Les fines gouttelettes de pluie martelaient son visage tourné vers le ciel d’un gris orageux. Jeff, paupières closes, s’avouerait ce moment alors que se rapprochait les pas d’une personne venant à sa rencontre. Tout pouvait basculer, à tout instant, d’une seconde à l’autre.  

Les pas résonnèrent jusque dans sa tête pour continuer plus loin. Le bruit ambiant revînt et engloba Jeff de tout son être. Aujourd’hui serait un autre jour.  

Reprendre sa vie, malgré tout. Courbé, les mains en visière pour se protéger de la pluie, il déambula entre des véhicules pour traverser la rue principale de Gerardmerveille et se dirigea vers le premier abribus à sa vue. Bondé de monde, il se fit une place debout tout en s’excusant. Alors que des cordes de pluie prirent place aux gouttelettes, Jeff se mit à compter intérieurement sur le nombre de personnes abritées, attendant le bus comme lui. Tout était bon pour ne pas y penser. Décidé, il enleva son alliance avant de compter sur ses doigts.  

Par le plus grand des hasards, assise derrière lui, une jeune femme n’avait rien raté de la scène étrange.  

Cette jeune femme se prénommait Candy et elle recula instinctivement sur le banc, au fond de l’abri. Elle détestait les fins de journée comme celle-ci, pluvieuse, à l’heure où sorties de bureau rimaient avec foule, personnes entassées les unes avec les autres et comme à l’accoutumée, elle prit sur elle pour rester calme. Candy, en plus d’être une vieille fille d’une quarantaine de balais, était agoraphobe sur les bords mais avait appris quelques moyens pour vivre avec.  

Se concentrer était le meilleur des moyens et dans le brouhaha de l’abribus, elle lisait dès qu’elle le pouvait sauf que l’homme qui venait de lui boucher la vue l’avait littéralement stoppé dans sa lecture.  

Elle se prit à l’observer de haut en bas, béatement … elle adorait reluquer les hommes et celui-ci était particulièrement attirant. Mais le monde était rempli d’histoires de cinglés et l’individu qui se trouvait devant elle semblait manifester des signes inquiétants de ce genre de personnages. Candy adorait les histoires, aussi étranges soient-elles.  

Intriguée, elle vit qu’il avait soudainement joins ses deux mains derrière son dos pour enlever son alliance et l’a plongée dans la poche arrière de son jean. Sidérée, elle replongea immédiatement, tête baissée dans son bouquin ! Elle sentit l’adrénaline montait d’un cran en elle.  

« Encore un de ses connards qui n’assume pas de s’être marié … » se dit-elle.  

Le cœur battant, elle assumait encore moins d’être prise en flagrant délit de matage de cul et elle se contraint à rester dans cette position, de feindre de lire pendant l’espace de temps nécessaire pour que le vrombissement singulier du bus puisse arriver à hauteur de l’abri et enfin se redresser, faire comme si de rien n’était …  

Les crissements singuliers des freins du bus firent s’avancer les personnes. Candy vit l’inconnu, « cet enfoiré de première » devant elle montait puis choisir une place à l’intérieur.  

Alors que l’impression d’être oppressée émergeait (elle détestait les endroits fermés, qui plus est empli de monde, Candy se prit au jeu du pronostic perso et après avoir débattu avec elle-même, se concentra et décida de suivre ou tout du moins par curiosité, voir si cet homme allait rejoindre son amante.  

Située de l’autre côté des sièges, trois rangées de places en arrière où se trouvait l’homme, Candy observait attentivement.  

D’apparence chétive et la mine renfrognée, il semblait perdu dans ses pensées, dégueulasses sans doute. Candy referma ses poings instinctivement. Pour sûr, cela renforçait le fait qu’elle se voyait mieux seule que mal accompagnée … « Les hommes sont des porcs »  

Le bus circulait péniblement dans les rues ruisselantes d’eau depuis une vingtaine de minutes lorsque le prochain arrêt annoncé fit émerger Jeff de ses pensées, encore sous l’expectative d’avoir franchi le pas. Ce cap avait mis tellement de temps qu’enfin il lui semblait probable de voir enfin un avenir, une nouvelle vie, un nouveau départ.  

Il vit sa main, son auriculaire, l’emplacement de peau fine où se trouvait normalement une alliance … Oui il était enfin temps de passer à autre chose. Il gesticula sur son siège pour se tenir prêt à descendre. Quelqu’un l’attendrait dehors pour, il l’espérait, le faire oublier ses années passées. Il se leva brusquement au moment où les freins crissèrent puis s’avança vers le chauffeur qui fit ouvrir les portières coulissantes du bus. L’alliance sortit de son logement puis tomba sur le siège vide.  

Comme dans un état second, les yeux rivés sur l’alliance restée sur le siège, Candy fit en l’espace de quelques secondes un choix qu’elle n’aurait jamais fait normalement.  

Etait-ce le besoin, l’envie de sortir d’une vie morose et sans la moindre saveur ?  

Elle se retourna rapidement sur son siège, jetant rapide coup d’œil circulaire : personne n’avait remarqué l’incident malheureux puis Candy se précipita aussi agilement que possible, telle une ombre furtive, à la place où se trouvait l’homme il y a seulement quelques instants. Elle saisit l’alliance puis s’assit, le cœur battant la chamade. Candy avait le sourire aux lèvres bizarrement, elle tenait quelque chose de précieux, qui ne lui appartenait pas et elle n’avait pas levé le petit doigt pour interpeller l’homme, cet inconnu.  

Ses pensées s’interrompirent nette lorsqu’elle arrêta de manipuler nerveusement l’alliance.  

Elle ouvrit la paume de sa main : elle vit avec stupeur qu’il s’agissait bel et bien d’une alliance mais destinée à une femme !  

Une inscription gravée était inscrite sur le côté intérieur de l’alliance : A mon amour éternel. Jeff  

Le bruit des vérins de la porte du bus se refermèrent puis partit, emportant Candy et une alliance qui ne lui appartenait pas dans sa main.  

[…]  

La porte d’entrée de l’appartement claqua et tel un zombie, Candy se dirigea bon gré mal gré vers son fauteuil favori. Elle s’effondra dessus en expirant bruyamment …  

« Tu as fait quoi ?!!! » rugit Emily au téléphone. Il s’agissait de sa meilleure amie.  

Candy écarta son smartphone de son oreille puis reprit la conversation  

« Tu as très bien entendu Emily, je ne sais pas ce qui m’a pris … » Elle fit tourner dans sa main l’alliance qui brillait à la lumière du jour. Elle l’inséra par amusement à son annulaire, elle lui allée parfaitement. Son cœur s’emballa.  

« Je n’avais pas le droit … mais je m’interroge Emily sur les intentions de cet homme, il semblait étrange, il portait cette alliance pour rejoindre son amante j’en suis certaine ! » Candy se pinça les lèvres.  

« Tu sais ce que je vais faire ? c’est un signe non ? » fit Candy  

« Tu délires complètement ma grande ! Est-ce que tu t’entends parler Candy ? Oui je sais ce que tu vas faire : tu iras tous les jours à la même heure pour lui rendre son alliance et t’expliquer platement et terminé. Et ne me dit pas que tu as essayé cette alliance ? »  

Candy rougit immédiatement puis l’enleva « Mais non … enfin ! Merci de ton soutien Emily, vraiment !»  

« Tu t’imaginais que je te dise : vas jusqu’au bout de ta bêtise, file ce mec ? …  

Allo ? Inspecteur Candy ? Je te connais Candy et il faut que tu arrêtes ces conneries, tout de suite» fit Emily à l’autre bout du fil.  

« Candy ? Je suis sérieuse. Tu te rappelles il y a deux ans ? »  

Candy fixait l’alliance sans dire un mot, dans un silence pesant, portable à la main. Des larmes coulèrent. Bien-sûr qu’elle se souvenait de sa tentative de suicide … ses poignets s’en rappelaient encore et elle avait depuis cessé de s’aventurer dans ce jeu qu’est l’amour, le chercher à tout prix, quitte à s’inventer une vie, aussi compliquée était-elle. Aimer sans retour était une chose difficile à vivre, surtout pour une femme au demeurant fragile et naïve.  

Elle ravala ses larmes  

« Ne bouges pas, je passe te voir Candy, j’y tiens » fit Emily la voix tremblotante  

« Non ! Non … Ok je serai là-bas même endroit, même heure chaque jour s’il le faut.  

Quelques jours plus tard  

Son visage tourné vers le ciel, Jeff, paupières closes, s’avouerait ce moment en souriant car il était maître de lui, des autres.  

Il savait les repérer, ses vieilles garces en manque de sexe, cherchant désespérément le parfait amour. Les faire languir également, et c’était cela d’ailleurs qu’il adorait faire : manipuler et se servir, à sa guise, du choix sur lequel il s’était penché.  

Celle qu’il avait repéré il y avait quelques jours ne serait que du menu fretin mais qu’importe : tout était bon pour épancher sa soif de couardise, faire espérer puis jeter et oublier pour passer à autre chose car oui les femmes n’étaient que des choses pour lui.  

Comme de coutume, il s’approcha du lieu de rencontre habituel où il avait commencé son manège habituel. Il prit son air renfrogné puis s’approcha à pas feutré. Le temps était de la partie il commençait à pleuvoir de nouveau.  

D’un coup d’œil il vit qu’elle était là, à l’affût. Elle portait l’alliance. Parfait.  

Il ralentit sa cadence, releva son visage pour fixer Candy, assise dans l’abribus.  

Elle se mit debout, sans doute instinctivement.  

« Monsieur … » souffla-t-elle  

Jeff la fixa comme il savait le faire.  

« je … vous attendais » fit Candy tout en tendant sa main qui portait l’alliance.  

« Moi aussi … » fit Jeff.  

* * *  

Baker Films Production présente « Who’s Next ? »  

Film écrit par Alain Blakstad et réalisé par Shannon Hecht  

Casting :  

Chris Wertan dans le rôle de Jeff  

Joanna Armstrong dans le rôle de Candy  

Amy Dryana dans le rôle d’Emily  

Musique composée par Alice Gerrard