C'est toujours le même rêve.
Je suis seule, assise sur mon lit, dans une quasi-obscurité. Je tiens dans ma main une boîte à musique - ou peut-être est-ce un jeu de logique, les choses ne sont pas très précises - je suis concentrée sur ce que je fais - mais qu'est-ce que je fais au juste ? Ensuite je sens sa main froide sur mon bras.
Je me tourne. Là, je vois cet homme - un adulte de 40-50 ans qui pourrait être mon père. Dans mon esprit, il est flou... Pas parce que j'aurais du mal à m'en souvenir, mais parce que je le VOIS flou même si tout est net autour de moi. Sa main pourtant est bien réelle, le froid traverse autant mon corps que mon esprit. Il me parle - enfin, je vois ses lèvres remuer car aucun son ne sort de sa bouche...
Je pose ma main sur la sienne : c'est précisément à ce moment-là qu'il commence à se désagréger devant moi. Très vite, il ne reste plus qu'une flaque de graisse à mes côtés, sur le sol, le lit, ma main et mon bras.

Habituellement, c'est ici que je me réveille. Les gens de l'Institut m'ont déjà sanglée sur le lit et je peux reprendre mes esprits tranquillement. 07:23 est une heure très précise. La visite de la neurologue intervient peu de temps après : en général, tout va bien - le scanner biométrique n'a rien donné ni les tranquillisants et autres somnifères dont ils m'assomment : on constatera la répétition du rêve... Bref, un coup pour rien. Un de plus.

Les gens de l'Institut sont plutôt sympas avec moi - carrés, professionnels mais toujours amicaux. Pas vraiment étonnant : depuis que les morts ont commencé à apparaître en vision aux vivants durant leur sommeil il y a quelques mois de celà, les autorités ont pris l'ampleur du phénomène et les mesures qui s'imposaient - des "rêveurs", ils ont donc l'habitude d'en voir. Pensez-vous : 5% de la population entre 20 et 60 ans serait susceptible d'être touchée, ça réclame une sacrée gestion des populations à risque. On peut remercier le corps médical d'avoir tiré la sonnette d'alarme rapidement, suite aux premiers décès... Aucun politique, même le plus aguerri aux mensonges d'état, n'aurait pu nous cacher ça...

Ah oui, je ne vous ai pas dit : les "visionneurs" (c'est ainsi qu'ils les nomment dans leur jargon - je ne trouve pas ça très scientifique, mais enfin...) décèdent tous à la 38ème redondance du rêve, quel que soit leur âge. Et ceux-là ne reviennent hanter personne. On ne s'explique pas les 39 occurences, pas plus que mon heure de réveil, 07:23. Il y a tellement de choses qu'on ne comprend pas.
Les chiffres sont là : 32 millions de personnes à travers le monde ont fait un rêve mortel en moins de six mois, plus d'un demi-milliard seraient menacées : c'est la panique totale en Afrique, en Inde, les frontières navales et aériennes ont été bloquées... Vous commencez à prendre l'ampleur de la chose.

Depuis deux nuits, un autre rêve précède celui qui me réveille, ça bouscule un peu mon encéphalogramme paraît-il - ce serait une nouveauté, quelque chose qui n'aurait été référencée nulle part ailleurs : je me promène dans les jardins de l'institut en plein jour, quand je vois un homme d'âge moyen (Jonathan Richardson) courir vers moi en faisant de grands signes. Il est habillé comme un patient et l'effroi se lit dans ses yeux mais je ne peux pas entendre ce qu'il me dit. Je me rends compte que quelque chose le suit, quelque chose qui flotte dans les airs et qui contraste abominablement avec l'environnement : c'est une silhouette vaguement humaine avec un masque terrifiant, une forme assez féminine qui semble focalisée, non pas sur cet homme... mais sur moi.

Les médecins ignorent si ça a un rapport direct avec les événements mais on m'a classée "Top Priorité" depuis 48h00. Je vais recevoir la visite d'une dame (Whitney Salmon) qui va m'apprendre à lire sur les lèvres. J'espère juste que les gars de la vision parlent ma langue.
Le temps presse. Ce matin, c'était ma 25ème vision.
(Script original)