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Les Films du Corbeau présente
Le Procès du singe

D’après une histoire vraie  

 

 

Dayton, Tennessee – juillet 1925  

 

L’homme s’avança au centre de la salle et, du regard, fit le tour de l’assemblée avant de prendre la parole. Le juge l’avait autorisé à retirer sa veste. Les autres hommes de la cour avaient suivi son exemple, et l’auditoire tout en bretelles donnait à ce procès une semblance de décontraction qui était bien éloignée de la réalité. Mais la chaleur était accablante, et seules ces dames s’étaient vues contraintes de suffoquer en silence.  

L’homme était bien connu de l’assemblée. William Jennings Bryan (Robert Angier) plaidait au tribunal de Dayton depuis près de vingt ans. Il était une figure notable de la ville et n’avait plus de soucis à se faire concernant la respectabilité de sa réputation. Il termina son tour d’horizon en croisant le regard de la jeune accusée. Rosemarie Scopes (Luna Delange) se tenait droite sur sa chaise, les sourcils arqués dans une expression de crainte. Au fond de lui-même, Bryan avait du respect pour la jeune femme. Son crime n’était pas bien grand et il ne la tenait pas pour une criminelle. Mais elle avait bravé un interdit et ébranlé les piliers les plus solides de la société américaine. En tant que procureur, chargé de l’accusation, il se devait de ne pas perdre de vue l’enjeu de ce procès. Si besoin était, il lui suffisait de jeter un œil sur les deux rangées remplies de journalistes venus des quatre coins du pays pour s’en rappeler.  

Le juge toussota pour faire taire les chuchotements de la salle et inviter Bryan à prendre la parole.  

« J’appelle à la barre ma propre fille, Grace Dexter Bryan. »  

 

 

 

Six mois plus tôt  

 

Lorsque William Bryan franchit le perron de sa porte, il fut happé par la douce chaleur qui régnait dans son domicile, presque autant que par le gourmand fumet du déjeuner que la cuisinière avait préparé. Sa jeune épouse l’accueillit, docile et exemplaire, en s’avançant vers lui et en l’aidant à retirer sa veste sur laquelle perlaient les flocons de neige. L’étrange bruit qui s’élevait du salon ne le choqua pas sur le moment.  

« Il fait un froid de canard dehors », dit-il sans grande imagination.  

Son épouse le mena jusqu’à la table de la salle à manger, où le couvert était dressé pour trois. Des cris d’animaux retentissaient dans la pièce d’à côté, mais Bryan ne releva pas encore. Sa femme émit pourtant le premier reproche, un peu faible.  

« Grace, cessez vos singeries je vous prie ! »  

Bryan s’installa à sa place, en bout de table, et posa distraitement les yeux sur les titres du journal que son épouse avait déposé près de son assiette. Elle l’interrogea sur sa matinée, qu’il avait passée au tribunal. Lui-même ne fut pas très attentif à sa propre réponse, tellement elle était emprunte de quotidien. Mrs. Bryan éleva à nouveau, trop légèrement, la voix.  

« Grace, je vous prie de cesser et de venir à table ! »  

Les grognements de l’enfant résonnèrent enfin dans l’oreille de son père. Bryan se retourna sur son siège et regarda par la porte ouverte du salon. Sa plus jeune fille, Grace (Lou Muller), sautait sur le canapé en velours dans une posture étrange, et en émettant des grognements sauvages. Le terme utilisé par sa mère, « singeries », était celui qui convenait : l’enfant mimait un chimpanzé, ou une bête similaire.  

« Grace Dexter Bryan ! Voulez-vous cesser séance tenante ! »  

La voix paternelle, forte et sans réplique, eut plus d’effet que celui de son épouse et l’enfant s’interrompit dans une posture ridicule, dos voûté et bras ballants.  

« Pouvez-vous m’expliquer ces simagrées ?  

- Je faisais le singe…  

- C’est tout à fait immonde et inapproprié pour une jeune fille comme il faut. Cessez immédiatement, et rejoignez votre chaise.  

- Elle n’a pas arrêté de la matinée ! », soupira Mrs. Bryan.  

La jeune fille s’exécuta, l’air déçu. En grimpant sur sa chaise, elle maugréa néanmoins :  

« D’abord les singes sont pas immondes. Miss Scopes, elle a dit que…  

- Que ruminez-vous entre vos dents ? Parlez haut, ou ne parlez pas. »  

- Je disais que Miss Scopes nous a dit que les singes étaient pas immondes. Même que nous, on était des singes avant. »  

Bryan recracha la première cuillerée de velouté de citrouille qu’il venait de porter à ses lèvres.  

« Miss Scopes a dit quoi ??? »  

 

 

 

Grace, vêtue de sa jolie robe bleue du dimanche, se tenait assise sur un tabouret devant la barre, qui lui montait malgré tout jusqu’au menton. Assez peu intimidée pour une enfant de son âge, elle venait docilement et clairement de raconter dans quelles circonstances Miss Scopes lui avait inculqué, à elle et aux autres enfants de sa classe, ce qui s’avérait être des notions de la théorie de l’évolution selon Charles Darwin. Son père s’était adressé à elle avec calme et rigueur, et elle n’avait pas quitté son sévère regard des yeux. Pourtant, lorsqu’il marqua une pause, la jeune Grace tourna la tête vers son institutrice et lui adressa un rapide et innocent salut de la main, accompagné d’un sourire.  

« Miss Br… Grace ! Mon enfant, tâchez de vous tenir encore quelques instants », sermonna son père. « Dites-moi mon enfant, vous connaissez bien votre Bible ?  

- Oui papa.  

- Monsieur.  

- Oui, Monsieur…  

- Alors dites-moi Grace : toutes ces choses que vous a raconté Miss Scopes, les avez-vous lues dans la Bible ?  

- … Non Monsieur.  

- La Bible ne parle pas de l’origine des hommes ?  

- Ben si, mais elle ne dit pas la même chose.  

- C’est-à-dire ?  

- Ben la Bible dit que l’homme a été créé par Dieu, et que les singes aussi. Mais les singes sont des singes, et les hommes sont des hommes.  

- Je vous remercie, mon enfant. »  

Bryan rejoignit sa place et le juge se tourna vers l’homme qui était assis aux côtés de Miss Scopes. Lorsque celui-ci se redressa, les chuchotements s’amplifièrent dans son dos. Des hommes et des femmes de l’assemblée se penchaient pour mieux apercevoir Clarence Darrow (Héfaistos Czinka). C’était à partir du moment où cet avocat de New York s’était intéressé à ce procès que l’histoire avait pris une ampleur médiatique inattendue.  

Darrow regarda l’enfant dans les yeux et lui adressa un sourire. Il semblait peser le pour et le contre de sa démarche et se tut près d’une minute.  

« Souhaitez-vous interroger le témoin, Mr. Darrow ?  

- Non votre Honneur. Pour autant, il n’est pas impossible que je demande à la délicieuse Miss Bryan de revenir à la barre plus tard dans ce procès. »  

Rosemarie Scopes leva un regard désarçonné vers son avocat, qui lui adressa un clin d’œil de complicité. Pourtant, la jeune femme était loin de se sentir en confiance. Elle ne pouvait s’empêcher de penser que le procès leur échappait. Darrow avait jusqu’à présent tenté d’appeler à la barre des scientifiques, souhaitant mener le procès sur la voie de la justification scientifique. En prouvant que la théorie de Darwin en valait bien une autre, il avait espéré pouvoir démontrer que son enseignement dans les écoles du Tennessee n’avait rien d’inconcevable. Mais Bryan avait tout fait pour s’interposer contre l’intervention des scientifiques, et Darrow avait constaté avec dépit que le juge partageait son aversion pour la théorie évolutionniste. Il avait estimé que le litige ne portait pas sur le conflit entre les théories de l’Evolution et celles de la Création, mais sur une violation de la loi du Tennessee.  

Darrow devait absolument changer de tactique.  

Bryan se leva.  

« L’accusation n’a plus de témoin à entendre, votre Honneur. »  

Le juge se tourna vers Darrow.  

« C’est donc au tour des témoins de la Défense. »  

L’avocat se leva à son tour et s’avança au centre de l’hémicycle, pour être bien vu et entendu de tous. Darrow était réputé pour l’éclat de ses effets de manches.  

« La Défense appelle donc à la barre son premier témoin. »  

Rosemarie commençait déjà à se lever de son siège lorsqu’elle fut saisie de stupeur par l’annonce de son avocat.  

« J’appelle Mr. William Jennings Bryan. »  

Plusieurs éclats de surprise jaillirent de l’assemblée. Bryan lui-même échangea un regard d’incompréhension avec le juge. Mais c’était celui de Rosemarie que Darrow avait surveillé. Elle devait se demander s’il n’était pas devenu fou…  

 

 

 

Trois mois plus tôt  

 

« Je sais qui vous êtes, Mr. Darrow. Les membres de l’American Civil Liberties Union m’ont prévenue de votre visite. »  

Malgré sa posture qu’elle voulait droite et solide, Darrow sentait que Rosemarie Scopes était nerveusement à bout. Il s’assit face à elle, dans la salle du parloir de la prison de Dayton.  

« Alors vous savez également que je me suis proposé pour vous défendre. Mais avant toutes choses, dites-moi comment vous vous sentez. »  

Les épaules de la jeune femme s’affaissèrent. Les larmes affleuraient au bord de ses paupières.  

« Je… Je ne comprends pas ce que je fais là », dit-elle en posant son regard sur les barreaux des fenêtres. « Je ne comprends pas ce qu’on me reproche. Je n’ai jamais prétendu que les lois de l’Evolution étaient une vérité unique et inviolable ! J’ai seulement tenté d’expliquer à des enfants que cette théorie existait…  

- Et ce faisant, vous avez violé l’acte publique 110, volume 37, article 1627 du code de cet état. Ici, en tant qu’enseignante, il vous est interdit de contredire la Bible. Le procureur vous accuse d’avoir voulu pervertir la jeunesse de Dayton et saper les fondements de la société américaine. »  

Rosemarie baissa la tête. Ce n’était pas la première fois qu’on l’informait de l’accusation, mais elle n’arrivait toujours pas à se dire que tout cela était la réalité.  

« C’est invraissemblable…  

- Vous n’avez pas besoin de me convaincre, Miss Scopes. Nous sommes dans un pays fondamentalement religieux, et particulièrement dans les états du Sud. Le procureur Bryan est suivi par un grand nombre de citoyens qui souhaitent que ce procès soit une bonne excuse pour voir s’affronter une fois pour toutes les idées créationnistes contre celles de la théorie de Darwin.  

- Je ne suis pas une « excuse »…  

- Et pourtant, il va falloir jouer leur jeu pour pouvoir nous en tirer. Faites-moi confiance, Miss Scopes. »  

 

 

 

Bryan avait rejoint la barre et tentait de cacher son malaise. Il y parvenait plutôt bien d’ailleurs, et fixait Darrow d’un regard serein. Ce dernier s’avança vers lui.  

« Mr. Bryan, j’ai pu facilement me rendre compte que les habitants de Dayton vous honorent d’un respect très enviable. Vous semblez être un pilier de la morale de cette ville.  

- C’est une question, Mr. Darrow ?  

- C’est une félicitation. Je vous admire pour cela.  

- Je vous remercie. La morale chrétienne me semble effectivement une des causes les plus justes pour lesquelles se battre, et je ne m’en cache pas.  

- Vous avez bien raison. J’ai également admiré la parfaite connaissance de votre fille pour la Bible. J’imagine qu’elle a de qui tenir ?  

- Je vous demande pardon ?  

- Je présume que la Bible n’a pas de secret pour vous, Mr. Bryan ?  

- Je pense effectivement l’avoir étudiée et assimilée avec précaution.  

- Alors permettez-moi de faire appel à vous, Mr. Bryan, à titre de spécialiste sur la question de l’interprétation de la Bible. Parce que pour tout vous avouer, je dois rougir de n’avoir pas toujours su quoi penser de certains passages.  

- Je ferai de mon mieux, Mr. Darrow. »  

Bryan savait qu’une passe d’armes parmi les plus importantes de ce procès venait de débuter. Et il pensait savoir très précisément vers quels pièges Darrow tentait de l’amener. Mais il n’avait d’autre moyen de le contrer que sa parfaite honnêteté.  

« Dites-moi si je me trompe, Mr. Bryan. La Bible dit que lors du déluge, tous les animaux qui n’avaient pas trouvé refuge au sein de l’Arche de Noé périrent noyés. Est-ce exact ?  

- C’est exact.  

- Tous, sans exception ?  

- C’est ce qui est écrit.  

- Même les poissons alors ? »  

Quelques éclats de rire fusèrent autour d’eux, que le juge tenta d’étouffer par le fracas de son marteau. Les deux hommes attendirent que le silence revint, et Bryan reprit la parole.  

« Vous tentez de tourner ce procès à la farce, Mr. Darrow. Mais vous avez effectivement porté un regard assez simpliste sur les Ecritures. Je suppose que le déluge était tel que toute forme de vie, même celle des poissons, n’a pu survivre dans la fureur des flots.  

- Je vous remercie, Mr. Bryan. Et croyez bien que je vous pose mes questions avec le plus grand sérieux. Poursuivons, voulez-vous ? Car une autre question concernant la Création me taraude. Il est écrit que le soleil ne fut créé que le 4ème jour. Est-ce exact ?  

- Ca l’est.  

- Et je présume qu’il faut interpréter ce passage au pied de la lettre ?  

- Je le crois fermement, oui.  

- Mais alors comment trois premiers jours de 24 heures ont-ils pu se succéder si le soleil n’existait pas ? Je suis dans la plus extrême perplexité…  

- … Je ne suis pas physicien, Mr. Darrow. Et je n’ai jamais été perturbé par cette question.  

- Et maintenant que je vous la pose, ne vous perturbe-t-elle pas ?  

- Je prendrai soin d’y réfléchir ultérieurement.  

- Alors nous aurons un sujet de conversation ultérieur, Mr. Bryan. »  

Darrow gardait un visage tout à fait impassible, mais Bryan, qui lui faisait face, plus proche de lui que le reste de l’auditoire, voyait une lueur amusée pétiller dans son regard. Le bougre s’amusait comme un enfant. Et Bryan commençait à enrager de son impertinence si peu voilée.  

« Me permettez-vous une dernière question, Mr. Bryan ?  

- Je vous en prie », soupira Bryan.  

« Elle concerne Caïn. Le fils aîné d’Adam et Eve, le premier homme et la première femme de cette Terre.  

- Oui, je connais Caïn.  

- Il fut chassé du jardin d’Eden après le meurtre de son frère Abel…  

- Oui Mr. Darrow. Je pense que nous connaissons tous ici l’histoire de Caïn.  

- Il gagna le pays de Nod et y trouva une femme.  

- … Oui.  

- Mais d’où pouvait donc bien venir cette femme, Mr. Bryan ?  

- …  

- Mr. Bryan, voulez-vous que…  

- Je vous ai entendu, Mr. Darrow.  

- Pouvez-vous m’expliquer ce paradoxe, Mr. Bryan ?  

- Je laisserai aux agnostiques le soin de vous fournir une réponse. »  

 

Les gratte-papiers s’en donnaient à cœur joie. L’assistance se retenait de piaffer, de s’exclamer ou de s’outrer à pleine voix, mais l’émulation ambiante était palpable. Tous étaient pendus aux lèvres de Clarence Darrow et de William Bryan. Jamais encore, dans l’histoire des Etats-Unis d’Amérique, l’on avait bravé les lois au point de prononcer ces paradoxes si évidents. Les enseignements de la Bible ne se contredisaient pas. Ils étaient les fondations de la Patrie. Mais aujourd’hui, la Patrie allait peut-être devoir se trouver une autre assise.  

A moins que le procureur Bryan, et derrière lui tous les créationnistes des Etats-Unis d’Amérique, ait d’autres cartes dans sa manche.  

 

 

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Un film de Paddy MALONE  

Sur un scénario du Corbeau, d’après une histoire vraie  

 

Avec  

Héfaistos CZINKA - Clarence Darrow  

Robert ANGIER - William Jennings Bryan  

Luna DELANGE - Rosemarie Scopes  

Lou MULLER - Grace Dexter Bryan  

 

Sur une musique de Freddy LILLARD  

Scénario : (2 commentaires)
une série B historique (film judiciaire) de Paddy Malone

Héfaistos Czinka

Luna Delange

Robert Angier

Lou Muller
Musique par Freddy Lillard
Sorti le 15 décembre 2040 (Semaine 1876)
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