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Les Films du Corbeau présente
Désorientale

Paris, 2002  

 

Marjane (Nour Pendragon) est assise sur l’un des sièges alignés le long du couloir. Autour d’elle, des couples sont également assis et patientent, silencieux, en regardant furtivement leurs voisins. Se demandant probablement « Qu’est-ce qui cloche chez eux ? » Les regards les plus insistants se posent sur elle. Il n’y a qu’elle qui n’est pas accompagnée.  

Mais elle n’y prête pas attention. Beaucoup de pensées se bousculent dans sa tête alors qu’elle attend le Dr. Belliard. Sa main est refermée sur une petite fiole transparente. A l’intérieur, un liquide blanc et visqueux qu’on a décongelé pour son rendez-vous. Et à côté d’elle, un siège vide.  

« Putain », pense-t-elle, « j’ai son sperme dans la main et il n’est pas foutu d’être à l’heure. »  

La secrétaire la rassure : le Dr. Belliard termine une réunion importante, elle ne va pas tarder. Et puis enfin, il arrive. Yann (Ian Morcar) débouche de l’ascenseur et l’aperçoit aussitôt. Son baladeur toujours sur les oreilles. Un anorak vert et un jean jaune poussin… Marjane tente à nouveau d’ignorer les regards qui se posent sur eux alors qu’il s’assied auprès d’elle. Oui, on a vu plus équilibré que leur couple, une punkette aux cheveux bleus et un mec qui a toute l’apparence du gay décomplexé…  

M’enfin, du moment que le Dr. Belliard ne pose pas la question.  

« Désolé minette. Je t’ai pris ça pour que t’ais la bouche pleine plutôt que de m’engueuler. »  

Il lui tend un sachet en papier. A l’intérieur, des sablés aux dattes et des boulettes de pistache.  

« Je suis pas Maghrébine, tête de nœud. Je suis Iranienne.  

- Ben oui mais va trouver une pâtisserie iranienne à Levallois, face de rat. »  

Elle sourit et inspecte un sablé du bout des doigts. Elle a un nœud à l’estomac, trop tendue pour manger. Si le Dr. Belliard relevait l’évidence, refuserait-elle de continuer ?  

La pâte du sablé a une odeur de gingembre. Comme les galettes au gingembre de sa grand-mère Emma…  

 

*  

 

Téhéran, 1979  

 

Marjane (Lou Muller) est assise sur les marches de la petite cour intérieure. Les doigts pleins de beurre, elle enfourne ses restes de galettes au gingembre à pleines bouchées. Vite finir, avant que ses sœurs ne voient que grand-mère Emma lui en a refourgué une troisième en cachette… A quelques pas de là, dans la courette qui s’étend entre les façades d’immeubles de la résidence, Reza et Imad, les fils de Mme Khadouri, l’attendent pour jouer à la balle.  

Soudain, la porte de la cuisine s’ouvre et Marjane enfonce la dernière bouchée de galette dans son bec. Mais fausse alerte, ce n’est pas l’une de ses sœurs. C’est sa mère, Sara (Shanti Adilashur), qui passe près d’elle en coup de vent.  

« Tu portes encore ce sale jogging ? Je t’ai préparé une robe. Va vite la mettre.  

- Peux pas », rumine-t-elle la bouche pleine, « je vais jouer avec les gars…  

- Hors de question ! Les amis de ton père arrivent dans un instant. Va te changer, maintenant ! »  

Elle disparaît dans le salon, et Marjane jette un regard dépité sur les deux garçons qui ont arrêté de l’attendre et font rebondir la balle contre le mur.  

 

 

Elle descend les escaliers en tirant sur sa robe en laine (« ça gratte le cul ces machins ») et déjà, elle entend le brouhaha dans le salon. Elle croise sa sœur aînée dans la cuisine, qui la dévisage de haut en bas.  

« Tu fais moins gouine pour une fois. »  

Elle ne relève pas la pique. De toute façon, elle se sent ridicule comme ça. Elle entre dans le salon. Des dizaines de personnes s’agglutinent dans toute la pièce. La plupart d’entre eux, Marjane ne les connaît pas. Mais elle sait qu’ils sont des intellectuels de Téhéran. Certains viennent de l’étranger, des journalistes pour la plupart. Maman a même parlé d’un philosophe de Paris. Marjane se demande si ce n’est pas ce grand type sans cheveux et avec la pipe au bec.  

La petite fille zigzague entre les groupes, sourit poliment, mais rapidement, quand on la salue. Sara déambule à droite et à gauche, servant des verres de liqueur, tentant de raccrocher les dizaines de discussions. Sara est professeur à l’université de Téhéran, et elle écrit des livres. Le travail mené par son mari la transporte, elle est sa plus ardente supportrice. Elle aussi sait mener des débats, et plusieurs des invités viennent autant pour l’entendre, lui, que pour l’écouter, elle.  

Et puis Marjane aperçoit enfin son père. Darius (Dylan Romarov) est assis sur un coussin au fond du salon. Des gens sont regroupés autour de lui. Marjane adore voir son père de cette façon : on dirait un ancien Maharadjah, qui trône au-dessus de ses sujets et qu’on écoute. Pourtant, Darius est un homme discret et il écoute bien plus qu’il ne parle. Mais il est magnétique. On ne peut pas s’empêcher de le regarder et de boire ses paroles.  

Darius est journaliste dans un quotidien de gauche qui critique le régime du Shah. Ce matin, le journal a publié en première page une de ses tribunes. Il y est allé fort, c’est ce que Marjane entend autour d’elle. Apparemment, personne n’avait encore osé publier une attaque aussi virulente du régime. On dit que le général Nasradi a proférer publiquement des menaces contre Darius. Mais celui-ci semble impavide.  

Quand Marjane s’assied à ses pieds, il pose délicatement la main sur ses cheveux et caresse sa tresse du bout des doigts. Quand son père pose son regard sur elle, Marjane ne peut jamais s’empêcher de sentir le rouge lui monter aux joues. C’est un homme si secret, si obscur. Il travaille tellement et se tient toujours en léger retrait du foyer, de son épouse et de ses trois filles. Elle ne le connaît pas si bien que ça, finalement. Mais elle l’admire.  

 

 

*  

 

 

Le Dr. Belliard sourit en regardant le résultat des derniers examens.  

« Vous êtes parée, Melle Djanaoui. Nous pouvons tenter l’insémination ! »  

Marjane n’y croit pas. Elle a tellement peu cru en ses chances de succès que de se savoir bientôt inséminée ne percute pas. Yann, lui, est inquiet.  

« Quel pourcentage de chances que le bébé soit contaminé, déjà ? »  

Marjane le fusille du regard. « Si t’étais venu aux derniers rendez-vous, ducon, tu saurais... » Elle le pense. Mais ne le dit pas.  

« Ne vous en faites pas », lui répond la doctoresse. « Avec les nouvelles méthodes, il y a à peine 13 % de chances que l’enfant soit séropositif. »  

Il ne semble pas soulagé. Ca lui parait encore énorme. Il cherche le regard de Marjane. Est-elle toujours sûre de son choix ? S’il transmet sa maladie à l’enfant, il ne se le pardonnera pas. Il y a tellement d’autres types plus sains que lui dans les rues de Paris. Mais Marjane évite son regard. Ils en ont déjà parlé cent fois. Qu’il ferme sa gueule, ou le Dr. Belliard va poser les questions qui gênent.  

 

 

*  

 

 

« Papa, c’est quoi une lesbienne ? »  

La petite fille a les joues en feu et fixe ses bottines. Elle est certaine que Darius la regarde maintenant avec colère. Pourtant, quand il répond, sa voix est grave et douce. Il ne semble pas choqué.  

« Pourquoi me demandes-tu cela ? »  

Ils sont dans le parc du boulevard Manshir. De là où ils se tiennent, ils surplombent Téhéran d’où la clameur des voix leur parvient par intermittence. Téhéran a changé de peau. Téhéran a lancé une révolution depuis plus d’une semaine. Marjane a accompagné son père pour voir ça.  

« Regarde-moi Marjane. »  

Il pose un doigt sur le menton de sa fille et soulève son visage jusqu’à ce qu’ils se regardent dans les yeux.  

« Alors ? Pourquoi te poses-tu cette question ?  

- C’est Leïla. Elle dit que comme je joue avec les garçons, que je grimpe dans les arbres, que je me salie et que j’aime pas mettre des robes, je suis une lesbienne. »  

Un soupçon de sourire se devine sous la moustache de Darius.  

« Ta grande sœur manie mieux les mots que les idées. Mais je crois qu’elle ne dit pas ça méchamment. Ta mère t’a-t-elle déjà raconté l’histoire de ta naissance ? »  

Quelque chose a éclaté dans le boulevard voisin. Un pétard ? Un pneu ? Une grenade ? Joie ou colère ? Mais Darius n’y prête pas attention. En marchant, il raconte.  

« Tu sais que ta grand-mère Emma lis dans les marcs de café ? Eh bien lorsque Sara était enceinte de toi, Emma a lu que tu serais un garçon. Et il parait qu’elle ne s’est jamais trompée en lisant le café. Pas une seule fois. Mais voilà, le matin-même où tu es née, ma mère, ton autre grand-mère, Jasmine, s’est éteinte. Dans le même hôpital. Alors Emma pense que l’esprit de ta grand-mère Jasmine est venu te voir et a fait de toi une fille. Mais que tu aurais dû être un garçon. »  

Marjane n’est pas sûre de comprendre.  

« Je suis une fille, et aussi un garçon ? »  

Ils sont sur le point de déboucher dans le boulevard Manshir. Darius s’arrête, se penche vers sa fille et pose les mains sur ses épaules.  

« Tu es ce que tu es. Ou ce que tu veux être. Le reste n’a pas d’importance. »  

Ils marchent maintenant le long des magasins du boulevard. Marjane n’a pas l’impression que son père ait vraiment répondu à sa question, mais elle n’ose pas le dire.  

Il y a beaucoup de monde dans la rue. Toujours une certaine effervescence depuis les événements de la semaine passée. L’ayatollah Komeini est revenu de son exil le matin-même. Des hommes et des femmes reconnaissent Darius et viennent le saluer. Marjane est fière de lire l’admiration que suscite Darius dans leurs regards. Et puis cet homme s’est avancé. Darius a tendu la main, mais l’homme lui a craché au visage, et l’a insulté.  

« Si tu crois que tout va aller mieux maintenant, alors tu es le dernier des fous. »  

L’inconnu a poursuivi son chemin. Marjane est choquée, mais Darius essuie son visage et continue son chemin avec la même sérénité.  

« C’est vrai ce qu’il a dit, papa ?  

- Ne te préoccupe pas de cela. »  

 

 

Quelques mois plus tard, il semble à Marjane que l’inconnu avait raison. Komeini n’a pas amené avec lui la lumière dont Darius et Sara avaient rêvé. Le journal de Darius a dû fermer ses portes. Alors, Darius a écrit un livre, un pamphlet qui se vend sous le manteau. Des militaires ont débarqué un après-midi à l’appartement et ont arrêté ceux qui s’y trouvaient. Sara, des amis à eux. Mais pas les enfants, qu’ils ont laissé seuls, en pleurs. Et pas Darius, qui était sorti à ce moment-là. Sara est revenue deux jours plus tard, très ébranlée, mais en bonne santé. Elle a insisté pour que Darius se cache. Et depuis plusieurs semaines, Sara a emmené ses filles chez l’oncle Kobein, dans la campagne, loin de Téhéran.  

Marjane est sur la branche du figuier, au fond du jardin. Elle regarde au loin la cime des montagnes. De l’autre côté, la Turquie. La nuit prochaine, Sara et ses filles partiront pour une longue route. Au bout du chemin, une vie nouvelle à Paris.  

 

 

*  

 

 

Yann a enfilé son casque et monte sur son scooter. Il embrasse Marjane sur la joue.  

« Vous m’appelez, hein ?  

- Oui, ne t’inquiète pas.  

- Déconnez pas ! Dès que vous savez, vous m’appelez, hein ?  

- Oui !!! »  

Il démarre et disparaît à l’angle du boulevard Magenta. Marjane marche plutôt que de rejoindre le métro. Elle a besoin de sentir l’air frais. Elle pense à son corps, à son ventre. Ressent-elle quelque chose de différent ? Ou est-ce juste dans sa tête ?  

Dans son sac, le téléphone sonne. C’est Astrid.  

« Oui… Ca y est. On verra !... »  

Astrid est émue. Elle pense que ça va marcher, elle le sent. Et ce sera un petit garçon. A quoi pourra-t-il ressembler ?  

« Français par son père, Iranien par sa mère. Et Viking par son autre mère. Un sacré mélange ! »  

Elles rient.  

« Je rentre mon amour, et on trinque. »  

 

 

 

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Un film de Chazelle DeBLOIS  

Sur un scénario du Corbeau, adapté du roman de Négar Djavadi  

 

Avec  

Lou MULLER - Marjane enfant  

Nour PENDRAGON - Marjane adulte  

Dylan ROMAROV - Darius  

Ian MORCAR - Yann  

Shanti ADILASHUR - Sara  

 

Sur une musique d’Ezra NOYES  

Scénario : (3 commentaires)
une série A dramatique de Chazelle DeBlois

Dylan Romarov

Lou Muller

Ian Morcar

Nour Pendragon
Avec la participation exceptionnelle de Shanti Adilashur
Musique par Ezra Noyes
Sorti le 26 janvier 2041 (Semaine 1882)
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