelque peu restreinte, n'ayant jamais connu son géniteur, mais son environnement lui avait toujours semblé des plus équilibrés. Sa mère, Solange, avait instauré une parfaite prohibition des substances sucrées en son logis. Prohibition qu'il avait toujours respecté, jusqu'à très récemment. La découverte de mets tels que la meringue, le caramel ou les berlingots l'avait pleinement conquis et très vite, Étienne s'était lancé dans la confection de délices semblables.  

Le jeune homme avait repris sa marche. Il arrivait à hauteur d'un commerce dont la façade était couverte d'un faux marbre vert de mer. Une large vitrine laissait entrevoir de nombreux prodiges : pâtes d'amande, pâtes de fruit, beignets et chocolats étaient éparpillés sur les étales intérieures. Étienne s'approcha et les portes automatiques l'invitèrent à s'engouffrer dans cet éden orné d'infinies friandises.  

 

Il ne venait nullement assouvir son désir de sucre mais se rendait tout banalement sur son lieu de travail. C'est en effet dans cette prestigieuse pâtisserie lyonnaise qu'Étienne avait entamé un stage, quelques semaines plus tôt. Très vite, son application et sa minutie avaient poussé ses supérieurs à lui confier l'entière confection de certaines spécialités de la maison.  

Alors qu'il emplissait des macarons d'une épaisse ganache au chocolat blanc, une mince demoiselle qui mâchouillait frénétiquement un chewing-gum à la fraise l'apostropha. Une cliente désirait lui parler. Étienne fut quelque peu interloqué et n'eut pas le temps d'acquiescer qu'il avait déjà le téléphone entre les mains. Timidement, il entama la conversation :  

 

« Bonjour ..?  

- Je viens de recevoir une tarte aux framboises et j'aurai aimé toucher deux, trois mots à son auteur. S'agirait-il de vous ?  

- Lui-même, madame.  

- Il se dégage tant de poésie, tant de grâce ... la compotée de fruits rouges est parfaitement acidulée ... c'est un délice inouï. Pourriez-vous m'en porter une autre demain ? Pourriez-vous me livrer, personnellement ? Notez donc mon adresse : Mme de la Canardière, 43 Boulevard des Belges. À demain, donc ! »  

 

La mystérieuse cliente avait raccroché sans même attendre une confirmation de sa part. Elle lui avait laissé une étrange impression. Pourtant, Étienne avait déjà hâte de la rencontrer. Jamais une personne n'avait associé de tels termes à ses créations. L'idée d'être un auteur lui plaisait. Il s'imaginait en train de composer une brioche, de versifier un savarin, de sculpter un mille-feuilles.  

 

[...]  

 

Étienne fixa sa bicyclette à un lampadaire et se dirigea vers l'adresse que la cliente lui avait indiqué, un coffret cartonné sous le bras. Le boulevard des Belges était une large avenue du sixième arrondissement de Lyon qui longeait d'une part le Parc de la Tête d'Or. Bordé de demeures hautement cossues, le boulevard semblait être un incroyable ramassage des plus fameuses figures de la ville.  

Il se tenait, depuis plusieurs minutes déjà, devant un immense portail noir surmonté de pics. D'ici, il ne pouvait qu'entrevoir le sommet d'un cyprès parfaitement taillé. À droite du portail se tenait une imposante colonne sur laquelle avait été placée la sonnette. Après l'avoir fixé quelques minutes encore, il finit par diriger son doigt en sa direction et sonna. Quatre fois.  

 

Un homme empaqueté dans un costume trop large vint lui ouvrir. Il s'agissait du gardien de la demeure. Alors que le portail s'entrouvrait, Étienne découvrit l'absolue beauté du manoir dans lequel résidait Mme de la Canardière.  

 

« Appelez-moi Muguette ! » fit remarquer cette dernière (Marie-Lucie Dufosser) lorsqu'enfin il la rencontra.  

 

Alors qu'elle venait l'accueillir, Étienne s'étonna de son allure ; une chevelure rose bonbon couronnait un visage outrageusement maquillée. Le regard délicatement cerné d'un dégradé pastel, les joues couvertes de poudre rosée et les lèvres pailletées marquaient les principaux traits de son visage. Arborant une robe en mousseline de soie rose, pareille à celles portées par certaines poupées de collection, la fameuse cliente s'avança pour le saluer.  

L'intérieur de la demeure lui était en tout point assorti. Derrière une apparence extérieure classiquement bourgeoise, le manoir dissimulait un univers rococo-bizarroïde. Le rose se déclinait dans toutes ses nuances. Une statue de licorne trônait dans le hall, tandis qu'un ourson fuchsia aux dimensions démesurées couvrait la moitié de la salle de séjour. Dans la salle à manger, sur un massif buffet en bois de rose, figurait une dizaine de bocaux débordants de friandises diverses. Une foisonnante fontaine délivrait profusion de gelée de framboises tandis qu'une autre faisait jaillir du chocolat blanc bouillonnant. Dans chacun des coins de la pièce, un vase en céramique rosâtre maintenait un bâtonnet surmonté d'une improbable barbe à papa.  

 

« Pink is punk, as they say ! » fit-elle remarquer avec un accent terrible, tandis qu'Étienne observait les innombrables plumes roses qui couvraient le sol du salon.  

 

Muguette de la Canardière vivait seule dans cet hôtel particulier qu'elle avait très personnellement agrémenté. C'était une pauvre fille qui, à défaut de chatons, avait trouvé refuge dans le douceur rose et sucrée de l'imaginaire enfantin. Évoluant en marge de la société, Muguette ne semblait pas avoir d'occupation professionnelle. L'évidente couche de maquillage rendait l'estimation de son âge complexe. Peut-être avait-elle trente ans ? Ou bien quarante ?  

 

Elle l'invita à boire un thé, à la rose évidemment. S'il n'affectionnait pas vraiment les saveurs florales, il n'osa pas la froisser et accepta. Sur l'ample terrasse qui donnait directement sur les sublimes serres du Parc de la Tête d'Or, à l'ombre d'un cognassier en fleur, ils s'installèrent. Muguette se délecta de chacune des cuillerées plongées dans la tarte qu'Étienne venait de lui livrer. Chaque portion engouffrée était accompagné d'un léger bruissement, suivi d'un éloge toujours plus imagé.  

 

« Vous avez un don, Étienne. C'est indéniable. Vous apportez un peu de poésie dans ce monde de putes » finit-elle par conclure.  

 

Le jeune pâtissier se retint de rire et esquissa simplement un sourire reconnaissant.  

Dès qu'elle eut fini son assiette, elle se leva et alla enclencher le tourne-disque qu'elle devait avoir préalablement disposé. La musique, une polka composée par Johann Strauss II, se mit à raisonner. Tandis qu'elle commençait à se trémousser mollement, Muguette invita le garçon à la rejoindre.  

 

« Je ne sais vraiment pas danser, désolé.  

- Ah bon ? Étrange. Ce n'est pourtant pas compliqué ! »  

 

Et alors elle se mit à balancer ses bras avec fureur. Ne suivant absolument pas la mélodie vive et entrainante, elle réalisait une chorégraphie hasardeuse, dont les gestes semblaient être maladroitement empruntés à John Travolta ou Michael Jackson. Muguette tenait les yeux clos mais exhibait un franc sourire d'où échappaient, parfois, quelques éclats de rire. Amusé, Étienne commença a remuer les épaules et à claquer des doigts. Il se dressa timidement et entama un enchainement de pas tout aussi peu appropriés. Il s'abandonnait peu à peu, oubliant son embarras ; l'euphorie le gagnait. Et ainsi ils passèrent le restant de l'après-midi à se dandiner grotesquement tandis que la brise, secouant occasionnellement les branches du cognassier, couvrait peu à peu la terrasse de pétales roses ...  

 

[...]  

 

Solange (Mylene Micoton) souffla péniblement. Conformément à la tradition, le gâteau d'anniversaire était proscrit, et c'est donc dans un rôti de porc grossièrement ficelé que ses deux fils avaient planté les bougies. Étienne et Louis applaudirent leur mère avant de lui remettre le présent qu'ils avaient conjointement choisi. Solange feignit d'être surpris lorsqu'en arrachant le papier elle découvrit son cadeau : une statuette de dodo en bois. Chaque année, à Noël comme à son anniversaire, ses fils s'associaient pour lui offrir LA pièce manquante de sa précieuse collection de reproductions de l'oiseau mauricien.  

Après avoir rapidement embrassé ses enfants, Solange s'empara d'une seringue pieusement conservée dans son étui. Elle était atteinte, depuis son adolescence, de diabète et devait donc procéder à des injections d'insuline plusieurs fois par jour. Voilà pourquoi elle tenait le sucre pour ennemi public n°1. Voilà pourquoi elle avait pris le récent choix d'orientation professionnel d'Étienne pour un affront tout personnellement dirigée contre elle. Elle ne s'intéressait nullement aux ambitions de son fils et ne se renseignait jamais sur ses possibles progrès, ses hypothétiques avancées. Le sujet était tabou et toujours bassement écarté. Parallèlement, Louis (Ben Homard), le fils ainé, s'étendait souvent longuement sur ses tribulations professionnelles autrement plus acceptables. Il avait pris la tête de la modeste entreprise familiale de pompes funèbres et avait ainsi acquis toute la reconnaissance de sa mère. Solange ne comprenait pas pour quelle raison Étienne avait outrepassé ce qu'elle avait pressenti pour lui : l'obtention d'un baccalauréat scientifique, puis du du diplôme de l'EFFA (école de formation funéraire). Peut-être était-il homosexuel ?  

 

L'ambiance était quelque peu pesante alors que les trois membres de la famille Crochet-Frange mastiquaient laborieusement leur bout de rôti. Étienne ne pouvait plus lutter. Il se leva, alla aux toilettes, sortit la flasque de sa poche et engloutit l'intégralité de son contenu. Mais le lait, dont la douceur était habituellement source d'apaisement, lui sembla curieusement avoir une saveur amère ...  

 

[...]  

 

Depuis leur rencontre, Muguette et Étienne s'étaient revus à plusieurs reprises. Toujours chez elle, à l'occasion de livraisons gourmandes. Elle appréciait la compagnie du jeune garçon tout autant que ses talents de pâtissier. Il n'était pas très bavard, un peu trop raisonnable à son goût mais elle appréciait sa naïveté. Il n'était pas atteint par le soucis chronique de conformisme. S'il n'enfreignait que peu les normes, c'est tout simplement parce que l'idée même de les enfreindre ne lui venait pas à l'esprit. Il acceptait la douce folie de Muguette sans jamais la juger. Étienne aimait particulièrement se retrouver chez elle, considérant le monde qu'elle avait imaginé comme un fabuleux échappatoire à l'aigreur de son entourage.  

Alors qu'ils avaient entamé une sérieuse partie de petits chevaux, Muguette lui demanda où il résidait. Étienne ne lui avait jamais parlé de sa famille mais il du s'y résoudre, lui expliquant qu'il avait une chambre chez sa maman.  

 

« Vous avez bien raison. Après tout, on n’est jamais mieux servi que par sa mère ! »  

 

Sans qu'il ne lui demande, Muguette lui expliqua qu'elle était orpheline. Sa mère s'était suicidée alors qu'elle était pouponne, puis son père l'avait rejoint, aidé par l'alcool et l'accablement. Voyant qu'Étienne était gêné et qu'il ne savait pas comment réagir, elle lui expliqua qu'il n'y avait pas assez de temps pour l'abattement. Pourquoi broyer du noir lorsqu'on peut voir la vie en rose ?  

Elle s'éleva, se dressant sur sa chaise, pour attraper un des bocaux qui renfermaient des sucreries. Même si elle tentait de le cacher, Muguette n'était pas insensible au sujet évoqué et avait besoin de consolation. Elle se saisit d'un pot rempli de minuscules dragées roses.  

 

« Je crois que tu es prêt, dit-elle d'un ton solennel. Je crois que tu es prêt à entrer dans mon monde. »  

 

Elle présenta une dragée à sa bouche, puis en partagea une autre en deux parts égales.  

 

« Tiens ... ça suffit pour commencer ... »  

 

Et c'est alors qu'Étienne comprit qu'il s'était attaché à une junkie. Cette imagination débordante, ces adorables singularités, ces tendres fantaisies n'étaient que le fruit d'une consommation déraisonnable. Mais cela la rendait-elle moins fascinante ? Certainement pas.  

Alors que son frère et sa mère lui reprochaient d'avoir des rêves, cette dame n'avaient fait que le pousser à les suivre. Pouvait-il lui reprocher de fuir, à sa manière, les turpitudes de l'existence alors que son entourage se noyait chaque jour un peu plus dans le formol ? La réalité n'était pas rose et l'univers de Muguette était assurément superficiel. Mais quelle formidable superficialité était-ce là.  

Poussé par d'infinis questionnements ainsi que par l'indéniable romantisme du lieu, Étienne déposa ses lèvres sur celles de Muguette en signe d'approbation. Puis il avala la demi-dragée - le demi-comprimé. Sans aucune appréhension.  

 

Peu à peu, il sentit qu'il pénétrait une autre réalité, dans laquelle tout était cotonneux et agréable. Un peu fou, aussi. Ainsi, les peintures murales se détachaient pour venir l'encercler ; les papillons, moutons roses et autres cochons ailés s'invitaient dans une lente et gracieuse valse. Les perles au cou de Muguette scintillaient comme jamais tandis que les plumes couvrant le parquet se mettaient, intentionnellement, à leur caresser les pieds. Les sculptures de flamands roses entamaient un arrangement musical des plus fameux succès de Queen et l'immense statue de licorne annonçait sa reconversion en miss météo. Étienne, absorbé, demeurait spectateur de cette sublime féérie dont Muguette était à la fois la protagoniste principale et l'unique auteur ...  

 

— Une histoire à l’eau de rose et aux psychotropes hallucinogènes —  

 

BO : https://www.youtube.com/watch?v=2ICFtXx546A  

Scénario : (3 commentaires)
une série B sentimentale (Think Pink) de Bertram Geesin

Melvil Besnard

Marie-Lucie Dufosser

Ben Homard

Mylene MICOTON
Sorti le 16 juillet 2033 (Semaine 1489)
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