Cinejeu.net : devenez producteur de cinéma ! (jeu en ligne gratuit de simulation économique)

Les Films du Corbeau présente
Rouge sur fond blanc

« Nous devrions rentrer, Ivan !  

- On a encore une heure ou deux devant nous.  

- Si le vent se lève, nous aurons du mal à repartir.  

- Hélène ! On est presque à la crête. On ne reviendra plus jamais ici ! Profites, bon sang ! »  

Une fois de plus, elle passe pour la rabat-joie. Mais c’est Ivan (Igor Berbatov) qui est imprudent. Comme toujours. L’alpiniste, c’est Hélène (Suri Pendragon), le navigateur, c’est Ivan. Elle frémit d’excitation encore plus que lui à l’idée de parvenir au sommet de ce mur, d’enfoncer son piolet dans la dernière veine rocheuse avant d’atteindre la crête et de découvrir le panorama inédit et crépusculaire qui les attend. Mais elle reconnaît également cet amas nuageux qui emplit le ciel, et sait qu’un grain va leur tomber dessus avant qu’ils atteignent la chaloupe. Mais une fois de plus, elle n’a pas la force de contredire Ivan dans son optimisme enfantin. C’est aussi pour cela qu’elle l’aime et qu’elle a accepté de le suivre dans ce voyage au-delà des limites…  

La crête tient ses promesses, et le couple amoureux se serre l’un contre l’autre en observant l’enchevêtrement des dunes de neiges et de glaces, la coulée du glacier sillonner la vallée blanche et venteuse, les nuées de manchots et d’otaries s’ébattre sur la plage rocheuse en contrebas. C’est un moment unique. Mais rapidement, il est temps de repartir. Hélène regarde le ciel s’assombrir et sait bien qu’ils ont passé une ou deux heures de trop sur cette île.  

Le vent se lève et leur cingle le visage, ralentissant leur progression sur la roche glissante et coupante. La pluie et la grêle les réceptionnent alors qu’ils parviennent au terrain praticable. Cette terre d’Eden se transforme en enfer lorsque les bourrasques et les nuées s’abattent sur eux. Hélène se retient de laisser échapper sa colère sur Ivan. Elle aurait dû lui dire non.  

Lorsqu’ils parviennent à la plage, ils se figent d’effroi : la chaloupe a disparu. Le vent l’a littéralement balayée. Ils sont contraints de se rabattre sur les bâtiments qui abritèrent un jour l’équarrissage des baleines. Ils ne sont plus qu’une ruine de tôle vibrante et de parois fragiles, de vitres brisées et d’amoncellements de pièces métalliques rouillées. Ils se réfugient dans l’ancien dortoir où ont été laissés à l’abandon quelques matelas rongés d’humidité. Ils se blottissent sur l’un d’entre eux, l’un contre l’autre, écoutant le vent rugir contre la toiture et les vitres disjointes.  

Ils sont sonnés. La chaloupe a disparu. Ils n’ont plus moyen de partir.  

« Dès que le vent sera tombé, on ira voir dans les autres baies. Elle a dû être renversée et repoussée par le courant. »  

Ivan ne renonce jamais à voir une lueur d’espoir et Hélène ne répond pas. Si le vent a bien repoussé la chaloupe, il y a de fortes chances qu’il l’ait rabattue contre les rochers plutôt que dans une autre baie. La chaloupe a dû couler à pic, et ils sont enfermés sur l’île, sans moyen d’appeler du secours. Ils n’auraient jamais dû venir sur cette île, d’ailleurs. C’est interdit, c’est une réserve naturelle. Mais Ivan l’a une fois de plus convaincue. « Personne ne le saura jamais. On ne restera que quelques heures. Une chance unique dans notre vie… » Ivan est une source d’énergie et Hélène se trouve faible dans son amour pour lui. A cause de lui, ils se retrouvent seuls sur cette île abandonnée des humains depuis la fin des chasses à la baleine, seuls au cœur de l’Atlantique, à des milliers de milles de la plus proche terre habitée. Elle préfère s’emmurer dans le silence.  

 

 

Ils n’ont pas retrouvé la chaloupe. Hélène n’est pas parvenue à retenir sa colère de s’abattre sur Ivan. Elle voit dans son regard le poids de la culpabilité, même s’il ne l’admettra jamais.  

« C’est une réserve naturelle, il doit forcément y avoir une base scientifique. Il faut qu’on la trouve.  

- Ivan, l’île fait 150 kilomètres de long, une trentaine de large. Elle est faite de falaises et de glaciers. Cela peut nous prendre des semaines, et nous n’avons que trois barres de céréales et une pomme pour nous nourrir. Il y a plus important. »  

Il est agacé par son ton d’institutrice revêche. Mais c’est elle qui a raison. Il y a une profusion de manchots et d’otaries sur cette île. Est-ce que ça se mange ? Quel goût ont-ils ? Ils n’ont jamais chassé de leur vie. Ils préfèrent se concentrer sur l’aménagement d’un espace de vie dans le bâtiment des chasseurs de baleine. Un vieux poêle peut être remis en état. Ils amassent du bois et rabattent des matelas autour de lui. L’action leur permet d’oublier leur angoisse et la colère. Ivan parvient même à faire rire Hélène.  

« Un cargo passera avant la fin de la semaine, tu verras. »  

Elle lui sourit. L’automne tire sur sa fin, et elle pense qu’il ne passera plus personne avant la fin de l’hiver. Mais elle ne lui dit rien, cela ne servirait à rien.  

 

 

Munis chacun d’une barre à mine trouvée dans le hangar d’équarrissage, ils approchent des manchots en silence. Hélène tremble, elle n’a jamais été à l’aise avec la race animale, qu’importe sa forme. Ivan avance le premier et abat son arme. Il fracasse la tête d’un manchot, les autres pépient avec angoisse. Mais ils ne sont pas rapides et Ivan parvient à en assommer deux autres avant qu’ils ne plongent en mer. Certains d’entre eux avancent vers Hélène en pépiant avec fureur. Elle prend peur et s’éloigne en courant.  

Ils ont fait bouillir les trois manchots dans de l’eau avec les ustensiles qu’ils ont pu récupérer dans la cuisine du réfectoire. La viande a un affreux goût de poisson et est plus nerveuse que nourrissante. Trois manchots ne suffisent pas à étancher leur faim, il leur en faudrait plus du double.  

 

 

Deux semaines ont passé et Hélène n’ose plus sortir du bâtiment. A chaque fois qu’elle s’aventure dehors, les animaux la pourchassent. C’est incompréhensible. Ils semblent l’avoir prise pour cible, alors que c’est Ivan qui les approche et les tue. Les manchots ne sont pourtant pas carnassiers. Un couple d’otaries l’a pourchassée jusqu’à la porte du hangar avec hargne. Les otaries sont presque de taille humaine et d’une force terrible, elles en feraient une charpie. Ivan n’a pas encore trouvé le moyen d’en tuer une, mais s’y prépare.  

Plus grave encore, Hélène s’est emmurée dans le silence. L’angoisse de leur situation certes, mais cette curée des bêtes contre elle la traumatise et la paralyse.  

« C’est peut-être une odeur que tu dégages et qu’ils perçoivent », tente Ivan. Mais Hélène ne répond pas, elle pense que la raison est ailleurs.  

Ivan se fatigue vite. Il passe ses journées à chasser et peine à ramener suffisamment de nourriture pour tous les deux. Hélène s’occupe de sécher les faibles rations supplémentaires qu’il parvient à obtenir pour remplir leurs réserves, mais l’hiver approche et leurs provisions sont très faibles. D’autant plus que les rats en ont dévoré une grande portion avant qu’ils apprennent à les protéger.  

Hélène s’enferme de plus en plus en elle-même et mange moins. Elle prétend avoir moins faim que lui, mais il sait que la faim les dévore tous les deux, elle est au centre de leurs préoccupations à chaque instant. Il pense qu’elle se sacrifie pour qu’il garde ses forces. A ce rythme, elle ne passera pas l’hiver. Et lui peut-être pas plus.  

 

 

Hélène ne trouve pas le sommeil. La faim et l’angoisse lui tiraillent le ventre. Elle se lève et sort. Ce n’est que la nuit qu’elle ose s’aventurer dehors. C’est à ces heures sombres que les bêtes semblent l’oublier. Elle grimpe une colline glacée et plonge son regard dans l’étendue bleutée et inerte de vie. Seul le souffle du vent anime ce paysage désolé. Elle se sent happée par la rigueur de la nature brute. Hypnotisée. La rudesse des glaces et des neiges lui fait écho autant qu’elle la terrifie. Elle se sent en territoire de plus en plus familier. Quelque chose l’attire. C’est un appel primaire, sensoriel, immémorial. Son instinct de survie lui indique que son enveloppe humaine est trop faible pour ce cadre animal et minéral, et qu’elle pourrait s’en échapper.  

Sans s’en rendre compte, elle s’est approchée de la plage et se retrouve face à une colonie d’otaries ensommeillées. L’une d’elle relève la tête et la regarde. Elles se fixent l’une l’autre. Mais l’animal ne charge pas. Quelque chose de différent s’est installé.  

 

 

Ivan revient de sa journée de chasse troublé. Il retrouve Hélène blottie dans ses vêtements sales. Elle n’a pas quitté le matelas de la journée. Alors qu’il commence à dépecer ses manchots, elle se lève pour venir l’aider. Ils travaillent en silence. Ivan cherche le regard de sa compagne, mais elle garde les yeux tournés vers son labeur.  

« Il doit y avoir un nouvel animal. Un prédateur. Parce que j’ai retrouvé une otarie à moitié dévorée aujourd’hui. »  

Hélène ne répond pas. L’a-t-elle-même entendu ?  

« Un éléphant de mer, peut-être. Tu sais ce que ça bouffe, les éléphants de mer ? »  

Elle secoue la tête. Non, elle ne sait pas.  

 

 

Les semaines ont passé et l’automne touche à sa fin. La température est largement au-dessous de zéro et le vent cingle l’île plus fort et plus fréquemment qu’avant. Ivan soulève ses vêtements sales et observe ses os saillir à chaque jointure. Ses muscles ont fondu. Il est affamé et perclus de fatigue. Cette nuit, il s’est levé pour tenter d’apercevoir ce prédateur qui mange les otaries dans leur dos depuis plusieurs semaines. Mais il ne l’a pas vu.  

Il n’arrive pas à trouver l’énergie d’aller chasser et reste prostré près du poêle. Hélène est là aussi, assise les bras autour des genoux, les yeux plongés dans les flammes du poêle. Elle ne lui a pas parlé depuis deux jours. Il la regarde avec colère. Elle n’a rien fait du tout depuis deux jours, si ce n’est fixer ce tuyau de poêle et manger à peine quelques bouchées de manchot. Elle semble avoir renoncé. Pourtant, elle a bien meilleur mine que lui.  

 

 

 

BO - https://www.youtube.com/watch?v=IGyj9sMwd38  

 

Ivan se réveille en sursaut. La faible lueur bleuté qui perce à travers les vitres sales lui indique que le jour n’est pas encore levé. Hélène n’est plus allongée à ses côtés. Il se lève et s’emmitoufle dans sa couverture de survie. Il la cherche dans tout le bâtiment, mais ne la trouve pas. Il sort. Le vent glacé lui fouette le visage. Mais il s’aventure tout de même dehors. Lorsqu’il approche de la plage, il se fige d’effroi. Les otaries sont éveillées et encercle une forme humaine. C’est Hélène, penchée en avant. Des trainées de sang souillent la neige autour d’eux. Mon Dieu, les bêtes sont en train de dévorer sa compagne !  

Il se précipite, mais s’interrompt soudain. Hélène s’est redressée, elle n’est pas morte. Pourtant, elle est couverte de sang de la tête aux pieds. Mais ce n’est pas son sang : elle est en train de dévorer une otarie à pleines mains, les entrailles fumantes de l’animal répandues devant elle. Les autres otaries sont étonnamment silencieuses et se sont regroupées pour assister à se spectacle avec une étonnante quiétude.  

« Hélène ? »  

Sa voix est râpeuse, tendue par l’incompréhension et la peur. Hélène se retourne et pose son regard sur lui. Son sang se fige dans ses veines : ce n’est pas Hélène. Ce n’est pas son regard, il est dur et glacé. Ce n’est pas Hélène, c’est autre chose. Quelque chose qui n’a rien d’humain. Les otaries tournent également la tête dans sa direction. L’une d’elle commence à grogner. Ivan recule.  

 

 

********************************  

 

Un film de Dante MACHINE  

Sur un scénario du Corbeau, dont le contexte est emprunté à celui du roman Soudain, seuls d’Isabelle Autissier. Mais le déroulement de l’intrigue n’a rien à voir avec celui du roman.  

 

Avec  

Suri PENDRAGON - Hélène  

Igor BERBATOV - Ivan  

 

Sur une musique de Joan JODOROWSKY  

BO - https://www.youtube.com/watch?v=IGyj9sMwd38  

Scénario : (2 commentaires)
une série Z d'horreur de Dante Machine

Igor Berbatov

Suri Pendragon
Musique par Joan Jodorowsky
Sorti le 12 octobre 2035 (Semaine 1606)
Entrées : 19 192 546
url : http://www.cinejeu.net/index.php?page=p&id=54&unite=fenetre&section=vueFilm&idFilm=23425