Cette soirée aurait pu être une simple soirée sans accroc, une soirée dont on a l’habitude mais cette soirée se transforma en quelque chose de totalement désordonné, de nouveau, de différent. Qui aurait cru ça ? Personne je pense…  

15h, comme chaque vendredi, Matthieu (Jim Suter) sort de son lycée avec ce soulagement de ne plus revoir une salle de classe avant le mercredi suivant. Ce professeur d’histoire aime son métier mais n’aime pas ses « clients » comme il aime si bien le dire. Chaque cours pour lui est une torture intellectuelle, un supplice royalement criminel. Alors, quand il passe ce portail d’un vert sombre, sans saveur, sans vie, il est heureux. Il espère simplement voir un jour le portail blanc d’un autre établissement, voire même rouge, bleu ou toute autre couleur loin de ce vert immonde. Il fait le chemin à pied, parcourant ainsi les mêmes cinq rues qu’il a l’habitude d’emprunter pour rejoindre son domicile où l’attend comme chaque vendredi Anna (Edith Mayer), sa femme depuis peu.  

Il faut avouer que les voir mariés est assez compliqué. Tellement de choses les séparent et pourtant, on se tue à dire que les opposés s’attirent, ils en sont la preuve vivante. Cette jeune écrivaine d’une trentaine d’années aime vivre dans son monde, un monde tellement lointain que nul ne peut y poser le pied. Elle écrit toute la journée, oubliant parfois de manger, de pisser, de vider la machine, de sortir du congélateur le gigot du soir. En somme, elle est loin d’être une femme d’intérieure. Pourtant, Matthieu lui a déjà conseillé de prendre un petit bureau à quelques rues de leur domicile mais elle refuse catégoriquement, préférant la compagnie de Gribouille, son chat.  

Mais ce jour-là, les choses ne sont pas pareilles. Anna est aux fourneaux, ayant laissé loin d’elle sa machine à écrire archaïque. Matthieu, en rentrant, est surpris de voir sa femme autant agitée.  

- Mais que t’arrive-t-il ? Tu es enceinte ?  

Anna hausse les épaules, le traitant de « con » et lui rappelant que ce soir, sa sœur vient avec son compagnon. Matthieu se tape la tête avec la paume de sa main, ayant complètement oublié ce repas fort ennuyeux qui l’attend. Il faut dire que notre professeur est loin de ne pas aimer sa très jeune sœur mais « loin des yeux, proche du cœur » est un dicton qui lui va parfaitement.  

- Tu as fait quoi de bon ? Un gigot ?  

- Des lasagnes végétariennes pour ta sœur et des normales pour nous !  

Oui, la sœur de Matthieu est végétarienne, au plus grand désespoir d’Anna qui n’arrive pas à passer un repas sans un morceau de viande.  

La sœur de Matthieu, c’est Caroline (Cécile Bodin). Caroline est une jeune étudiante en arts appliqués ou « une artiste incomprise » comme elle aime si bien le dire. Depuis toujours, elle aime le dessin, le fusain, les pinceaux. Aujourd’hui, elle expose des œuvres dans de petites salles pour toucher deux sous par ci par là. Ce choix de carrière n’a jamais plu à son frère. Il la voyait plus dans le commerce ou alors dans un métier plus « bureaucratique » mais contre toute attente, elle a choisi d’être « libre comme l’air ». Depuis quelques mois, elle sort avec Gontrand (Seth Brandl), un jeune professeur de musique et surtout collègue de Matthieu. Même s’ils s’adressent que rarement la parole pour ne pas dire jamais, ils s’acceptent pour le bien de Caroline.  

19h tapante, Caroline sonne à l’appartement 4 de l’immeuble situé rue des torturés. Matthieu ouvre, embrasse sa sœur et se surprend de la voir seule.  

- Gontrand nous rejoindra un peu plus tard, il a été retenu pour un cours particulier de guitare.  

- Quelle chance d’avoir un prof particulier, lui lance Anna en lui faisant une bise à la volée.  

- Toujours est-il qu’il n’est pas à l’heure !  

- Arrête de faire ton grognon, frangin, ça ne te va pas…  

Matthieu prend mal la réflexion et part s’enfermer quelques minutes dans son bureau prétextant « une pile de copies à corriger pour être tranquille ». Caroline et Anna restent dans la cuisine seules.  

- Alors, avec Gontrand, c’est l’amour fou ?  

- Je dois avouer que oui. Nous vivons un amour totalement décalé et ça me va parfaitement.  

- En même temps, deux artistes…  

- Tu ne vas pas me faire un discours à la Matthieu !  

- Tout de suite…  

Des éclats de rires se font entendre dans la cuisine au moment où Matthieu daigne retrouver les deux femmes.  

- Vous rigolez bien sur mon dos ?  

- Tu n’es pas le centre du monde, frangin !  

Caroline rejoint le salon, les mains occupées par des bols pour l’apéritif. Matthieu suit le mouvement, suivi par Anna. L’homme de la maison sert les apéritifs. Un whisky pour lui, avec un « caillou d’eau », un Porto pour Anna et un Martini pour Caroline. Mais voilà que cette dernière préfère une boisson sans alcool.  

- Tu es malade ? Tu oses faire l’impasse sur ton apéritif préféré ?  

Caroline insiste, demandant un cola ou une boisson plate. Anna lui sert un verre de cola sans poser la moindre question, même si cela intrigue son frère. Anna file à la cuisine finir la préparation de ses plats.  

Matthieu ne dit rien, regardant le fond de son verre. Caroline regarde l’immense bibliothèque de son frère. Aucun mot ne sort de la bouche de l’un ou de l’autre. Anna fait un saut rapide dans le salon.  

- Il y a une de ces ambiances ici…  

Caroline étouffe un rire au moment où Anna repart. Matthieu lève les yeux et se retourne vers sa sœur.  

- Bon, pourquoi tu as pris un cola ?  

- Tu me promets d’être calme ?  

Matthieu acquiesce de la tête.  

- Tu vas être tonton…  

L’homme ne manque pas de s’étouffer avec le fond de gorgée encore présent dans sa bouche.  

- Je vais être quoi ? hurle-t-il, affolant Anna par la même occasion.  

- Tonton… Tu vas être tonton…  

- Mais tu comptes le garder ? Tu es inconsciente ma pauvre fille !  

- Matthieu ! Arrête un peu ! C’est une bonne nouvelle ma chérie. Tu le sais depuis quand ?  

- Un mois… Je ne savais pas comment le dire...  

- Avec des mots et un minimum de conscience ! renchérit Matthieu.  

Au même moment, Gontrand sonne à l’interphone.  

- Tu veux rentrer, salopard ! crie Matthieu.  

Anna s’agace de la réaction de son mari et lui demande de se calmer dans son bureau. Anna lui ouvre et laisse entrer le jeune homme. Il sent une ambiance pesante.  

- Que se passe-t-il ? demande-t-il.  

- Caroline nous a annoncé la bonne nouvelle ! Félicitations !  

- Quelle bonne nouvelle ?  

- Parce qu’en plus, il n’est pas au courant ! crie Matthieu en sortant de son bureau.  

Caroline est confuse, ne sachant pas où se mettre. Gontrand reste coi, s’assoit et tente de comprendre.  

- Ce que tu ne sais pas, c’est que tu vas être père !  

- C’est une blague, hein ? Non ?  

- Non… je suis enceinte…  

Gontrand est partagé entre la joie intérieur et la fureur extérieure. Face à un Matthieu très remonté, il ne sait comment s’exprimer. Anna tente de temporiser mais les choses ne vont pas s’arranger avec le temps, d’autant que ce ne sera pas le seul sujet de discorde entre les quatre adultes…