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Les Films du Corbeau présente
Kimpa la Prophète

São Salvador, royaume de Kongo, 1706  

 

Lorenzo da Lucca (Younes Guerram) était en sueur sous sa robe de bure, qui lui serrait le cou. La nausée vrillait ses entrailles. Pourtant, les murs de pierres lourdes du dispensaire les protégeaient de la chaleur étouffante. Mais il aurait préféré étouffer plutôt qu’être là, dans la salle de réfectoire transformée en tribunal. Une parodie de tribunal.  

L’ambassadeur du roi Pierre II du Portugal était présent et posait son regard sur lui et son comparse, Bernardo da Gallo. Les deux missionnaires allaient bientôt devoir rendre leur jugement, et Lorenzo ne savait pas encore ce qu’il allait décider.  

Comme si cela avait de l’importance. Il n’était pas là pour décider quoi que ce soit. On attendait delui le jugement que son propre roi lui avait intimé de rendre. Mais il ne voulait pas de cette sentence…  

Ses pensées furent interrompues par la double-porte qui s’ouvrit pour laisser entrer la prisonnière. Et Kimpa (Laurie Patton) entra la tête basse. Sa vision révulsa le cœur du religieux. Il ne l’avait jamais vue autrement que le menton haut et fier. Mais elle avait été battue, et affamée depuis plusieurs jours. Il aurait voulu crier…  

Les gardes l’assirent sur un siège. Elle ne regarda rien d’autre que ses pieds nus et sales. Bernardo frappa sur la table en bois. Lorenzo allait devoir s’exprimer. Allait-il condamner cette femme au bûcher ? Celle qui hantait ses esprits depuis ces derniers mois ?  

 

 

*** KIMPA LA PROPHETE ***  

Un film de Kelvin Pitbull  

 

 

Quelques mois plus tôt, dans un quartier populaire de São Salvador  

 

Les hommes et les femmes, vêtus de leurs tissus râpeux, s’empressaient les uns contre les autres. La place du marché était trop étroite pour les accueillir tous. Ils devaient être plus d’une centaine.  

Lorenzo restait masqué par la capuche de sa soutane, appuyé contre la poutre de l’étal qui le protégeait du soleil accablant. A quelques dizaines de mètres devant lui, sur une estrade qu’utilisaient habituellement les orateurs du marché, elle se tenait debout, fièrement, les bras levés vers le ciel en agrippant des deux mains une étrange pierre massive et à la forme vaguement arrondie. Elle la tendait devant elle comme s’il s’agissait d’un objet précieux et ses spectateurs scandaient des vivas à sa vue.  

Elle paraissait très jeune, sans doute moins de vingt ans. Pourtant son aplomb était surprenant, électrisant. Sa voix s’éleva, claire et tonnante, et le silence se fit autour d’elle.  

« Criez, mes frères, mes sœurs, criez ! Car c’est le crâne de notre Christ qui vous regarde… »  

Des hurlements de joie répondirent à son appel.  

« Dieu m’a livré la tête pensante de notre Christ pour vous dire qu’il est à nos côtés. Criez ! »  

Ses fidèles lui obéirent. Lorenzo ne savait pas si tous prenaient ses paroles au pied de la lettre, s’ils croyaient vraiment que cette pierre difforme était un crâne. Il en doutait. Leur frénésie était ailleurs.  

« Ne croyez pas ce qu’on vous a dit. Jésus-Christ était noir, sa peau était aussi obscure que la vôtre. Jésus a souffert comme nous et se souvient du fouet des blancs. Ne laissons plus faire cela ! »  

Nouveaux cris de la foule. Il était étonnant pour le religieux portugais de regarder cette femme à la peau noire, vêtue de cette tenue traditionnelle foisonnante de couleurs et le visage peinturluré de poudre jaune scander des paroles qui n’étaient pas si éloignées de celles des plus rigides capucins de son ordre… Même si la forme du message était toute autre.  

« Jésus était noir de peau. Ses apôtres étaient noirs de peau. Marie était noire de peau. Ils sont des Nekongo, comme vous. Dieu lui-même m’a confié que sa peau n’était pas claire ! Alors pourquoi l’homme blanc asservirait ceux qui sont à l’image de Dieu ? Ne laissons plus faire cela ! »  

Après ces dernières paroles, deux hommes commencèrent à tambouriner sur des instruments à peau tendue. Le rythme de leurs coups prit une cadence rapide, et leurs bruits se transformèrent en une étrange musique animale. L’oratrice remua au son de ces vibrations et, peu à peu, entreprit une danse déchainée, désordonnée mais hypnotique. Elle était entrée en transe. La foule hurlait une fois de plus.  

Lorenzo commença à se sentir mal à l’aise. Les citadins étaient en liesse, et bientôt leur animation pourrait devenir animosité, se retourner contre lui et sa peau blanche, si cette femme continuait à invectiver sa race. Il préféra s’éloigner, non sans difficulté, en se frayant un passage parmi la foule compacte. Alors qu’il disparaissait à l’autre bout de la place, la musique déclina et il entendit une dernière fois tonner la voix de Kimpa Vita.  

« Dieu punira les hommes blancs s’ils persistent à nous désunir. Ne laissons plus faire cela ! »  

 

 

Dans le réfectoire de la mission, Lorenzo chassait les mouches de son écuelle et tentait de finir son plat de haricots. Mais son esprit était ailleurs. Cette femme l’avait étonné. Dans les tréfonds de son âme, il était conscient d’envier quelque peu la facilité avec laquelle elle savait porter sa voix, et avec quelle aisance elle recevait la ferveur d’une centaine de fidèles en quasi-transe. Qu’il eut voulu avoir ce même don dans sa mission d’évangéliste…  

« Hérésies ! »  

Les paroles de ses voisins de table le ramenèrent à son écuelle. Il était attablé auprès de trois de ses comparses religieux, à qui il avait raconté son aventure du matin. Kimpa Vita faisait de plus en plus parler d’elle dans les rues de São Salvador, mais aucun d’entre eux ne l’avait encore vue, ni entendue. A part Lorenzo, qui les écouta.  

« Quelle perte de temps ! Depuis plus de deux siècles que éduquons ces sauvages, il suffit qu’une de leurs négresses s’égosille presque nue dans les rues pour leur faire oublier tout ce qu’on leur a enseigné.  

- Il suffit de les attiser avec un morceau de chair fraiche pour qu’ils se transforment en bestiaux bêtes à manger du foin.  

- Bientôt, on les retrouvera agenouillés devant des grigris, comme avant notre arrivée.  

- Autant donner des truffes à un chien… »  

Lorenzo reprit sa place dans la discussion.  

« Vous vous trompez. Elle se porte en prêtresse du même Dieu que nous. Elle est baptisée, et elle connaît les Ecritures.  

- Mais elle Les pervertie ! Elle Les transforme en mascarade.  

- L’enveloppe est scandaleuse, je le reconnais. Mais elle veut unir les siens, elle souhaite la fin de la guerre civile. Le fond de sa pensée…  

- …est diablerie ! Ne vous laissez pas berner par son « enveloppe », comme vous dites, frère Lorenzo. C’est une sorcière, qui veut les faire tous retourner dans la brousse. C’est un danger.  

- Un bruit incessant dans les rues de la ville. Qu’il faut faire taire. »  

Lorenzo cessa de répondre. Ses frères capucins manquaient d’écoute. Ils n’avaient pas entendu cette femme. Derrière le grotesque de la cérémonie à laquelle il avait assisté, il avait entendu un chant de révolte. Une révolte qu’il avait plus ou moins le sentiment de comprendre. Il lui fallait en savoir plus.  

 

 

Lorenzo ne connaissait pas cette partie de la ville, et il commençait à regretter de s’y être aventuré à une heure si tardive. Le soleil était bas dans le ciel, et bientôt la nuit s’installerait. Les ruelles pauvres du quartier n’étaient pas munies de flambeaux, et la garde civile n’y patrouillait plus. Sa soutane ne serait pas une protection si les habitants se prenaient à le regarder d’un mauvais œil.  

Il soupira de soulagement en apercevant la façade de l’église qui dépassait au-dessus des toits de chaume. Kampa Vita et ses fidèles avaient investi les ruines de l’ancienne cathédrale, et Lorenzo fut étonné par leur nombre. Le bâtiment éventré n’était pas assez grand pour les accueillir tous, plusieurs d’entre eux campaient tout autour de sa façade.  

Lorsqu’il tenta de s’avancer au milieu d’eux, des visages inamicaux se tournèrent vers lui. Plusieurs hommes, et plusieurs femmes se redressèrent pour lui barrer le chemin. Le religieux était intimidé, mais ne le montra pas.  

« Je viens en paix.  

- Tu n’as rien à faire là, missionnaire.  

- Je veux m’entretenir avec Kimpa Vita.  

- Notre prêtresse n’a que faire de tes paroles. Elle les a trop entendues. Et nous aussi.  

- Laissez-le venir. »  

Ils se retournèrent au son de cette voix de femme. Kimpa Vita se tenait contre un mur effondré, entourée d’une couverture de laine bariolée. Lorenzo ne l’aurait pas reconnue. Il ne l’avait vue que fardée d’une poudre qui lui recouvrait le visage. Elle paraissait plus petite au milieu des siens. Elle se détourna et disparut à l’intérieur de la cathédrale. Ses fidèles s’écartèrent pour ouvrir la voie au religieux. Lorenzo s’avança.  

Kimpa l’attendait à l’intérieur, assise près d’un feu de camp. Autour d’elle, se tenaient silencieuses plusieurs femmes aux vêtements souillés, et quelques hommes pas mieux lotis. Ils regardèrent le religieux s’asseoir face à la prophétesse, de l’autre côté du feu. La jeune femme paraissait encore plus jeune, comme sortie de l’enfance depuis peu. Les anneaux à ses oreilles reflétaient la lueur des flammes. Ses yeux en amande étaient noirs, mais pas belliqueux. Elle portait un maquillage tribal plus subtil que sur la place du marché, qui constellait sa peau de lignes et de points dorés. Le religieux ne put s’empêcher de la trouver belle.  

« Que me veux-tu, Capucin ? »  

Elle connaissait donc son ordre. Et elle était lettrée. Lorenzo se demandait quel pouvait être le passé de cette femme mystérieuse.  

« Je veux entendre votre message. Il est méconnu des membres de notre ordre. Je crois que nous devrions ouvrir un dialogue.  

- Tu n’es donc pas Portugais ?  

- Si.  

- Alors tu es différent des tiens. Vous n’avez pas pour habitude de consulter les Nekongo. »  

Quelques femmes autour d’elle acquiescèrent à ses paroles en élevant la voix. « Amen ». Lorenzo poursuivit, même s’il redoutait la réponse à sa question.  

« Que nous reprochez-vous ?  

- Vous avez investi nos terres. Vous avez décapité notre roi Nvita a Nkanga pour lui supplanter un usurpateur. Vous avez amené la guerre. Et vous nous avez réduits à l’état de bêtes en nous entrainant, les chaînes aux pieds, par-delà les mers. Vous êtes le fléau des Nekongo.  

- Je peux comprendre votre colère. Pourtant, ce n’est pas le but que nous poursuivons. Pas tous, en tout cas. »  

Kimpa posa ses yeux dans les siens. Elle semblait fouiller son âme. Un dernier rayon de soleil, par-dessus la muraille, vint frapper le visage du religieux.  

« Tes yeux semblent purs, missionnaire. Mais nous avons vu trop de pureté ensanglantée par les tiens pour que je puisse m’y fier. Et pourtant, je vois que tu es différent. »  

Le soleil disparut derrière le mur, laissant l’obscurité s’appesantir. Kimpa Vita se redressa lentement et tourna les talons pour disparaître derrière ses fidèles. Lorenzo reporta son regard surpris sur le visage d’une vieille femme qui n’avait pas bougé à son départ. Celle-ci répondit à sa question muette.  

« Notre nganga est partie mourir. Elle va s’entretenir avec Dieu, et elle ressuscitera dans deux jours. Alors tu pourras revenir, missionnaire. Elle veut continuer à te parler. »  

 

Alors qu’il revenait à sa mission, Lorenzo da Lucca était ébranlé. Il revoyait le regard de cette jeune femme posé sur le sien. Il n’arrivait pas à se faire une opinion claire. Elle semblait avoir la tête résolument sur les épaules. Mais elle s’entourait d’un cérémonial superstitieux qui avait toute l’apparence de la fable.  

Après tout, à quoi reconnaissait-on un réel prophète ?, se demanda Lorenzo. Il voulait la connaître davantage. Mais il redoutait son charisme, qui pouvait leurrer ses interlocuteurs. Et qui animait une légère flamme dans ses entrailles quand elle posait son regard sur lui…  

 

 

**********************  

 

Un film de Kelvin PITBULL  

Sur un scénario original du Corbeau, d’après la vie de Kimpa Vita  

 

Avec  

Younes GUERRAM - Lorenzo da Lucca  

Laurie PATTON - Kimpa Vita  

 

Sur une musique de Keith FITZPATRICK  

Scénario : (3 commentaires)
une série Z historique de Kelvin Pitbull

Younes Guerram

Laurie Patton
Musique par Keith Fitzpatrick
Sorti le 14 février 2037 (Semaine 1676)
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