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Les Films du Corbeau présente
L'Heure des loups

1925, dans les montagnes du Jura  

BO : https://www.youtube.com/watch?v=7r2P0HrsgVg (à écouter en lisant)  

 

De toute façon, il n’y arriverait jamais… Il courrait aussi vite qu’il le pouvait, ce qui n’était pas grand-chose dans cette neige épaisse qui lui montait jusqu’aux genoux. Autour de lui, le ciel était bas et gris, au point qu’on ne distinguait plus la ligne d’horizon, et il se frayait un chemin entre les troncs noirs du bosquet. Mais sa progression était bien trop lente. Il se retournait pour les surveiller, mais il ne les voyait pas. Pourtant ils étaient bien là. Ils ne lâcheraient jamais prise.  

Hors d’haleine, le corps en nage, René (Ivarr Knudsen) sortit enfin du bosquet. La chapelle en ruine se tenait à quelques dizaines de mètres au-dessus de lui, dominant la vallée. S’il la rejoignait, il serait sauf. Il s’élança dans la côte, lourdement, à bout de force. C’est alors qu’il les vit à ses côtés, de part et d’autre. Leurs pas semblaient à peine toucher la neige et ils le dépassèrent avec une facilité déconcertante. Son cœur tambourinait dans sa poitrine, mais il fallait qu’il continue. Certains d’entre eux étaient maintenant devant lui. Mais la chapelle était si proche… C’est alors qu’ils se retournèrent et le transpercèrent de leurs yeux jaunes. Ils étaient devant, à ses côtés, derrière lui. René s’immobilisa quand il constata qu’il était encerclé. Les loups le fixaient avec un calme désarmant. Lui tremblait de tous ses membres… La chapelle était si proche, mais pourtant si loin. Il aperçut une silhouette humaine qui se détachait des murs de pierre. Il tendit la main. Il appelait à l’aide, mais nul son ne sortait de sa bouche tant sa gorge était sèche. La silhouette ne bougea pas et le regarda en silence. Alors les loups sortirent les dents. Leur gueule se fit menaçante, et ils avancèrent, refermant lentement leur cercle sur lui. C’était fini.  

 

*  

 

Elle convulsionna avec une violence effrayante. Les yeux exorbités, elle fixait la lumière de la lune qui filtrait par l’étroite lucarne. Une giclée de sang lui éclaboussa le visage. Un monstre poilu broya le corps de cet homme, juste devant elle, les crocs s’enfonçant sans pitié dans ses chairs. Le sang chaud fumait au contact de la neige. Elle hurla.  

Rita Machine (Katia Oblomov) pénétra dans la cellule. Elle vit le corps de la jeune fille se contorsionner sur le sol. Elle se précipita vers elle et tenta de la réveiller, mais elle était en furie et se débattait avec violence. Alina (Gaby Vigmarsson) voulut la griffer, tirer sur sa coiffe d’infirmière, mais Rita parvint à retenir ses gestes. Elle la hissa sur son lit et réussit à refermer les liens autour de ses poignets. Alina criait toujours et son corps tremblait sous le coup de secousses terribles. L’infirmière alluma la lampe à pétrole, qu’elle approcha du visage de la jeune fille. Elle était d’une pâleur effrayante, les yeux perdus dans une de ses visions cauchemardesques. Rita s’assit à ses côtés et appuya ses mains contre le visage de la jeune patiente.  

- Là, là. C’est fini. Calme-toi.  

Alina se tût et tenta de reprendre sa respiration. Lentement, elle retrouvait ses sens, son corps se détendait. Depuis son arrivée au Sanatorium, Alina Mandown était coutumière de ces sortes de transes implacables qui la prenaient à toute heure du jour ou de la nuit. C’était la seule fois où l’on entendait sa voix, la seule fois où on pouvait l’approcher pour tenter de la maintenir. Sauf Rita qui, contre toute attente, était la seule personne que la jeune fille semblait tolérer à tout moment.  

Alina ferma les yeux, toujours haletante. Lorsqu’elle les rouvrit, elle les plongea dans ceux de l’infirmière et sembla enfin la reconnaître.  

- Respire. C’est fini.  

- Ils sont là, ils arrivent. Ils l’ont mis en pièce. C’était horrible.  

- Qui ça ? De qui parles-tu ?  

- Ils ont soif de sang. Ils ne partiront pas tant qu’ils ne seront pas repus de sang.  

- Je ne comprends pas. Repose-toi.  

- L’heure est venue. Ceux qu’ils sont venus chercher n’auront nulle part où se terrer.  

- Chut. Chuut.  

 

 

******************** L’HEURE DES LOUPS *********************  

 

 

La nuit était tombée sur les montagnes encerclant le village de Jublains. La neige s’était remise à tomber, silencieusement. Les cris des loups s’élevaient, repris en écho par les pentes et les ravins. Des dizaines de cris, pour autant qu’on put les compter.  

Dans l’auberge du village, on se tut. On écoutait ces appels lugubres.  

- Vous avez entendu ça ? Bon sang, combien peuvent-ils être ?  

La main de Roland Erbaf (Frank Mattis) se crispait sur son verre. Il n’était pas homme à flancher, mais ces cris lui secouaient l’échine d’un frisson glacé. Stanislas Kosinski (Isaac Chenowith) lui faisait face, le regard tout aussi sombre.  

- Nombreux, beaucoup trop nombreux.  

Il se tourna vers le comptoir.  

- Drexl, de mémoire d’homme, tu as déjà entendu ça ?  

L’aubergiste (Shawn Green) releva sans entrain la tête du livre qu’il tentait de lire à la lueur d’une chandelle. Il s’avança vers les deux hommes. De son seul bras valide, il s’appuya sur le comptoir et écouta les loups.  

- Jamais entendu dire qu’il y en avait plus d’une dizaine dans ces foutues montagnes. Quelque chose les a attirés dans le coin. Et ils semblent d’une humeur de chien… si j’ose dire.  

Kosinski ne releva pas le trait d’humour. Reynald Drexl n’était pas connu pour être un jovial compagnon. Aubergiste parce qu’il en fallait un, et parce qu’il ne pouvait plus se servir de ses deux mains pour confectionner les sabots qui le nourrissaient avant que la guerre lui ôte son bras droit, il servait les verres sans envie de sociabiliser. Ne sortait la tête de ses bouquins que parce qu’il le fallait bien pour gagner son pain. Kosinski ne l’aimait pas. Il ne cherchait pas vraiment à se faire aimer de toute façon. Mais quand il parlait, on l’écoutait. Parce que ce n’était pas si souvent, et parce qu’il savait tout un tas de choses. C’était l’érudit du village. Tout le monde savait ça. Raison de plus pour que Kosinski ne l’aime pas. Parce qu’en tant que directeur du Sanatorium et maire du village, il aurait aimé qu’on se tourne vers lui aussi facilement que vers ce taiseux bourru.  

Erbaf ne se détendait pas.  

- Mais que veulent-ils, ces maudits cabots ? Ils beuglent toute la nuit. J’arrive plus à écrire. Je ne sais plus quoi dire aux gosses qui m’en parlent toute la journée.  

- Dis-leur qu’ils sont là pour bouffer ceux qui ont de mauvaises notes !, plaisanta le maire. - Je leur ai déjà fait le coup.  

Ils rirent ensemble. Martyriser les élèves de l’instituteur Erbaf était un de leurs sujets de plaisanterie préféré. Drexl se réfugia au bout du comptoir pour retrouver la solitude de sa lecture. Mais il avait du mal à se concentrer. Il regarda l’horloge. Le jeune journaliste lui avait dit qu’il rentrerait à l’auberge, où il avait loué une chambre, à la fin de la journée. Et qu’il aurait des choses à lui demander, et d’autres à lui apprendre. De quoi s’agissait-il ? Il l’ignorait. Venu du Nord, René McFive, avec son nom d’Ecossais, écrivait pour un magazine dont il avait oublié le nom. Venu à Jublains pour écrire un papier sur ces petits villages les plus reculés, et sur le climat de Jublains, parmi les plus froids de France, il avait passé ces deux dernières semaines à fureter dans les montagnes et dans le village. Personne ne s’était vraiment occupé de lui, on n’aimait pas beaucoup les étrangers par ici. Mais Drexl aimait bien discuter avec lui. Il lui apportait un vent d’ailleurs. Cela faisait bien deux heures qu’il aurait dû être rentré.  

Drexl fut extrait de ses pensées lorsqu’un verre se brisa. Le jeune homme qui était au fond de la salle, et qui buvait son verre en silence jusqu’alors, venait de se redresser brutalement et se tenait le crâne dans les mains. Il tremblait. Erbaf donna un coup de coude à Kosinski.  

- Regarde. En parlant de clébard, y a « le Pitbull » qui va remettre ça…  

« Le Pitbull » (Guillaume Neuville), comme ils l’appelaient, commença à gémir.  

- J’en peux plus, j’en peux plus ! Ils sont dans ma tête. Ils n’en sortent plus…  

Kosinski soupira.  

- Bon, va falloir que je le ramène.  

- Ils sont venus là pour moi, ils m’appellent… Ils savent ce que j’ai fait…  

Le maire s’approcha de lui et l’agrippa par les épaules.  

- On se calme, Michel. Ce ne sont que des bêtes. Viens, il est temps de rentrer.  

- La nuit, je sens leur odeur…C’est la même, la même odeur de mort que là-bas…  

Les deux hommes sortirent. Mais une fois dans les ruelles vides du village, Kosinski eut du mal à contenir son patient qui commençait à se débattre.  

- Je ne veux pas rentrer ! Ils sauraient où me trouver ! Laissez-moi !  

- Vas-tu te calmer, bougre d’imbécile ?  

Une frêle et petite silhouette sortit soudain de l’ombre et s’approcha d’eux. Elle s’agrippa au bras de Michel. Le maire s’énerva.  

- Mais que fais-tu là à cette heure-ci, toi ?  

- Michel, que t’arrive-t-il ?  

Cateline Morcar (Beverly Gilstrap) était l’orpheline du village, qui avait trouvé refuge au Sanatorium. Depuis que Michel l’avait sauvée de la noyade l’été précédent, elle avait pris le jeune homme sous sa protection enfantine et ne le lâchait pas d’une semelle.  

- Laissez-moi, M. le directeur ! Je veux l’aider. Michel, s’il te plait, calme-toi !  

Et effectivement, la présence de l’enfant eut sur le jeune patient un effet radical. Il la prit dans ses bras et y réfugia son visage. Cateline lui caressa la nuque comme l’aurait fait une mère.  

 

*  

 

Rita retrouva le directeur à la porte du Sanatorium. Kosinski lui laissa la charge du jeune patient et de l’enfant avant de rejoindre ses appartements sans un mot. Il semblait d’une humeur massacrante. L’infirmière renvoya l’enfant se coucher, malgré ses protestations, et mena Michel à travers les couloirs obscurs. La nuit, l’endroit était lugubre. Et le cloitre de cet ancien monastère encore davantage. Le jour pourtant, l’endroit était plaisant et donnait une vue revigorante sur les cimes. Michel s’était calmé, mais il était dans un état de mélancolie que Rita lui connaissait bien. Elle le ramena jusqu’à sa cellule et l’aida à se dévêtir, puis à se coucher. Elle lui caressa le front jusqu’à ce qu’il s’endorme. L’infirmière ne faisait pas son âge (près de 40 ans), mais elle aurait tout aussi bien pu être sa mère. C’était d’ailleurs avec une bienveillance maternelle qu’elle couvait tout particulièrement ce patient. C’était elle qui l’avait amené de Paris jusqu’à ce Sanatorium à la fin de la guerre, pour des raisons qu’elle seule connaissait. Parce qu’il était un de ces jeunes hommes qui s’ouvraient à la vie avant que les combats ne le détruisent, elle avait dit que sa place était ici. Son corps ne portait pas de blessures. C’était tout son être qui était ravagé.  

Une fois endormi, elle le laissa et sortit sur le perron du Sanatorium. Dans une ou deux heures, Michel la tirerait de son sommeil par les cris de ses cauchemars incessants. Elle avait besoin d’un peu d’air frais et de se retrouver seule. Alina et Michel n’étaient pas ses seuls patients, mais ils accaparaient beaucoup de son temps. Elle avança tranquillement à la lisière du village, profitant de la quiétude du silence et de la lumière de la lune qui se reflétait sur la neige. Les flocons ne tombaient plus. Les loups s’étaient tus, eux aussi. Pour un temps.  

Soudain, elle s’immobilisa. Un homme se tenait à quelques pas devant elle. De dos, elle le reconnut et s’approcha. Emilien Godefroid (Marc Mesnil) regardait au loin. Il avait l’air d’avoir vu un fantôme.  

- Tout va bien, Emilien ?  

- Dites-moi que je n’ai pas la berlue.  

Elle suivit son regard et observa à son tour le manoir de la famille Corbach, au flanc de la colline qui menait jusqu’aux cimes. Une bâtisse sombre et éteinte, à l’abandon depuis des années. Pourtant, ce soir-là, une lueur luisait à l’une de ses fenêtres…  

 

***  

 

- Pourquoi pleures-tu ma petite ?  

Un jour gris s’était levé depuis quelques heures. Amedeo Cartalitanesto (Jeff Collins), le prêtre du village, s’était penché sur l’orpheline qui se tenait seule, recroquevillée sur le perron de l’auberge. La neige, qui tombait à nouveau depuis l’aube, avait commencé à s’amasser sur ses petites épaules.  

- C’est les autres enfants. Ils ne veulent pas que je m’approche d’eux. Ils disent que mes parents étaient des loups, parce que j’aime bien marcher dans les montagnes.  

De son accent chantant italien, il lui parla avec douceur.  

- Tu n’as pas peur des loups ?  

Cateline releva la tête et commença à sécher ses larmes. Elle renifla bruyamment.  

- Non, ils ne sont pas si méchants.  

- En as-tu seulement rencontré ?  

Elle le regarda sans répondre. Le prêtre lut dans ses yeux qu’elle lui cachait quelque chose.  

- Viens avec moi à l’église. Nous parlerons un peu.  

Il lui prit la main, mais elle refusait de bouger.  

- Viens, te dis-je ! Tu ne vas pas rester toute seule sous cette neige !  

Mais elle résistait. Le prêtre lisait une défiance dans son regard. Il sentit l’énervement monter en lui et tira plus fort.  

- Mon père !  

La voix de l’homme qui remontait la rue l’interrompit. Il lâcha l’enfant, qui en profita pour s’éloigner rapidement. Le prêtre pesta entre ses dents. Emilien le rejoignit. Son visage était blafard. Il semblait habité de vifs tourments.  

- Qu’y a-t-il, Emilien ?  

- Avez-vous vu ? Cette nuit, avez-vous vu ?  

- Cette nuit, j’ai dormi. Tant que les hurlements des loups me l’ont permis.  

- Alors vous ne savez pas…  

Le prêtre était maintenant bel et bien énervé, mais tenta de le masquer.  

- Si tu te décidais à te confier, je serais assurément moins ignare…  

- Les Corbach sont revenus !  

L’effroi qu’Amedeo perçu dans sa voix ne put l’empêcher de pâlir à son tour.  

- Que me chantes-tu là ?  

- La nuit dernière, il y avait de la lumière dans mon manoir.  

Le prêtre fronça les sourcils.  

- « Ton » manoir ?  

- Enfin… je veux dire…  

- Il faudra bien que tu te décides à me confesser un jour pourquoi il t’intéresse autant, ce manoir.  

Après l’incendie de 1917 et la mort du baron et de la baronne Corbach, et après l’annonce de la mort de leur seul héritier à la guerre, le manoir était resté désespérément vide. Emilien Godefroid, alors maire de Jublains, avait détourné les fonds publics pour tenter de se l’approprier. Mais le notaire de la famille, depuis Lons-le-Saunier, avait refusé la vente, sans s’expliquer plus avant. Ce refus avait été rendu public, et le crime de Godefroid mis à jour.  

- Une dernière fois, oublie ce manoir Emilien. Les habitants de ce village ont décidé de ne pas te dénoncer aux gendarmes, parce qu’ils n’aiment pas que des gens de l’extérieur viennent s’occuper de leurs affaires. Mais qu’ils aient eu raison ou tort, il n’est pas dit qu’ils ne reviennent pas sur leur décision, si tu ne te tiens pas tranquille.  

- Ils auraient mieux fait de me dénoncer plutôt que de me traiter ainsi. Je suis le pestiféré du village. Jublains est devenu une prison, moi qui ai tant fait pour elle…  

Lassé, le prêtre tournait les talons.  

- Mon père ! Et pour le manoir…  

- Une seule personne dans ce monde a ressuscité. Et ce n’était pas un Corbach. Si tu venais plus souvent à la messe, tu le saurais.  

- Mais cette lumière…  

- C’était probablement un rôdeur ! Peut-être ce journaliste étranger qui fouine à peu près partout…  

- Ca, sûrement pas.  

Kosinski s’était approché d’eux en silence, les pas feutrés par la neige.  

- On vient de retrouver son corps près de la vieille chapelle. Enfin ce qu’il en reste…  

 

*  

 

Kosinski, Erbaf, Godefroid et Cartalitanesto s’étaient rassemblés dans l’auberge. Drexl leur avait servi un verre de vin chaud. Leur mine à tous était sombre. Les loups avaient dévoré un homme. Un cap qu’ils n’avaient pas franchi jusque là.  

- Vous allez peut-être prévenir les gendarmes, cette fois ?, dit le prêtre, sur un ton de reproche.  

- Trop de neige. La route de la vallée est coupée, et le télégraphe ne répond plus.  

Ils gardèrent le silence. Erbaf le rompit au bout d’un moment.  

- On ne se promène pas au milieu de la montagne quand elle est infestée de loups ! Que faisait-il là-bas de toute façon, cet abruti ? On peut dire qu’il l’a un peu cherché…  

- Il n’était pas là-bas par hasard. Ca, j’en suis certain.  

Drexl avait parlé depuis le fond de la pièce. Ils tournèrent la tête vers lui.  

- Pourquoi dis-tu ça ?, s’enquit Kosinski.  

- Parce que depuis quelques temps, il n’allait jamais nulle part par hasard. Cela fait longtemps qu’il avait laissé tomber son article. Il avait trouvé des histoires plus intéressantes.  

- Lesquelles ?, demanda Godefroid, inquiet.  

Drexl se contenta d’hausser les épaules.  

- Allez demander aux loups. C’est étonnant qu’ils s’en soient pris justement à lui.  

Kosinski était agacé.  

- Arrête de jouer à ce petit jeu. Que sais-tu ?  

- Beaucoup de choses. Mais visiblement, pas encore assez…  

Ils se fixèrent l’un et l’autre avec une franche antipathie. C’était à qui baisserait le premier son regard.  

 

***  

 

BO : https://www.youtube.com/watch?v=5wjyBheskyA  

 

Le village était inquiet. La mort de McFive, au moment-même où une lueur apparaissait au manoir, après des années de silence, enfiévrait les esprits. Les paroles de Godefroid avaient eu une forte impression sur les esprits plus sensibles. On parlait du fantôme du baron venu se venger d’entre les morts. On disait que les loups étaient les suppôts de Satan venus accompagner sa vengeance. A la fin de la journée, Amedeo Cartalitanesto se décida à emprunter le chemin du manoir. Il fallait calmer les esprits avant qu’une bêtise ne soit faite.  

Le chemin était difficilement praticable à cause de la neige qui ne cessait d’affluer. A mi-chemin entre le village et le manoir, la grise lumière du jour déclinant, un premier hurlement de loup se fit entendre au loin. Le prêtre regretta d’être parti seul. Il accéléra le pas.  

Le manoir était sombre et tranquille. L’aile ouest était obscurcie par les traces de l’incendie qui l’avait ravagée, mais la majeure partie du bâtiment était intacte, malgré le manque d’entretien. Tous les volets étaient clos, sauf à une fenêtre. Et le prêtre sentit une légère angoisse monter en lui lorsqu’effectivement, il aperçut une lueur y briller subrepticement. Il frappa à la porte d’entrée, mais n’attendit pas de réponse. Il pénétra dans le manoir et se retrouva dans le hall d’entrée où toute lumière était absente. La poussière s’était immiscée dans chaque recoin et une forte odeur d’humidité lui chatouilla les narines.  

Soudain, il entendit un bruit qui le fit sursauter. Mais ce bruit était reconnaissable. Il connaissait bien ce manoir pour l’avoir souvent fréquenté du vivant du baron Quelqu’un avait allumé un feu de cheminée dans le salon. Il y pénétra lentement. A l’autre bout de la vaste pièce, un homme dont il ne voyait que le dos était assis devant les flammes du foyer.  

- Qui êtes-vous ? Que faites-vous ici ?  

Il n’eut pas de réponse. Il avança lentement. Cette silhouette ne lui était pas étrangère. Mais c’était impossible. Il était proche de l’inconnu. Celui-ci se retourna enfin. En voyant son visage, le prêtre fut pris d’un sursaut d’effroi. Malgré lui, il se retourna précipitamment et s’enfuit aussi vite qu’il pouvait. Courant dans la neige, il ne cessait de se répéter :  

- Les fantômes n’existent pas… Les fantômes n’existent pas…  

 

*  

 

Il se rua le long de la nef de sa petite église et tomba à genou devant l’autel. Il peinait à reprendre haleine. L’église était glacée, mais ce n’était pas pour cela que son corps tremblait. Il tourna son visage vers la statue du Christ et l’implora.  

- Abbiate pietà… Signore, abbiate pieta per il mio culpa… Mia maxima culpa… (Ayez pitié… Seigneur, ayez pitié pour ma faute… ma très grande faute…)  

Un cri de frayeur lui échappa lorsqu’il entendit un bruit de pas venir de la sacristie. Une jeune femme apparut, emmitouflée dans une cape élimée. C’était celle qu’on appelait « l’Ombre » (Nora Jachowicz), faute de savoir son nom. La simple d’esprit que le prêtre avait recueilli il y a quelques années, arrivée de nulle part, et qui servait, à lui et à quelques autres, de bonne à tout faire. Lorsqu’elle vit le visage du prêtre, elle s’inquiéta. Une sombre lueur enfiévrait son regard. Il semblait au comble du désarroi.  

- Mon père ?  

Il lui tendit les bras, comme un appel au secours.  

- Coletta, Coletta ! Vieni qui…  

Elle hésita à s’approcher. Quand il l’appelait ainsi, c’est qu’il n’était plus dans son état normal. Et cela n’augurait rien de bon. Mais elle eut pitié du vieillard, qu’elle n’avait jamais vu dans un tel état et lui prit les mains. Le prêtre l’attira à lui et se blottit brutalement contre elle.  

- Coletta, mia sorella, proteggimi… (ma sœur, protège-moi…)  

La jeune femme se sentait oppressée. Il la serrait trop fort. Il était dans tous ses états. Ses vieilles mains l’empoignaient, puis se promenèrent sur son corps, agrippèrent sa poitrine. Le prêtre commençait à lui lécher le coup.  

- Non, non !  

Pas encore ! Pas cette fois. Elle tentait de se soustraire à son étreinte. Alors qu’il plongeait sa main sous ses jupes, elle lui frappa le menton d’un coup de genou. Elle put se redresser et s’enfuit en courant. Cartalitanesto ne fit rien pour l’en empêcher. Il prit son visage dans ses mains et pleura. Il n’osait pas relever la tête vers l’autel.  

- Mio Dio, aiutami… (Mon Dieu, aide-moi…)  

 

*  

 

Au même moment, Rita était auprès d’Alina. Elle n’était pas dans une de ses crises habituelles, mais l’infirmière était tout de même inquiète. La jeune fille était assise sur son lit, les bras autour des genoux, et se balançait d’avant en arrière en regardant la neige tomber par la lucarne et en répétant continuellement la même chose.  

- Le vent a tourné. Ils le sentent. Le vent a tourné. Ils le sentent…  

Qu’importe que Rita la calme, lui parle, ou lui caresse les cheveux, Alina ne semblait pas avoir conscience de sa présence. Puis soudain, elle se tut et s’immobilisa. Elle tourna son regard par-dessus l’infirmière. Rita tourna la tête à son tour et sursauta en découvrant une silhouette se tenir dans l’ombre de la porte entrouverte. Cette silhouette… Ce n’était pas possible. L’inconnu avança de quelque pas et dévoila son visage à la lueur de la chandelle. Ce n’était pas le visage que l’infirmière s’attendait à voir. Celui-là était étrangement figé, irréel… Elle comprit alors, avec surprise, que l’homme qui se tenait devant elle portait un masque. Un masque de bois sur lequel des traits étaient dessinés, proprement, mais qui offrait un visage totalement dénué d’expression.  

- Alexandre… c’est bien vous ?  

Il ne répondit pas. Rita vit Alina se redresser et avancer jusqu’à lui. Elle était étonnamment calme et apaisée. Ce qui ne lui arrivait jamais devant quelqu’un d’autre qu’elle-même. La jeune fille regarda les yeux de l’homme à travers le masque de bois et sourit. Elle avança lentement les mains jusqu’à son visage, mais il arrêta son geste. Puis accepta de la laisser faire. Alors Alina lui ôta délicatement son masque. Rita, malgré son expérience d’infirmière, fut saisie. Ces yeux, c’étaient bien ceux d’Alexandre Corbach (Hugh Darby). Mais ils étaient la seule trace restante du visage qu’elle avait connue. Un trou s’exposait à la place de son nez. Une de ses joues se creusait profondément à l’endroit où dû se tenir une mâchoire. Ses lèvres n’étaient plus qu’une légère commissure irrégulière, et d’effroyables cicatrices lui vrillaient le reste du visage.  

- Oh, Alexandre…  

Malgré ses lambeaux de visage, il parvenait tout de même à parler.  

- Comme vous le voyez, Rita, il ne reste plus grand-chose d’Alexandre.  

Alina déposa le masque de bois sur sa table de nuit et rejoignit son lit. En passant devant l’infirmière, elle lui dit, confiante :  

- Ca va aller mieux, maintenant.  

Puis elle s’allongea et ferma les yeux.  

- J’ai besoin de votre aide, Rita. Mon visage n’est pas fait pour subir ce froid.  

Il resta une partie de la nuit avec l’infirmière, alors qu’elle apaisait son visage avec une pommade. Il lui conta ce qui avait été sa vie pendant ces sept années qui l’avaient tenu loin d’ici après son effroyable blessure de guerre. Puis il l’interrogea sur la vie du village. Sur les années de guerre à Jublains. Sur ce fameux jour où l’incendie avait tué ses parents. Il posa la main sur son bras.  

- Rita, j’ai besoin de savoir. Je vous ai toujours connu, je vous ai toujours fait confiance. Que s’est-il vraiment passé ?  

Rita baissa la tête.  

- Je regrette, Alexandre. Mais j’étais moi aussi sur le front, à cette époque. A l’arrière. Je ne sais que ce qu’ils en disent.  

- Et qu’en disent-ils ?  

- Que c’était un accident…  

- Vous les croyez ?  

Rita garda le silence un moment.  

- Je ne sais pas. Il est certain que je ne sais pas tout. Certains en gardent une culpabilité évidente, et je n’ai jamais su pourquoi.  

Alexandre resta songeur un moment.  

- Et qu’est devenue Béatrice ?  

- Béatrice ?  

- La femme de chambre de ma mère. Que sont devenus tous les domestiques ?  

- Je n’ai jamais rencontré cette Béatrice. Je sais que votre jardinier et votre majordome étaient déjà morts à la guerre, à ce moment-là. Ils ont été appelés peu de temps après vous. La femme de chambre, j’ai entendu dire qu’elle avait rejoint la ville dès le début de la guerre. Je ne sais pas où. C’est tout.  

Alexandre était visiblement déçu. Mais il la remercia, et Rita le regarda partir dans la nuit. Elle n’avait pas tout dit, bien sûr. Elle avait entendu parler du scandale, quand Alexandre avait voulu épouser cette femme de chambre. Aussi s’était-elle gardée de lui raconter les rumeurs qu’elle avait entendues sur cette Béatrice. De toute façon, il l’imaginerait sans doute par lui-même : quel sort peut réserver une ville à une domestique sans références ?  

 

***  

 

- Je vous dis qu’il est mort. Je le sais, puisque je l’ai vu mourir de mes propres yeux.  

Drexl tenait ainsi tête au prêtre de l’autre côté de son comptoir. Cartalitanesto avait retrouvé son calme et s’était alors sentit ridicule. Il avait reconnu Alexandre Corbach, c’est donc qu’il était toujours en vie, contrairement à ce que tous croyaient.  

- Reynald, vous avez dû vous tromper.  

- Un obus lui est tombé dessus. Savez-vous ce qui reste d’un homme, mon père, quand un obus lui tombe dessus ?  

- Quand un obus choisit son homme, alors il n’y a plus rien à faire…  

- Calme-toi, Michel.  

Kosinski avait amené le jeune homme avec lui. Il était calme ce soir-là, même si ses yeux étaient perdus dans le vide. Godefroid tapa du poing sur la table.  

- Moi, je crois le curé. C’est l’explication la plus sensée. Drexl, tu l’as peut-être vu en mauvaise posture, mais la médecine moderne fait des miracles.  

- Tiens, on ne croit plus aux fantômes ?  

- Ferme-la, Erbaf.  

Le silence s’installa un moment dans la pièce. C’est l’instituteur qui le brisa.  

- Et pourquoi croyez-vous qu’il soit revenu ?  

- Juste quand les loups nous assiègent. Vous croyez au hasard, vous ?, s’inquiéta l’ancien maire.  

Kosinski lui répondit.  

- Ne mélange pas tout. Quel lien veux-tu qu’il y ait ?  

- Je dis juste ça comme ça.  

Cartalitanesto était songeur. Il ne s’était pas confié sur l’effroi qu’il avait ressenti en découvrant le visage d’Alexandre.  

- Quand il sera prêt, il nous le dira. Alexandre était un bon garçon.  

Drexl ricana. Ce qui eut l’effet habituel d’agacer Kosinski.  

- Quelque chose à partager, l’aubergiste ?  

- Je ris de voir vos têtes de gosses pris en flagrant délit. Un des Corbach qui revient, ça doit bien vous vriller l’estomac ! Maintenant, vous avez la trouille de devoir faire face à certaines choses qui vous grattent depuis des années.  

- Tu racontes des conneries, Drexl. Ne fais pas celui qui en sait plus que les autres ! Tu n’étais pas là. Tu ne sais rien.  

- Si ça peut te rassurer…  

 

*  

 

Kosinski ramenait Michel au Sanatorium. Il marchait devant, accompagné de l’instituteur, de l’ancien maire et du prêtre.  

- Il va falloir surveiller Corbach de près.  

Godefroid était inquiet.  

- Mais je n’ai absolument rien à me reprocher, moi ! J’irai voir Alexandre. Je lui expliquerai que…  

Soudain, Erbaf l’attrapa au collet et le plaqua contre un talus de neige. Son visage s’était transformé en une grimace de colère qui les surprit tous.  

- Toi, tu vas arrêter de te défiler ! T’en as pas eu assez de nous prendre tous pour des cons ? Maintenant, tu voudrais te faire passer pour plus propre que tu n’es. T’es dedans autant que nous !  

Le prêtre lui posa la main sur l’épaule.  

- Lâche-le, Roland. Mes amis, les esprits s’échauffent. Ne perdons pas de vue notre vraie menace. Les loups ont causé la mort. Ils sont trop proches de notre village. Il faut absolument trouver le moyen d’obtenir de l’aide. C’est assez que nous nous enfermions sur nous-mêmes. N’oubliez pas que nous n’avons jamais su qui a assassiné les parents d’Alexandre. Car nous savons bien que c’est le cas. Et je ne veux plus tolérer le silence qui est le nôtre depuis toutes ces années.  

- Alors c’est comme ça, mon père ?  

Kosinski s’avança vers lui, menaçant. Le prêtre reculait à mesure que le maire approchait son visage du sien.  

- Vous prenez le rôle du père accusateur et observateur, depuis tout ce temps ? Vous ne pouvez pas vous mentir à ce point ! Qu’avez-vous fait à l’époque ? Avez-vous levé le petit doigt pour que nous évitions d’en arriver là ? Vous êtes peut-être le plus coupable d’entre nous…  

Il lisait la peur dans le regard du prêtre. Offusqué, celui-ci préféra battre en retraite et reprendre le chemin de l’église. Kosinski se retourna vers ses compagnons, le visage sombre. Il aperçut alors Michel, qui observait la scène en silence. Il avait oublié sa présence.  

- Pars devant, je te rejoins.  

Une fois le jeune homme éloigné, il baissa la voix.  

- Nous avons un autre problème sur les bras. L’aubergiste se pavane peut-être, mais je crains qu’il en sache plus qu’on ne pense…  

 

*  

 

Dans l’auberge dépeuplée, Drexl terminait de ranger les verres nettoyés, lorsqu’un bruit le fit se retourner. Une silhouette se détacha de la pénombre près de la cheminée. Malgré son flegme naturel, l’aubergiste ne put s’empêcher de sursauter lorsqu’il découvrit l’étrange visage de bois. Les deux hommes s’observèrent en silence.  

- Je ne le croirai que quand tu me montreras ton visage.  

Alexandre s’exécuta et tomba le masque. Drexl plissa les yeux.  

- Alors c’est donc bien vrai que la médecine fait des miracles… même s’il reste du boulot.  

Il se retourna et sortit un verre propre, qu’il remplit et posa sur le comptoir. Alexandre s’assit sur un tabouret. Il remarqua que l’aubergiste avait les yeux humides.  

- J’en rêve souvent, mais c’est la première fois que je vois un de nos gars revenir d’entre les morts. Ca fait quelque chose…  

Ils gardèrent le silence un instant.  

- Reynald, toi tu me diras la vérité. Qu’est-il vraiment arrivé à mes parents ?  

- Tu veux vraiment remuer le passé ?  

- Regarde-moi. Le passé, c’est tout ce qui me reste.  

Drexl le regarda avec compassion.  

- Je te dirai ce que j’en sais. Crois-le ou non, mes connaissances ont des limites.  

 

Flash-back  

BO : https://www.youtube.com/watch?v=4Z2xH8m5T40  

 

Léopold Corbach (Leonard Brumel) se tenait immobile et pâle devant la façade du manoir. Ses yeux étaient rivés sur les mots qu’un vandale quelconque du village avait peinturluré sur le mur. « A mort les Fridolins. Une vie pour une vie. » Son regard balaya les fenêtres aux carreaux brisés par les pierres, les fleurs arrachées, le cadavre du chat de sa femme qu’il n’avait pas encore trouvé le courage de ramasser. La porte d’entrée s’ouvrit et le visage d’Adélaïde (Olivia Fallon) apparut.  

- Léopold, rentre, je t’en supplie ! Il ne faut plus rester dehors.  

Il s’exécuta et la rejoignit à la chaleur de la cheminée du salon.  

- Il faut que nous partions. Tu le vois bien !  

- Je ne peux pas quitter ce manoir.  

- Mais pourquoi, au nom du ciel ?  

- Alexandre pourrait revenir…  

- Mais cette guerre n’est pas prête de se terminer.  

Une boule lui nouait la gorge. Le baron repensa aux semaines qui venaient de s’écouler, où sa vie s’était transformée en véritable cauchemar. Voir son fils partir sur le front était déjà douloureux, mais il pouvait au moins compter sur la compassion des familles du village qui partageaient la même peine. Mais la guerre était plus longue et plus meurtrière que ce qu’ils avaient tous pu prévoir. Et les Allemands prenaient l’ascendant. Tuaient de plus en plus de leurs enfants. Alors les esprits s’échauffaient. Et les visages changeaient. Même les plus familiers. De ceux-là même qu’il pensait connaître le mieux, la première gifle était partie.  

- Corbach, c’est pas un nom de Fritz, ça ? D’où vient-elle votre famille ?  

Mon Dieu, que c’était stupide ! Corbach était un nom tout ce qu’il y avait de plus local, une ancienne famille qui avait bien dû se métisser d’un peu de sang teuton évidemment… Avec le temps, et la proximité. Mais il n’en fallait pas plus pour concentrer frustrations et rancœurs. Et la famille Corbach était devenue la cible de tout un village.  

- Nous trouverons de l’aide, mais nous ne partirons pas d’ici.  

Soudain, un fracas de vitre se fit entendre dans une autre pièce.  

A peine une heure plus tard, les corps du baron et de la baronne gisaient sur le carrelage du jardin d’hiver tandis que les flammes dévoraient le manoir.  

 

Drexl observait le visage d’Alexandre.  

- J’ai bien une idée de ce qui a pu se passer vraiment, mais t’en dire plus ne servirait à rien car je n’ai aucune preuve. Je crois que c’est de ça que voulait me parler le journaliste qui s’est fait tuer par les loups, car il enquêtait à ce sujet.  

Alexandre fixait son verre vide. Ses yeux étaient embués. Il avait vécu l’enfer, mais il ignorait que ses parents y avaient eu également droit, alors qu’il les croyait en sécurité dans le manoir de son enfance.  

- Et sais-tu ce qu’est devenu Béatrice ?  

- La femme de chambre de ta mère ?  

Lui aussi savait quel lien avait uni le jeune Alexandre à cette femme.  

- Non. Elle était déjà partie quand je suis rentré du front. Je crois qu’à part vous, personne ne l’a connu au village, même si tout le monde connaissait son nom.  

 

***  

 

L’Ombre balayait la chambre de l’instituteur. Elle ne s’appliquait pas, car elle était tendue. Elle voulait finir son travail avant qu’il ne rentre. Elle n’aimait pas cet homme. Elle époussetait le sol sous son bureau, rempli de livres et de paperasses, quand elle renversa une liasse de papiers. Des lignes d’écriture fines et empressées remplissaient des pages et des pages. Malgré elle, elle se prit à les lire.  

« Roman brisa la vitre de la verrière et s’infiltra dans le château. Freiherr Wittgenstein l’avait entendu et s’approchait de la porte du salon quand Roman y entra. Sa chienne d’épouse était assise sur le canapé. Le regard du Freiherr s’arrondit lorsqu’il aperçut le poignard que Roman brandissait en avant. Il allait payer, payer pour tous ses chiens galeux.  

- J’ai reçu une lettre ce matin. Mon frère est mort à Verdun. Il y est resté, et ce sont les tiens qui l’ont tué.  

- Mais nous n’y sommes pour r…  

Il n’eut pas le temps de finir sa phrase que le poignard de Roman s’enfonçait déjà dans son sternum.  

- Ferme ta gueule, salopard de Prussien ! Une vie pour une vie !  

Sa femme s’enfuyait déjà en courant, mais Roman était plus rapide. Il l’attrapa par les cheveux et la projeta au sol. Maintenant sa tête en arrière, il cisailla brutalement sa gorge et la laissa agoniser dans son sang.  

Il avait envie de se baigner dans le sang de cette chienne, de le boire jusqu’à la dernière goutte. Il se sentait fort, puissant. Puis son ventre se noua et il vomit. Le malaise. Toujours ce foutu malaise après la bouffée de plaisir. Puis il regarda autour de lui. Les deux cadavres aux yeux grands ouverts. Et il paniqua. Alors il sortit une bûche embrasée de la cheminée et… »  

La porte claqua et fit sursauter l’Ombre. Les feuilles s’éparpillèrent sur le sol. Elle était encore en train de les ramasser quand Roland Erbaf entra dans la pièce.  

- Qu’est-ce que tu fais, la demeurée ?  

Lorsqu’il comprit ce qu’elle tenait entre les mains, ses sourcils se vrillèrent de colère. Il lui balança une gifle puissante qui la fit s’écrouler sur le bureau. Il l’agrippa à la gorge et pressa son corps contre le sien.  

- Toi aussi, tu joues la fouille-merde ?  

Il se frottait les reins contre les siens et regardait ses yeux s’arrondir de peur, son visage rougir en quête d’oxygène. Elle se débattait comme une tigresse, mais il était trop fort. Le plaisir qu’il ressentit à cet instant était incommensurable. Mais soudain il relâcha son étreinte et son expression se modifia instantanément, pour prendre une pâleur de mort. Il eut envie de vomir.  

- Tu ne sais pas lire de toute façon. Fous le camp.  

L’Ombre était tombée à genou. Elle toussait, reprenait ses esprits. Il la poussa vers la porte.  

- Fous le camp, je te dis !  

 

***  

 

Celle qu’ils appelaient l’Ombre regardait le village depuis les hauteurs enneigées. Ce village de chiens. Tous des ordures. Elle le savait depuis longtemps déjà. La croire demeurée était sa meilleure protection. Personne ne s’intéresse aux demeurés. Mais maintenant, elle pouvait jouer franc-jeu. Ce qu’elle venait d’apprendre aujourd’hui était le dernier chainon manquant. Et elle se prit à sourire à l’idée de pouvoir libérer la pleine intensité de sa vengeance. Elle poursuivit sa progression sur la côte enneigée et s’approcha de la chapelle en ruine. C’était d’ici qu’elle avait regardé René mourir. Son seul regret, car il était parmi les justes. Mais il avait découvert qui elle était et elle ne pouvait pas le laisser faire. Elle le paierait sans doute, ici ou dans l’autre monde. Mais cela en valait la peine.  

Elle parvint à l’entrée de la chapelle et appela.  

- Où es-tu ?  

Une légère silhouette apparue. Cateline l’attendait en grelottant de froid. L’Ombre l’enveloppa dans la couverture qu’elle lui avait apportée et ensemble, elle s’assirent dans un recoin de la chapelle.  

- Alors t’es-tu entrainée depuis la dernière fois ?  

Le visage de la fillette s’éclaira.  

- Oui, et j’ai presque réussi ! Mais au dernier moment, il m’a tourné le dos et est reparti.  

- C’est bien. Les enfants t’embêtent toujours au village ?  

- Oui…  

- Mais tu ne leur as rien dit ?  

- Non, j’ai rien dit. Y a le curé qui voulait vraiment savoir, mais j’ai rien dit non plus. Je ne l’aime pas de toute façon. Il est bizarre.  

- Tu as bien raison. Et l’autre chose que je t’ai dite, tu l’as gardé pour toi aussi ?  

- Oui… Mais j’aimerais bien le dire à Rita. Elle est gentille.  

- Bientôt. Tu pourras lui dire bientôt.  

L’Ombre la serra contre elle. Elle l’aimait si fort.  

- Est-ce que les loups, c’est plus fort que les fantômes ?  

- Que veux-tu dire ?  

- Au village, on dit qu’il y a un fantôme qui est arrivé au manoir. Mais Rita, elle dit que c’est pas un fantôme, mais un monsieur qui s’appelle Alexandre.  

L’Ombre pâlit affreusement en entendant ce nom.  

- Tu dis qu’Alexandre est revenu au manoir ?  

- C’est pas moi, c’est Rita.  

Elle se retourna pour que Cateline ne voit pas les larmes qui se mirent à couler de ses yeux.  

 

*  

 

Alexandre était seul dans le manoir. Il se réchauffait devant la cheminée. L’humidité de cette maison et le froid glacial au-dehors le faisaient souffrir. Sa peau était sèche et ses cicatrices se tendaient. Il lui fallait retourner voir Rita. Demain, il fallait qu’il soit en forme. Il avait quelques visites à rendre…  

Il attendit que la nuit soit suffisamment avancée pour sortir. Il longea les arbres de la forêt, en direction du Sanatorium, et écoutait les hurlements des loups qui lui paraissaient proches. Devait-il s’en inquiéter ? Son cœur était trop rempli de colère pour s’en préoccuper suffisamment.  

Il s’arrêta. Quelqu’un sortait du bois. Une silhouette noire s’approchait dans sa direction, voilée par une longue cape à capuchon. Il réalisa qu’il avait oublié de porter son masque. Il cacha son visage derrière le revers de son manteau.  

- Que voulez-vous ?  

- N’aie pas peur, je ne suis qu’une ombre.  

Il baissa le bras et découvrit le visage de l’Ombre, qui avait baissée sa capuche.  

- Béatrice !  

- Alexandre.  

Elle le regardait en souriant, et ses yeux se remplissaient de larmes. Il détourna la tête.  

- Ne me regarde pas. Il n’y a plus Alexandre.  

D’un geste délicat, elle attira son visage vers le sien et caressa tendrement ses cicatrices. Elle se blottit contre lui. Il sentit une chaleur monter en lui qu’il croyait oubliée. Lorsqu’il rouvrit les yeux cependant, un frisson glacé chassa soudain ce sentiment. Un loup, qui se tenait immobile à quelques pas, les regardait de ses yeux jaunes.  

- Ne bouge surtout pas Béatrice.  

Il écarta la jeune femme pour se positionner entre elle et la bête, mais Béatrice posa sa main sur son épaule.  

- Non, ne t’inquiète pas. C’est moi qui l’ai appelé.  

Alexandre la regarda, non sans surprise, avancer vers le loup. Elle s’agenouilla près de lui et lui caressa le pelage. A ce moment, un autre loup sortit à son tour de l’obscurité. Il s’approcha calmement de la jeune femme, qui le caressa également. Elle regarda Alexandre en souriant. Puis elle tourna la tête vers le bois.  

- Cateline, tu peux t’approcher aussi.  

La petite fille, emmitouflée dans sa couverture, rejoignit Béatrice. Elle aussi se prit à enlacer le loup. Elle en éprouvait une joie évidente. Puis son attention se posa sur Alexandre, qu’elle regarda avec curiosité.  

- Il est où le visage du monsieur ?  

- Il est resté à la guerre. Mais regarde ses yeux, tu verras qui il est vraiment. Quelqu’un de bon, Cateline. Quelqu’un d’extraordinaire.  

Alexandre était décontenancé. Il s’approcha un peu, mais n’arrivait pas à être rassuré. Il ne comprenait pas.  

- Béatrice, qui est cette enfant ?  

- C’est ta fille Alexandre. Notre fille.  

 

BO : https://www.youtube.com/watch?v=MqpvK-_ZxgY  

 

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ANNUAL SHOW DU CORBEAU - 2034  

Un film réalisé par Gabor CZINKA  

Sur un scénario du Corbeau, et un petit peu de 11 autres producteurs…  

 

Avec Leonard BRUMEL, Isaac CHENOWITH, Jeff COLLINS, Hugh DARBY, Beverly GILSTRAP, Shawn GREEN, Olivia FALLON, Nora JACHOWICZ, Ivarr KNUDSEN, Frank MATTIS, Marc MESNIL, Guillaume NEUVILLE, Katia OBLOMOV et Gaby VIGMARSSON  

 

Sur une musique d’Hiromi HANSON  

BO :  

1) https://www.youtube.com/watch?v=7r2P0HrsgVg  

2) https://www.youtube.com/watch?v=5wjyBheskyA  

3) https://www.youtube.com/watch?v=4Z2xH8m5T40  

4) https://www.youtube.com/watch?v=MqpvK-_ZxgY  

Scénario : (4 commentaires)
une superproduction dramatique de Gabor Czinka

Hugh Darby

Nora Jachowicz

Jeff Collins

Katia Oblomov
Avec la participation exceptionnelle de Isaac Chenowith, Beverly Gilstrap, Frank Mattis, Gaby Vigmarsson, Leonard Brumel, Guillaume Neuville, Ívarr Knudsen, Marc Mesnil, Olivia Fallon, Shawn Green
Musique par Hiromi Hanson
Sorti le 24 juin 2034 (Semaine 1538)
Entrées : 26 903 269
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