Le monde devait appartenir à Charlotte De Vausnoy (Orianna Howarth). Cette jeune femme (pas si jeune d'ailleurs, si on considère qu'elle cache bien sa petite quarantaine) est engagée dans la ville politique de la ville de Paris depuis sa sortie de l'ENA, quelques années plus tôt. Déjà, à l'époque, elle était réputée pour avoir les dents longues et laisser ses problèmes de conscience de côté.  

Ainsi, au fil des années, Charlotte a réussi à se faire un nom et, malgré sa réputation de "tueuse", elle commence à bénéficier d'une certaine notoriété au sein des parisiens. Son visage fait régulièrement la couverture des magazines d'information et la plupart des éditorialistes la considère comme l'un des plus grands espoirs de la politique française.  

Mais même les plus grands requins ne sont pas à l'abri des erreurs. Et en un tweet malencontreusement rendu public, la France entière découvre le mépris de Charlotte pour ses concitoyens les plus pauvres, notamment ceux d'origine étrangère. Car si elle sait servir la soupe démagogique aux électeurs, dans le privé elle ne se démarque pas par son ouverture d'esprit et sa tolérance. Ainsi, la furia médiatique s'abat sur la jeune politicienne qui voit la fin de sa carrière s'approcher comme le sol pour un parachutiste sans parachute.  

- Ok. On se démobilise pas, tant que t'es pas morte y'a de l'espoir. Regarde DSK.  

Les mots de Bertrand-Xavier, le community manager de Charlotte, veulent être rassurants. Mais aucun membre de la petite équipe de la politicienne n'est dupe : la partie sera serrée. En effet, les élections municipales se profilent dans quelques mois et déjà les collaborateurs de Charlotte commencent à déserter. En désespoir de cause, celle-ci écoute la proposition de Bertrand-Xavier, sans trop y croire.  

- Dans l'état actuel des choses, tu ne peux utiliser les mots. Quoique tu dises, c'est remis en doute. Il faut des actes. Mais faut jouer la carte de la sincérité... et de l'authenticité. L'idée, c'est que tu apparaisses en couple avec un... un... enfin tu vois. Un arabe, un black, enfin une minorité visible, quoi.  

- Tu déconnes ? Encore hier, je me suis rendu à l'inauguration de la Tour Triangle en compagnie de Barnabé et...  

- Tu le lourdes. Enfin, officiellement. Ce type a un parapluie dans le cul et te donne une image de bourgeoise du XVIe dont tu dois te débarrasser.  

Les sourires en coin des collaborateurs en disent long sur l'absurdité de cette idée.  

La nuit tombe sur Paris. Charlotte est au volant de sa Mini Cooper et patiente difficilement au feu rouge de la Porte d'Italie. Comme toute bonne parisienne, elle fait vrombir le moteur de sa voiture, prête à décoller quand le feu passera au vert. Ou même avant. Mais surtout, les mots de Bertrand-Xavier résonnent dans sa tête. Ainsi, lorsque le vert apparaît, elle démarre sans prendre garde à la silhouette qui serpente entre les voitures, la main tendue.  

- S'il vous plaîîîîît..... Aaaaargh ! Rahat !  

C'est le drame. Charlotte a roulé sur la jambe d'un homme. Comme un missile, elle bondit de sa Mini et va se rendre compte de l'étendue des dégâts.  

- Roooh merde. Manquait plus que ça....  

Charlotte a écrasé un rom (Rick Burman) qui faisait la manche. Elle ne l'avait pas vu. Mais, coup de bol, personne d'autre, pour l'instant, ne fait attention à eux.  

- Heu... Ca va ? Allez, montez, vite. Je... Je vous donnerai un peu d'argent.  

- ... Algent ?  

Désireuse d'éviter un nouveau scandale, la jeune femme embarque l'inconnu et le ramène chez elle. Là, elle lui offre un repas et lui propose une douche car elle avant de jeter un œil à ses blessures, heureusement bénignes. Lorsque l'homme sort de la salle de bain, Charlotte reste abasourdie par la beauté et le charme du rom. Mais alors qu'elle le zyeute bouche bée, l'arrivée de l'éphèbe de l'est qui s'essuie le dos avec nonchalance, un autre homme fait irruption dans l'appartement.  

- Putain, Charlotte ! C'est qui ce type !  

- Hé, Barn... attends ! C'est simple, c'est...  

- On me l'avait dit. Salope...  

C'est ainsi que Charlotte se retrouve officiellement célibataire après le départ brusque de Barnabé, son fiancé officiel jusqu'à présent.  

Les événements s'enchaînent. Le rom, prénommé Dani, accepte de se faire prendre en photo en compagnie de la jeune politicienne par un faux paparazzi. L'image est relayée rapidement sur toutes les chaînes d'info et se retrouve à la une de tous les magazines people. Bien sûr, officiellement, il n'y a rien entre Dani et Charlotte.  

Mais une certaine complicité se crée, forcément, au grand dam de Bertrand-Xavier. Car au fil des semaines, il voit sa protégée changer de comportement. Il apprend notamment qu'elle a visité le camp de roms d'origine de Dani, le long du périph'. Elle y a passé, de son propre aveu, une soirée formidable, à se trémousser au son du violon plaintif et de l'accordéon heu... plaintif aussi, des compagnons roms de Dani.  

Ainsi, les élections arrivent enfin et grâce à cette fausse amourette, Charlotte est élue maire du XIIe arrondissement de Paris. Mais lorsque Dani veut se rendre à la réception donnée le soir de la grande victoire à l'Hôtel de Ville, il est rembarré tel un vulgaire maghrébin à l'entrée d'une boîte de nuit des Champs Elysées. Et pourtant il croise le regard de Charlotte pendant quelques secondes furtives, mais ses yeux se détournent de lui.  

Les semaines, puis les mois passent. Dani a repris son "poste" au feu rouge de la Porte d'Italie. De nombreux journalistes lui tournent autour afin de recueillir ses propos mais il refuse toujours, avec un regard mélancolique. Il faut dire qu'il est également préoccupé par les descentes de policiers qui se font de plus en plus fréquentes au camp. Ce qu'il ignore, c'est que Barnabé, l'ex de Charlotte, est à la source de ces visites de "courtoisie".  

Et un jour, c'est le drame. Encore. Les cars de CRS débarquent en force, matraques et flashballs à la main. Les roms ne se laissent pas faire et la situation s'envenime. Rapidement, les chaînes d'info nationales sont sur les lieux. Les affrontements font rage et l'on déplore des blessés dans chaque camp. Mais les roms savent pertinemment que c'est partie perdue. Les larmes aux yeux, Dani s'apprête à abandonner le combat, car il craint pour la sécurité des enfants du camp.  

Tout à coup, une voiture aux vitres teintées fait irruption à toute vitesse et vient s'interposer entre les CRS et les roms. La portière s'ouvre et Charlotte de Vausnoy s'extirpe du véhicule et somme les agents de l'État de cesser toute action. Personne ne peut ignorer le courage de la jeune femme qui va forcément se mettre à dos toute sa famille politique....  

Des hourras gagnent le camp des roms et des voisins qui avaient pris leur défense. Et dans la fumée des gaz lacrymogènes, les caméras devinent deux silhouettes qui s'enlacent passionnément...  

Fondu au noir, chanson de Lara Fabian.