Assise sur le siège passager, Fen observait les passants à travers la vitre teintée en triturant ses doigts, à la fois stressée et excitée par la situation dans laquelle elle était. N'était-elle pas en train de faire une bêtise ? Sur les conseils d'une amie, elle avait accepté ce rendez-vous qui allait lui rapporter gros, et surtout apporter un peu d'excitation dans sa vie qu'elle trouvait bien morne. Aux yeux de beaucoup de monde pourtant, elle n'avait pas à se plaindre. A bientôt seize ans, elle n'avait jamais connu que la vie confortable que lui avait offert ses parents, sans aucune difficulté.  

Mais justement, aujourd'hui cette vie l'ennuyait. Elle ne manquait pourtant de rien, mais ses parents embourgeoisés l'agaçaient, et elle ne supportait pas cette image de "fille à papa" qu'elle trainait comme un boulet. Alors lorsque sa meilleure amie Ai lui avait avoué faire l'escort-girl, elle avait été rapidement intriguée. Selon son amie, nombreux étaient les hommes à Kyopolis à aimer passer la soirée avec de jeunes adolescentes, et qui étaient prêts à payer très cher pour cela. Ce que Ai lui avait alors décrit avait immédiatement attiré Fen, qui lui posa de nombreuses questions. Son amie lui avait alors finalement proposé de la mettre en contact avec ceux qui organisaient ce réseau.  

Les choses s'étaient faites plus rapidement que ce que Fen aurait imaginé, et très vite, on l'avait contactée pour une soirée avec un premier client. Elle ignorait totalement où elle allait, ce qui accroissait encore son stress et son excitation.  

La voiture quitta les beaux quartiers de Kyopolis, ce qui intrigua la passagère qui s'était attendue à se rendre dans un hôtel de luxe comme ceux où son amie Ai avait rencontré ses clients. Fen n'aimait pas cette partie de la ville où elle se trouvait à présent. Trop jeune pour avoir connue la ville telle qu'elle avait été dans ses pires années, gangrénée par le crime et la corruption, elle n'avait presque jamais mis les pieds dans ces rues où vivait une population qui n'avait pas profité de la renaissance de Kyopolis.  

En quinze ans, la ville avait été totalement transformée sous l'impulsion d'un Maire qui avait tout fait pour repousser le crime et redonner à sa ville natale l'image qu'elle méritait. Redevenue attractive, elle avait su attirer à nouveau des investisseurs et entrepreneurs, relançant ainsi son économie pour le bien de toute la population. Au cours de ses dix-sept années de mandat, Keiji Lung avait investi en masse pour sortir la population pauvre de la situation de précarité dans laquelle elle se trouvait. Bien sûr, cela ne s'était pas fait sans mal, et le Maire avait été l'objet de nombreuses tentatives de corruption et de menaces de toutes parts, mais fidèle à sa ligne de conduite, et à l'esprit de ceux qu'il avait perdus dans leur lutte pour sauver sa ville, il avait toujours su rester droit, ce qui ne l'avait pas empêché de s'approcher de l'objectif qu'il visait pour Kyopolis. Mais s'il était parvenu à ressortir une bonne partie de la population pauvre de la ville de la situation dans laquelle elle vivait au quotidien, il restait encore les plus pauvres d'entre tous qui connaissaient encore une grande précarité.  

Fen se demanda ce qu'elle venait faire là, et commençait à s'inquiéter sérieusement. Attrappant son téléphone portable dans son sac, elle envoya un message à Ai. La voiture s'arrêta alors dans une rue sombre, loin de la ville que la jeune fille connaissait. Le chauffeur sortit sans dire un mot, puis ouvrit la porte en invitant l'adolescente à sortir du véhicule. Tremblant de tous ses membres, Fen s'exécuta en priant pour qu'il ne lui arrive rien. Quel client avait pu payer une telle somme pour la faire amener ici ? La portière claqua dans son dos, et la jeune fille resta figée sur place, sans savoir quoi faire. Le chauffeur remonta alors dans la voiture et démarra le moteur, puis quitta les lieux. Se retrouvant seule dans cette rue sordide, Fen s'interrogea et imagina de nombreuses possibilités à sa situation. Est-ce que c'était une mauvaise blague ? Etait-ce son père qui, prévenu de ce qu'elle était sur le point de faire, avait mis en place ce stratagème pour lui donner une bonne leçon ?  

Toujours était-il qu'elle commençait à avoir vraiment peur. Elle fouillait son sac à la recherche de son téléphone pour appeler son amie lorsqu'elle fut soudain saisie violemment et trainée dans une ruelle voisine, sans même avoir eut le temps de voir son agresseur. L'adolescente hurla et appela à l'aide de toutes ses forces, mais en vain. Pas une lumière ne s'alluma, pas une fenêtre ne s'ouvrit.  

La pluie tombait à grosses gouttes depuis une heure sur Kyopolis. La lumière des girophares de police balayait les murs des immeubles qui surplombaient la ruelle sombre où avait été sécurisée la scène de crime. Une adolescente avait été retrouvée morte dans un renfoncement, dans un bien triste état. Tout portait à croire qu'avant de mourir, elle avait été violemment battue et violée, après quoi son agresseur l'avait abandonnée là telle un sac poubelle, sans même avoir la décence de couvrir son intimité. Ses vêtements avaient été déchirés, son corps était couvert de bleus, et sa gorge avait été tranchée. Sur son visage figé, sa bouche semblait encore vouloir dire quelque chose, comme suppliant une dernière fois son agresseur de lui laisser la vie sauve. De toute sa carrière, le lieutenant Takami n'avait encore jamais vu une fille de cet âge dans cet état.  

L'état de ses ongles démontrait qu'elle avait tenté en vain de se débattre avant qu'on ne lui ligotte les poignets dans le dos. Son nez avait été cassé et son oeil était complètement tuméfié. Ses talons ensanglantés à force de se débattre sur le bitume témoignaient encore des vaines tentatives de la jeune fille de repousser son agresseur qui ne lui avait laissé aucune chance. Le corps recouvert de son propre sang, elle fixait le ciel de ses yeux vides.  

A quelques mètres du corps, un petit sac contenant un portefeuille appartenait sans doute à la jeune fille. Un téléphone portable avait également été découvert sur le sol, mais il avait été détruit. Lorsque le lieutenant fouilla les papiers qui se trouvaient dans le sac et découvrit les papiers d'identité de la victime, son sang se glaça dans ses veines. Se retournant à nouveau vers le corps, il reconnut alors ce visage, caché derrière ces ématomes, pour l'avoir déjà aperçue avec ses parents lors d'une soirée mondaine en ville.  

Que diable faisait cette jeune fille ici, dans ce quartier de Kyopolis ? Comment avait-elle pu se trouver ici ? A l'idée du bruit qu'allait faire cette affaire, le lieutenant fut d'avance agacé en devinant que la presse n'allait pas le lâcher. Mais il eut surtout une pensée pour les parents de la jeune fille, à qui il allait devoir annoncer la mort de leur enfant.  

"Je me tiens actuellement devant la maison du Maire où une foule de journalistes a accouru depuis que la nouvelle de la mort de Fen Lung, dont le corps a été retrouvé dans une ruelle, a parcouru la ville. Pour le moment, aucun communiqué n'a été fait à propos de cette nouvelle, et beaucoup se demandent si le Maire en personne va s'adresser à la presse ou bien si un autre représentant de la Mairie le fera à sa place. Depuis deux ans maintenant, nombreux sont ceux à signaler la criminalité de nouveau en hausse dans la ville, et à dénoncer les limites du système et de la politique adoptée par l'équipe en place à la Mairie depuis dix-sept ans maintenant. Ce crime frappant de plein fouet le Maire en personne, il est évident qu'il aura un echo particulier..."  

Enfermés à l'intérieur de sa maison pour échapper à la foule de journalistes qui faisait le pied de grue devant chez lui, Keiji Lung (Fabrice Dobson) regardait la chaîne d'information qui relatait la mort de sa fille, les yeux rougis par les larmes et la colère, tout en répondant impassiblement aux question de la police. Dans la pièce voisine, son épouse Mai (Sandrine Kantelinen) ne s'arrêtait pas de pleurer. Il avait tenté de la consoler tant bien que mal, mais elle était évidemment inconsolable, tout comme lui. Trop choquée pour répondre aux questions de la police, elle était allé dans la pièce voisine avec une amie, laissant Keiji seul avec le lieutenant. Une fois le choc de la nouvelle passé, Keiji cherchait à comprendre comment Fen avait pu se retrouver là où son corps avait été découvert. Elle devait passer la soirée avec des amies, d'après ce qu'elle avait dit à ses parents. Le lieutenant Takami nota cet élément. Il allait falloir interroger ces amies.  

Keiji observa soudain une voiture traversant la foule devant sa maison et qui s'arrêta dans l'allée. Il vit en sortir son ami et conseiller Tao Yan (Jee-Han Hiseng), qui marcha d'un pas rapide sous la pluie pour entrer dans la maison. Depuis le départ de Li Wei Kun, la directrice de campagne qui avait permis à Keiji d'être élu une première fois à la Mairie de Kyopolis, Tao était devenu son plus proche conseiller. C'est grâce à lui que Keiji avait vu son mandat renouvellé par le peuple à deux reprises, et il comptait encore sur ses bons conseils pour y parvenir à nouveau aux prochaines élections, bien que les sondages étaient moins en sa faveur que les fois précédentes.  

"Je suis venu dès que j'ai appris la nouvelle", lança Tao en entrant dans la pièce. Il marcha alors droit vers son ami et le serra dans ses bras. Il devinait quelle souffrance cela pouvait être pour Keiji. Perdre un enfant devait être une souffrance abominable, d'autant plus que Keiji avait déjà perdu beaucoup de proches dans des circonstances difficiles. Depuis qu'il avait rencontré Mai, sa vie avait pris une toute autre tournure, lui faisant oublier ce passé sombre. Ce nouveau drame venait donc anéantir tout ce qu'il avait construit en seize ans, non seulement au niveau personnel, mais également professionnel.  

Et si Tao venait le voir ce soir, c'était à la fois pour le soutenir en tant qu'ami, mais également pour voir au plus vite comment gérer cette situation au niveau politique. La campagne pour les prochaines élections à la Mairie de Kyopolis n'allait pas tarder à démarrer, et alors que l'on reprochait au Conseil Municipal en place d'avoir laissé la criminalité remonter depuis deux ans, ce drame qui touchait directement le Maire en personne allait forcément être utilisé contre lui.  

Comme tout le monde, Ai avait appris la nouvelle de la mort de Fen. Terrorisée, l'adolescente ne pouvait s'empêcher de se sentir coupable de ce qui lui était arrivée. C'est elle qui avait parlé à Fen de ces soirées d'escort-girl, et qui l'avait mise en contact avec le réseau. Elle ne pouvait pas s'empêcher de penser également que cela aurait pu tout aussi bien lui arriver à elle. Prenant conscience de la situation de danger dans laquelle elle s'était elle-même mise, elle décida d'arrêter immédiatement tout ça. Prenant son téléphone portable, elle envoya un message à son contact pour lui indiquer son choix, puis effaça de son appareil tout ce qui pouvait la lier à ce réseau.  

En lisant le dernier message qu'elle avait reçu de Fen, elle ne put retenir à nouveau une larme. Son doigt hésita un instant avant de supprimer cet ultime message de sa meilleure amie, mais elle finit par valider la suppression, effaçant ainsi de son téléphone toute trace de ces échanges avec Fen.  

Assise chez elle, Bao RuoLan (Lexi Wang) suivait en direct les informations à propos de l'affaire de la fille du Maire. Voilà des années qu'aucun crime de cette ampleur n'avait touché la ville. Force était d'admettre que le travail fait par le Maire et son Conseil depuis une quinzaine d'années avait transformé la ville, à tel point que le justicier nommé "Night Fox" avait disparu de la circulation, emportant avec lui tous les espoirs que la journaliste avait d'identifier un jour cet homme qui avait ruiné sa carrière.  

Déterminée à découvrir qui il était, elle s'était obstinée à mener son enquête au détriment de son travail, et malgré les rappels à l'ordre de son patron. Licenciée, elle avait dû trouver un autre poste dans un magazine people pour pouvoir quand même manger. Ayant vu ses rêves de carrière s'envoler à cause de Night Fox, elle gardait contre lui une rancune qu'elle n'était jamais parvenue à apaiser. En découvrant ce qui était arrivé à cette adolescente, la journaliste était évidemment horrifié par cette horreur, mais intérieurement elle espérait que cela allait réveiller Night Fox, le forcer à sortir de sa retraite.  

Peut-être alors pourrait-elle enfin réussir ce à quoi elle avait jusque là échoué, en identifiant ce justicier masqué et en révélant à tous son identité.  

Assis à une table du club où il passait la soirée, Park Kwong (Kenji Sakada) passait du bon temps avec deux femmes à ses côtés. L'un de ses hommes s'approcha soudain de lui et se pencha à son oreille pour l'informer d'une nouvelle. Le visage du propriétaire du club se crispa un instant. Il se leva alors, abandonnant là ses deux compagnes de la soirée, et monta dans son bureau, loin du bruit et de la musique.  

- Tu es sûr de ce qu'il t'a dit ?  

- Oui, il m'a montré le message qu'elle lui a envoyé. Elle ne veut plus travailler pour nous. Elle arrête.  

- Cette salope est en train de flipper, elle va parler. Il faut régler ça au plus vite. Débarassez-moi du problème avant que les flics ne viennent la voir.  

Seul dans son bureau, Keiji Lung tournait en rond. Mai avait fini par s'endormir, épuisée et assommée par les médicaments qu'on lui avait fait prendre. Leur jeune fils de dix ans, quand à lui dormait depuis plusieurs heures déjà, et ne découvrirait qu'au matin qu'il n'avait plus de sœur. Quand à Keiji, il ne trouvait pas le sommeil. Comment pouvait-il ? Cette saleté de ville lui avait encore pris l'une des personnes qu'il aimait le plus, pour la cinquième fois ! Mais que diable Fen était-elle aller faire là-bas ?  

Il était vrai que depuis plus d'un an, sa fille était dans une phase difficile, mais Keiji avait mis ça sur le compte de l'adolescence. Lui aussi avait eut une période difficile à cette époque, mais Fen avait encore ses deux parents, et une vie plutôt confortable. Malgré tout, elle avait beaucoup changé depuis un an, trainant avec de nouveaux amis aussi paumés qu'elle. Keiji ne s'en était pourtant pas inquiété, et aujourd'hui il se le reprochait. N'avait-il pas délaissé sa famille au profit de cette foutue ville, comme il avait reproché à son père de l'avoir fait avant lui ?  

Comme son père, il avait cru pouvoir sauver Kyopolis et ses habitants, et aujourd'hui il s'apercevait que tout ça avait été fait en vain.  

- Tu n'y es pour rien  

Keiji se retourna en entendant cette voix qu'il reconnaissait entre toutes, bien qu'il ne l'avait plus entendue depuis une quinzaine d'années maintenant. Assise près de la fenêtre de son bureau, Ching (Courteney Campbell-Seasong) le regardait tristement, pleine de compassion. En la voyant, le père de famille faillit s'effondrer. Ching avait été son premier amour, et il l'avait perdue à cause de cette ville. Elle avait longtemps hanté son esprit même après sa mort, mais avait fini par disparaître lorsqu'il avait rencontré celle qui était aujourd'hui sa femme.  

En quelque sorte, Ching l'avait toujours accompagné dans ses périodes les plus sombres, les plus difficiles. Le fait qu'elle réapparaisse aujourd'hui lui paraissait donc tout à fait normal, et le soulagea même un peu.  

- Je sais à quoi tu pense, Keiji. Mais c'est une erreur.  

- Comment peux-tu savoir à quoi je pense ? Tu ne peux pas comprendre ce que je ressens.  

- Je te connais, Keiji. Tu m'as déjà menti par le passé, mais j'ai toujours su lire dans tes yeux.  

- Il faut que je sache qui est le fumier qui a fait ça à ma fille ! siffla Keiji en serrant les dents et les poings. Je ne peux pas rester à rien faire !  

- Fais confiance à la police. Ils trouveront le coupable et il payera pour son crime. Ne détruit pas tout ce que tu as mis tant d'années à construire.  

Tout en prononçant ces paroles, Ching s'était approchée du père dévasté qui s'était effondré dans son fauteuil. Il savait qu'elle avait raison, mais intérieurement il bouillait de colère et brûlait d'envie d'aller chercher lui-même le coupable, pour lui faire payer comme il se devait le crime audieux qu'il avait commis. Depuis dix-sept ans, il avait abandonné son costume de Night Fox pour lutter autrement contre le crime à Kyopolis. Et cela avait payé.  

Si par le passé il avait perdu toute confiance en la police de la ville corrompue, sous l'influence de son mandat elle avait depuis prouvé qu'elle avait changé. Mais il connaissait trop bien les procédures qui empêchaient parfois les flics d'avancer. Non, en quinze ans ils avait réussi à faire arrêter les plus gros criminels de la ville et à redonner à Kyopolis la sérénité qu'elle méritait.  

Il promit alors à sa fiancée défunte de ne rien faire, pour le moment tout du moins. Il promit de faire confiance à la police, et de la laisser mener son enquête sans interférer dans celle-ci. Mais si jamais celle-ci n'obtenait pas rapidement des résultats, Keiji n'allait pas avoir la patience trop longtemps. En quinze ans, Kyopolis n'avait plus eut besoin de Night Fox, mais aujourd'hui le Maire se demandait si ce n'était pas lui qui avait besoin du justicier.  

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Keiji Lung / Night Fox (Fabrice Dobson)  

Mai Lung (Sandrine Kantelinen)  

Park Kwong (Kenji Sakada)  

Bao RuoLan (Lexi Wang)  

Ching (Courteney Campbell-Seasong)  

Tao Yan (Jee-Han Hiseng)