Cinejeu.net : devenez producteur de cinéma ! (jeu en ligne gratuit de simulation économique)

Les Films du Corbeau présente
Nicéphore Arbogast et les Voleurs de Tour Eiffel

Paris, 1890.  

 

Les badauds se pressaient les uns derrière les autres, levant la tête, impatients de pénétrer enfin dans l’un des joyaux de la technologie moderne. A l’un des quatre pieds de la fameuse Tour Eiffel, ouverte à l’occasion de l’exposition universelle qui s’était tenue l’année précédente dans la capitale, familles nombreuses, amoureux, promeneurs du dimanche et curieux de toutes sortes s’apprêtaient à gravir les quelques 300 mètres de cette fierté nationale, le cœur serré d’une légère excitation à l’idée d’affronter les hauteurs.  

Parmi eux, un homme n’avait pas le sourire. Les traits tirés, les mains tremblantes, Boniface Bellery (Leonard Brumel) semblait encore plus impatient que les autres et jetait autour de lui, sans relâche, des regards angoissés. Il semblait chercher quelque chose. Des regards hautains et critiques se tournaient vers lui, vers son manque de retenue, vers son costume débraillé, sali et déchiré par endroits.  

 

Sur le palier principal de la Tour, les promeneurs s’extasiaient, riaient, se contorsionnaient pour observer les rouages des machines, les engrenages de ferraille et surtout le panorama parisien qui s’étendait à leurs pieds, une centaine de mètres plus bas. Boniface arpentait la foule avec toujours plus d’angoisse. Il fouillait du regard derrière les moindres recoins. Il scrutait les visages sans retenue. Il se penchait par-dessus la balustrade pour scruter les piétons minuscules. Que cherchait cet homme ?  

Une petite fille, que tenait sa matrone de mère par la main, s’extasia.  

« - Regarde maman, le gros ballon ! »  

Plusieurs regards se tournèrent dans la direction qu’indiquait sa petite main. Boniface leva les yeux au ciel. Un ballon dirigeable flottait dans le ciel et avançait dans leur direction. Mais ce ballon avait une bien étrange allure : étonnamment fin et léger, il avançait avec une vitesse impressionnante. Rien à voir avec les lourds et énormes ballons dirigeables qu’on avait pu voir jusqu’alors, avançant avec une lenteur désespérante. Celui-ci faisait figure d’un bolide des airs. Mais le plus surprenant était les drôles de membranes qui flottaient à l’extrémité du ballon, donnant à l’engin cette étonnante apparence de pieuvre qui fonçait, à brides abattues, dans le ciel de Paris.  

Les dernières traces de sang quittèrent le visage de Boniface lorsqu’il comprit que d’ici une minute à peine, le ballon passerait juste au-dessus de la Tour Eiffel.  

« -Mon Dieu, mon Dieu… »  

Soudain, le dirigeable prit de l’altitude et, poursuivant sa trajectoire, disparu derrière les quelques nuages qui sillonnaient le ciel. Boniface fit un pas en arrière, terrorisé, bousculant au passage un bourgeois qui s’offusqua en pure perte. Alors Boniface s’écria :  

« - Fuyez ! Fuyez tous ! Il n’y a pas une minute à perdre ! Descendez tous de cette Tour avant qu’il ne soit trop tard ! »  

Les regards se tournèrent vers ce forcené qui gesticulait en criant au milieu des promeneurs. On avait peur de lui davantage que de ses avertissements. Soudain, les cris de Boniface et le brouhaha des conversations furent interrompus par un bruit sourd et tonitruant. Un bruit d’acier gigantesque qui gémissait. Des femmes hurlèrent. Tous se bouchèrent les oreilles. La Tour criait ! Et agressait violemment les tympans de ses visiteurs. Le bruit cessa enfin. Boniface ouvrit les yeux. Il avait le tournis. Il constatait qu’il n’était pas le seul. Autour de lui, les plus fragiles perdaient conscience. Il regarda les poutres métalliques qui l’entouraient. Il devait avoir la berlue : il lui semblait que la Tour Eiffel ondulait ! Le tournis se fit plus intense, son crâne était pris dans un étau. Puis tout devint noir…  

 

Lorsqu’il reprit connaissance, il se rendit compte que beaucoup autour de lui étaient évanouis eux aussi. Certains, toujours en éveil, criaient, se penchaient avec angoisse sur leurs proches inertes, ou se tenaient la tête avec douleur. Une brise fraiche lui fouettait le visage et lui faisait du bien. Il se pencha par-dessus la balustrade pour respirer davantage d’air. Ce qu’il vit alors dépassait l’entendement.  

« - Jésus-Marie-Joseph… »  

Paris s’était éloigné de plusieurs centaines de mètres. Tout bonnement car la Tour Eiffel, et tous ses occupants, flottaient dans les airs ! Alors ils y étaient parvenus ? Impossible ! Boniface releva la tête et vit le pic de la Tour disparaître dans les nuages. Des nuages qui s’approchaient à mesure que la Tour s’élevait, s’élevait…  

 

Sur les Grands Boulevards, l’heure était à l’incompréhension la plus totale. Chacun stoppait son activité pour lever le visage vers le ciel. Incroyable ! La Tour Eiffel, ces milliers de tonnes ferraille, flottait dans le ciel et disparaissait dans les nuages ! Encore quelques secondes, puis elle disparut complètement des regards. Quelle diablerie était-ce là ? Chacun dévisagea son voisin, cherchant une réponse dans des regards tous aussi incrédules que le sien. Personne n’osait prononcer un mot. On était sous le choc.  

Alors ce bruit sourd, à nouveau, s’éleva, menaçant. Ce gémissement d’acier qui résonna dans le ciel de Paris. Tous relevèrent les yeux, se bouchèrent les oreilles. Puis le hurlement cessa. Ce qui se produisit ensuite ne dura que quelques secondes. Avec horreur, les badauds virent ce monstre de fer, la pointe vers le bas, trouer les nuages et foncer vers eux à une vitesse vertigineuse. Cela ne dura qu’un instant. La Tour Eiffel s’était écrasée sur les Grands Boulevards…  

 

 

** NICEPHORE ARBOGAST ET LES VOLEURS DE TOUR EIFFEL **  

 

 

Napoléon Croquevieille (Franck Elioth) était le chef de la sureté de Paris. Et il lui paraissait évident ce jour-là qu’il eut mieux fait de refuser cette promotion, une année auparavant. Car depuis la veille, il devait faire face à un cauchemar qu’il n’aurait même jamais eu l’idée de redouter. On avait purement et simplement volé la Tour Eiffel, et on l’avait « jetée » sur Paris comme un vulgaire caillou. Causant des centaines de morts en une fraction de secondes et des dégâts monumentaux. Depuis lors, tout ce qui possédait au moins une jambe valide et qui pouvait être utile à la sureté de la ville était au branle-bas de combat. Et s’agitait dans tous les sens, à perdre haleine, sans savoir à quel Saint se vouer… Car Croquevieille devait bien l’admettre : il ne savait absolument pas à quoi il faisait face, et ni lui ni personne ne semblait savoir quoi entreprendre. Tous étaient perdus, dans une semi-conscience. On ne pouvait que constater les dégâts et tenter de « reprendre ses esprits » pour enfin agir efficacement.  

C’est cet état d’hébétude qui l’avait poussé à accepter de recevoir cette jeune femme, qui était maintenant assise en face de lui et qui ne parvenait pas à sécher ses larmes. Parce qu’elle n’était pas n’importe qui. Et qu’elle avait dit pouvoir avancer un début d’explication. Au point où il en était, ça le changerait des divers prédicateurs et autres fous qui se pressaient aux portes du Ministère de l’Intérieur pour savourer la confirmation de cette fin du monde qu’ils promettaient depuis des lustres…  

Gabrielle Bellery (Brume) était, malgré son jeune âge, une physicienne émérite. Et surtout la fille et partenaire d’études du plus savant des physiciens que le monde puisse compter à l’heure actuelle : Boniface Bellery. Elle avait appris la veille que le corps de son père avait été retrouvé parmi les nombreuses victimes de « l’accident ». Et malgré son deuil, elle avait tenu à se précipiter vers eux pour apporter son aide. Car elle soutenait détenir des informations importantes.  

Elle enseigna à l’inspecteur le sujet de leurs études : les différents métaux et leur champ d’action physique potentiel. Si ses travaux et ceux de son père se croisaient régulièrement, chacun travaillait de son côté et en totale autonomie. Elle travaillait sur les possibilités nouvelles d’utilisation du métal dans la mécanique moderne, mais elle ignorait sur quel domaine se consacrait son père ces derniers mois. Ce qu’elle pouvait dire, c’était le changement de personnalité qu’elle avait constaté chez celui-ci ces derniers temps. Maussade, voire complètement déprimé, il culpabilisait de quelque chose qui le tiraillait.  

« - Il avait vendu un brevet et le regrettait. Il cherchait à tout prix à faire machine arrière. J’ignore pourquoi il avait fait cela, car il n’a jamais été motivé par l’appât du gain. »  

Et elle s’en voulait amèrement de ne pas avoir apporté plus d’écoute à son père. Comme lui, lorsque ses travaux étaient en cours, elle n’avait d’oreille pour rien d’autre. C’était trop tard maintenant. Malgré tout elle avait, la veille au soir, sillonné le laboratoire de son père et découvert quelques sujets qui avaient retenu son attention.  

« - Le magnétisme. La malléabilité du métal. Sa flottaison, son attraction, ce genre de chose. Ne croyez-vous pas qu’il puisse y avoir un lien entre ce qui s’est passé hier, et sa présence au même moment sur la Tour Eiffel ?  

- Effectivement, cela mérite réflexion.  

- C’est bien peu d’informations, j’en conviens. Peut-être, quand j’aurai eu le temps de me plonger davantage dans ses travaux… »  

Pendant qu’il l’écoutait, l’inspecteur Croquevieille s’était tourné vers la fenêtre et observait l’agitation de la rue. Des dizaines de journalistes faisaient le pied-de-grue devant les bureaux du Ministère, sans relâche depuis la veille. Il était plongé dans ses pensées, lorsque la voix de la jeune femme retentit.  

« - Et cette pieuvre ?  

- Pardon ?  

- La pieuvre dont parlent les journaux. Savez-vous de quoi il s’agit ?  

- Ah, vous parlez de ce ballon dirigeable. »  

Il devait bien avouer qu’il n’y avait plus pensé depuis la veille. Il ne voyait pas quel lien cela pouvait avoir avec ce qui les occupait.  

« - Oui inspecteur, avec cette forme étonnante. A-t-on jamais vu ça ? Et juste à ce moment-là. N’y a-t-il pas quelque chose à creuser de ce côté-ci ? »  

Quelque chose s’éveilla dans l’esprit de l’inspecteur. « Dirigeable ». « Cette forme étonnante ». « Pieuvre »… Pourquoi cela lui évoquait-il quelque chose ?  

Soudain, le déclic.  

« - Bon sang, mais c’est bien sûr !... »  

Retrouvant une énergie soudaine, le front barré d’une ride inquiétante, il attrapa sa veste et se précipita vers la porte de son bureau.  

« - Venez avec moi. Une visite particulière s’impose. »  

 

*  

 

Ce ne fut pas moins de trois calèches remplies d’agents de police qui traversèrent Paris à fond de train et qui se dirigèrent vers Vincennes. A leur tête, Croquevieille et Gabrielle étaient serrés l’un contre l’autre. La jeune femme se maintenait tant bien que mal contre le cahot du véhicule bringuebalant. L’inspecteur fixait la route avec férocité sans desserrer les mâchoires, si ce n’était pour marmonner quelques paroles confuses. « Ce bougre de bourricot », « dans tous les sales coups… », « qu’est-ce qu’il m’a encore inventé… », « mettrais ma main à couper… ».  

Ils parvinrent à l’orée du bois de Vincennes et s’arrêtèrent avec fracas auprès d’un vaste et vieil entrepôt. Il était manifestement à l’abandon et la verrière qui lui servait en partie de toit démontrait, par ses nombreuses fissures, craquellements et mousses pendantes, les effets du temps. Croquevieille donna ses ordres avec énergie et des dizaines d’agents se précipitèrent à leur poste pour encercler le bâtiment. Il y pénétra, accompagné uniquement de la jeune femme et de deux agents.  

Lorsqu’elle en découvrit l’intérieur, Gabrielle crut tout d’abord pouvoir confirmer ses impressions : l’entrepôt était à l’abandon, et on y avait oublié un amoncellement impressionnant de morceaux de ferrailles, câbles et objets farfelus depuis des âges. Puis elle se rendit compte que ces amoncellements avaient leur vie propre : des engrenages rouillés fonctionnaient tous seuls, des appareils obscurs émettaient des étincelles électriques, un automate de nain effrayant soulevait un morceau de chapeau pour les saluer, un colibri de fer et de papier sillonnait le plafond, volant à l’aveugle et se cognant contre les murs… Elle sursauta lorsque l’inspecteur hurla :  

« - Arbogast ! »  

Surprise et décontenancée, elle se tourna vers lui.  

« - Inspecteur, allez-vous m’expliquer ?  

- J’aurais dû me douter que cet Olybrius était dans le coup. Dès lors qu’une diablerie quelconque, une machinerie intempestive ou complètement folle vient troubler l’ordre public des dernières années, le nom d’Arbogast vient systématiquement frotter mes oreilles. J’ai été bien sot de ne pas y penser plus tôt. ARBOGAST ! Sortez de là, vous êtes cerné ! »  

Un cri aigu et sibyllin s’éleva dans l’atelier. C’était Gabrielle, qui hurla lorsqu’auprès d’elle, ce qu’elle avait pris pour un vulgaire morceau de tôle se redressa brusquement pour révéler le visage d’un homme. C’était un casque de protection, que l’inconnu (Weston Hatcher) utilisait visiblement pour se protéger les yeux. Le chalumeau qu’il tenait à la main, l’appareil mécanique dans l’autre, les manches relevées et les mains, bras, chemise et visage souillés de suie et de cambouis étaient là pour attester du bricoleur interrompu.  

« - Croquevieille ! Que me vaut le plaisir ! Vous êtes en avance. Les essais de mon Mécarachnogast ne sont prévus que dans trois ou quatre jours… Je vous conseillerais de surveiller alors les rombières qui ont peur des petites bébètes, mon vieux ! »  

Son rire effronté au nez du visage fulminant de l’inspecteur s’effaça lorsqu’il découvrit celui de la jeune femme à ses côtés, et il se pencha pour poser un baiser séducteur sur sa main  

« - Nicéphore Arbogast, enchanté. Mademoiselle… ? »  

Mais le courroux de l’inspecteur interrompit ses chaleureuses salutations.  

« -Nom de Dieu de nom de Dieu, Arbogast ! Cessez vos plaisanteries niaiseuses. Vous avez dépassé les bornes ! Vous rendez-vous compte de ce que vous avez fait ? Cette fois, vous êtes bon pour la corde ! »  

Le jeune homme répondit par un simple haussement de sourcils.  

« - Ne me dites pas que c’est encore à cause de mon Ventilornitogast que vous êtes fâché ? Cette ribaude des Buttes Chaumont s’est simplement foulé le poignet. Et je dois dire que je ne pouvais pas l’avoir vue dans ces buissons à ce moment-là ! Et j’ajouterais encore : si vous n’aviez pas idiotement interrompu mes essais, son poignet serait peut-être toujours pendu au zigouigoui du bougre qui…  

- Taisez-vous bon sang ! Fini de rire. La pieuvre dans les airs, c’est bien une machinerie de chez vous ? J’en mettrais ma main à couper. Mais ces centaines de morts par contre… Je ne vous croyais pas capable d’une telle inconscience… »  

A ces mots, Nicéphore cessa effectivement de sourire.  

« - Mais de quoi Diable parlez-vous ?  

- Une Tour Eiffel qui s’envole et retombe sur les Parisiens ? Une pieuvre qui vole dans les airs juste à ce moment-là ? Vous allez me dire que vous ne savez pas de quoi je parle ? »  

L’ingénieur le regarda avec perplexité. Puis :  

« - Gédéon ! »  

Un hurlement aigu et sibyllin s’éleva dans l’atelier. Cette fois, c’était celui de l’inspecteur, au moment où le visage d’un jeune garçon (Gregory Rencoin) apparu entre ses jambes. Allongé le dos sur une planche à roulette, le garçon interrompait visiblement son ouvrage, occupé à boulonner les dessous d’une énorme machinerie sans forme encore distincte près de laquelle ils se tenaient tous. Le garçon se releva et ôta les épaisses lunettes de protection de son visage, qu’il avait constellé de cambouis comme celui de l’ingénieur.  

« - Gédéon, confirmes-moi que je ne suis pas fou. Le Médusotractogast, on ne l’a pas encore monté ? »  

Gédéon gigota la tête en signe de dénégation.  

« - Où sont rangés les plans ? »  

Le garçon indiqua de la main l’autre bout de l’atelier.  

« - Vas me les chercher, veux-tu ? »  

Alors le jeune garçon voulu s’élancer, mais l’inspecteur le retint par l’épaule.  

« - Une minute garçon. Je ne te connais pas ?  

- Laissez-le aller, inspecteur. Il ne vous répondra pas, il est muet. »  

L’inspecteur relâcha le garçon qui fila vers l’autre bout de l’atelier. Il interrogea alors Nicéphore du regard.  

« - C’est un neveu, ou un voisin ou un chenapan quelconque qui trainait par là, je ne sais plus, que j’ai recueilli. Il m’aide beaucoup, en tout cas. De l’or dans les doigts ! Suivez-moi. »  

Nicéphore fila à son tour vers un autre bout de l’atelier. L’inspecteur et Gabrielle se dépêchèrent à sa suite. Ils débouchèrent sur un espace plus vaste, sous les verrières, où ils découvrirent avec surprise une autre diablerie : une araignée gigantesque ! Faite de métal, de tuyaux et d’installations mécaniques. Nicéphore monta prestement dessus et ouvrit une lucarne. Il s’assit à bord de ce qui s’avérait être un poste de pilotage et tira sur une mannette. Alors, une patte énorme de l’araignée s’éleva et fit sursauter l’assemblée.  

« - Voyez ? Mon Mécarachnogast ! Une idée de Gédéon… »  

Médusés, Croquevieille et Gabrielle ne surent pas quoi répondre. La jeune femme s’avança et s’intéressa de plus près aux engrenages métalliques. Elle était émerveillée. Arbogast descendit de son engin.  

« - Pas trop peur de la grosse bête ?  

- C’est ingénieux. Oui, vraiment ingénieux ! Mais comment avez-vous pu obtenir des rouages aussi minces et solides ? J’essaie justement de travailler du scandium pour parvenir à… »  

Arbogast commençait à ouvrir de grands yeux surpris devant les propos de la jeune femme, quand ils furent interrompus par une sonnette métallique. C’était Gédéon qui les appelait. Ils le rejoignirent devant un meuble énorme d’où débordait une quantité impressionnante de rouleaux de papiers en désordre. Les plans de Nicéphore Arbogast.  

« - Alors Gédéon ? »  

Le garçon gesticulait avec énergie, on l’aurait cru atteint d’épilepsie…  

« - Tu en es sûr ? Tu as regardé partout ? »  

Gédéon répondit par un haussement d’épaules. Nicéphore se tourna vers l’inspecteur.  

« - Mauvaise nouvelle, inspecteur. Il semblerait que les plans de ma machine ait disparu… Mais j’y pense : l’an dernier, la porte de mon atelier a été fracturée. Pourtant je n’ai pas constaté de vol… Peut-être… ? »  

Gabrielle se demanda bien comment on pouvait constater la disparition d’un objet quelconque dans un tel capharnaüm. L’inspecteur, lui, dévisageait Arbogast avec suspicion.  

« - Comme par hasard… »  

A ce moment, un tas de boites en métal jetées pas loin d’eux émis un boucan d’enfer. Toutes les boîtes gesticulaient toutes seules. Au-delà du bruit de ferrailles, on entendait une sonnerie reconnaissable. Gédéon se précipita le nez dans le tas de boites, et en ressortit un lourd appareil : un téléphone.  

« - Tiens, j’avais oublié que j’avais ça, moi… », se contenta de répondre Arbogast.  

Gédéon colla son oreille à l’appareil, et tendit le combiné à l’inspecteur. Surpris, il répondit à l’appel. C’était un de ses lieutenants, qui savait le trouver là.  

« - Que dites-vous ?... Comment cela ?... Bon Dieu, vous avez bu Landelle !... Bon, ne les lâchez pas, on arrive… »  

Il raccrocha et se tourna vers ses deux agents.  

« - On file. Voilà maintenant qu’un tas de pièces d’or lévite tout seul et se carapate à travers les rues de Paris.  

Gabrielle sursauta.  

« - Que dites-vous ? De l’or qui lévite ?  

- Pas le temps de m’occuper de vous, Mademoiselle. Vous restez là, on viendra vous chercher. »  

Au moment de disparaître, Croquevieille fit demi-tour et colla son nez à celui d’Arbogast.  

« - On n’en a pas fini, tous les deux. Je laisse mes agents dehors. Vous ne BOUGEZ PAS d’ici. »  

Après qu’ils furent laissés seuls dans l’atelier, Arbogast se tourna vers la jeune femme.  

« - De l’or qui voltige dans les rues de Paris, ça mérite pourtant coup d’œil, vous ne pensez pas ? Gédéon, ouvre la grande porte. On va aller dégourdir les pattes de Bettina plus tôt que prévu… »  

 

*  

 

Quelques dizaines de minutes avant ces événements, une étrange femme pénétra dans l’orgueilleux Hôtel de Toulouse, dans le Ier arrondissement, où la Banque de France avait installé ses pénates. Derrière ses lunettes fumées, la baronne Van Kell (Toni Bergman) arpenta le carrelage de marbre avec assurance. Les regards des employés se tournèrent discrètement dans sa direction : sa chevelure blonde peroxydée était une originalité peu commune dans les rues de Paris. Et ses robes distinguées, mais d’un rouge provocant, attiraient naturellement le regard. Une valise en toile à la main, elle arpenta le hall luxueux, sans se préoccuper des clients et employés qui l’entouraient. Elle avança jusqu’à la lourde porte du coffre-fort, gigantesque plaque de métal renforcé d’une hauteur impressionnante. Puis, finissant d’interroger du regard l’architecture de la pièce, elle ressortit sans mot dire. Une calèche ouverte l’attendait à l’entrée du bâtiment, un chauffeur masqué tenant les rennes de quatre chevaux. Elle s’y installa et ouvrit sa valise, dans laquelle elle posa les mains et enclencha un mécanisme. Alors, elle attendit.  

Quelques secondes plus tard, elle constata que de la poussière ruisselait des lourdes pierres du bâtiment. Puis, un crissement tonitruant de métal froissé se fit entendre jusque dans la rue, arrêtant les passants qui regardèrent avec surprise l’Hôtel de Toulouse. Des cris s’élevèrent de l’intérieur du bâtiment, puis un vacarme plus aigu s’éleva, comme un ruissellement de cailloux métalliques sur le marbre.  

« - Nous pouvons y aller. »  

Alors la calèche se mit en route et s’éloigna en vitesse de la Banque de France. Alertés par le vacarme qui n’avait pas cessé, les passants s’approchaient toujours du bâtiment. Soudain, une pluie de pièces d’or s’échappa avec fracas de la porte de l’Hôtel, et des milliers de ces pièces fondirent dans la rue de la Vrillière, comme mues par une volonté propre. Les passants hurlèrent et s’aplatirent sur le sol. Certains d’entre eux tendirent la main pour en agripper une, mais la retirèrent vivement : les pièces de métal, aveugles, n’acceptaient pas d’obstacle et déchiraient les chairs qui se plaçaient sur leur chemin. Rapidement, un nuage d’or gigantesque et étincelant arpenta les rues de Paris, en direction du Nord, suivant la calèche de la baronne qui fonçait ventre à terre…  

 

*  

 

Les policiers avaient lancés leurs chevaux à pleine vitesse dans les rues du XIXème arrondissement et l’inspecteur Croquevieille hurlait ses ordres pour tenter de rattraper son retard. De loin, il pouvait encore apercevoir le nuage épais formé par l’or en goguette et il s’escrimait à se concentrer sur l’action pour ne pas défaillir devant l’impensable situation rocambolesque dans laquelle il se trouvait. Ils sortirent bientôt des limites de la ville et sillonnaient maintenant des routes plus poussiéreuses, traversant la bourgade de Saint-Denis. Soudain, malgré le tumulte du cahot des roues et des sabots de cheval, il entendit un fracas régulier qui le poussa à pencher la tête vers l’arrière de son véhicule. L’instant de surprise passé, il vociféra des injures.  

« - C’est pas Dieu possible, j’aurais du l’attacher ce saligaud ! »  

Une araignée géante, toute de métal rouillé, coursait les calèches. Grâce à ses huit pattes puissantes, elle rattrapa rapidement le convoi des policiers. Elle dépassa bientôt la voiture de tête et l’inspecteur put apercevoir la cabine de pilotage d’où dépassaient les têtes d’un Nicéphore insolent, d’un Gédéon surexcité et d’une Gabrielle dangereusement pâlichonne. Il brandit un poing rageur et impuissant dans leur direction et, alors qu’une patte de l’étrange animal le frôlait, un jet d’huile de vidange lui gicla au visage. On l’a dit, la machine avait besoin de quelques jours supplémentaires de préparation…  

 

Penché sur ses mannettes, Nicéphore ne lâchait pas le nuage étincelant du regard. Ils le poursuivaient depuis de nombreuses lieues et parvenaient bientôt à hauteur des pièces en queue de nuage. Mais la calèche de la baronne s’enfonça à ce moment la forêt de Compiègne, et si les pièces trouvèrent facilement leur chemin à travers les branchages, Nicéphore ne put que constater que sa machine était trop large pour poursuivre sa course dans la petite route sinueuse, et trop lourde pour grimper aux arbres. D’un coup de poing rageur, il fut donc contraint à l’abandon…  

 

*  

 

Ce soir-là, la baronne se tenait dans un fauteuil confortable, seule, lovée près de la grande cheminée de la vaste pièce vide du château de Pierrefonds. Pièce vide, pas tout à fait. Car un tas d’une demi-tonne de pièces d’or reposait tranquillement à quelques mètres d’elle. Mais elle ne s’en préoccupait pas et fixait les flammes. Elle ne décolérait pas depuis la veille. La première étape de son plan diabolique avait échoué : elle était bien obligée de s’avouer que tous les avertissements du physicien Bellery s’étaient avérés justes. Elle n’avait pas été patiente, et l’aimant n’avait pas été assez puissant pour emporter la Tour Eiffel. Elle se fichait bien des dommages que cela avait créé sur la ville, mais elle n’avait pas réussi son coup d’éclat : voler la Tour Eiffel, le nouvel emblème de ce pays arrogant et prétentieux, contre lequel elle voulait à tout prix obtenir réparation.  

Maintenant, elle avait plus d’or que besoin. Ca, au moins, elle l’avait réussi avec éclat. Mais à quoi pouvait lui servir tout l’or du monde si elle n’était pas capable d’obtenir ce dont elle avait vraiment besoin : la science nécessaire pour finaliser la machine… Et cet imbécile de Bellery qui avait eu des remords et tenté désespérément de l’arrêter. Maintenant mort, qui pourrait terminer les recherches ?  

Sa fille peut-être. Bellery lui avait dit qu’elle n’avait pas les connaissances suffisantes. Qu’elle n’était pas assez brillante. Mais elle le soupçonnait d’avoir menti pour la protéger, pour détourner son attention de cette jeune femme. Après tout, il avait totalement abandonné ses propres recherches pour se consacrer au projet qu’elle lui avait proposé, laissant tout le reste du travail à sa fille. Elle devait bien être capable de quelque chose…  

C’était décidé. Demain, elle allait tester les connaissances de Gabrielle Bellery…  

 

-------------------------------------  

 

Un film de Fano TOENGA TE POKI  

Sur un scénario original du Corbeau  

 

Avec  

Weston HATCHER – Nicéphore Arbogast  

BRUME - Gabrielle Bellery  

Toni BERGMAN - la baronne Van Kell  

Franck ELIOTH - l’inspecteur Napoléon Croquevieille  

Gregory RENCOIN - Gédéon  

Leonard BRUMEL - Boniface Bellery  

 

Sur une musique de Jessica BERRY

Scénario : (2 commentaires)
une série A de science-fiction (steampunk) de Fano Toenga Te Poki

Weston Hatcher

Brume

Franck Elioth

Toni Bergman
Avec la participation exceptionnelle de Leonard Brumel, Gregory Rencoin
Musique par Jessica Berry
Sorti le 17 septembre 2033 (Semaine 1498)
Entrées : 28 333 700
url : http://www.cinejeu.net/index.php?page=p&id=54&unite=fenetre&section=vueFilm&idFilm=22582