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Firewolf 2.0 présente
Là bas j'irais

« Monsieur ! Monsieur ! Ouvrez les yeux ! »  

La docteur s'affaire avec toute sortes de poches, d'instruments, de matériel bipant à intervalles réguliers autour du brancard couinant dans toute la longueur du couloir. Le pompier essoufflé qui la suit parle avec des mots qui le marque. Accident. Trauma crânien. Hémorragie interne. Critique, peut être état critique. La soixantaine.  

Non, pas encore, le mois prochain... Peut être...  

 

Il essaye de les ouvrir, ses yeux, mais au delà du brancard, peu après un drap blanc taché d'un sang qui est probablement le sien, il n'y a que l'aveuglement. Une lumière omniprésente autour de lui. Son monde est réduit à cette couche froide, ce drap souillé et ces deux personnes courant derrière lui.  

Il se sent comme immense, trop grand pour ce monde.  

Puis, à la limite de ce monde, une grande double porte qui s'ouvre dans un fracas au contact du lit. Et son monde s'agrandit. Moins de lumière. Son monde est immense, il se sent rapetisser. Le mouvement s'arrête.  

« Attention ! Prêt ? On soulève à trois ! Un... Deux... Trois ! »  

Le monde tremble, il se sent léviter, puis retomber. Il voit des murs, un grand évier. Des armoires. Le froid. Il se voit lui, couché sur une table d'opération. Un homme en blanc au visage dissimulé s'approche de lui et lui pose un masque recouvrant son nez et sa bouche. Le monde s'éloigne, et lui avec, loin en bas. Il n'y a plus de lumière. Le monde tombe. Il est tout petit, loin, un simple point lumineux persistant dans les abysses. Seul dans le rien.  

 

 

« Monsieur ? » Demande une voix douce. Elle répète son appel. Puis une troisième fois.  

Il ouvre les yeux.  

Le monde. Des bips. La lumière, il est revenu dans la lumière.  

« Respirez, Monsieur ! Respirez ! »  

Oui, il se rappelle. Il faut respirer. Sans savoir le décrire, il sent la vie revenir en lui, à chaque inspiration. La vie, d'abord dans ses poumons, puis sa tête, puis son corps.  

 

« Comment vous vous appelez, monsieur ? »  

Quelques secondes de réflexion, puis dans un son rauque, Samuel Moldberg. La jeune femme note sur un bloc.  

 

 

 

Ces quelques secondes de vie, Samuel les a constamment à l'esprit. Juste avant qu'il arrive en salle d'opération, et au moment de son réveil après l'opération. Il se souvient mourir, et plus que revivre, renaître.  

En passant la porte de son service, ses collègues se lèvent et l'applaudissent. Il entend ces mêmes banalités depuis deux mois. Le plaisir de le revoir et la peur qu'ils ont pu avoir. Il se force à sourire, à les remercier, tous, un par un venu lui serrer la main, le prendre dans les bras. Les collègues de longue date, le stagiaire, la secrétaire, quelques contremaitres et beaucoup de faux-culs.  

Sur son bureau, le spectacle continu. Des cartes de vœux et des fleurs. Il se dit qu'il les laissera au moins aujourd'hui, et demain matin, il s'en débarrassera.  

Deux mois d'absence, dans la logistique, c'est plusieurs vies à rattraper. Il y passera la journée à identifier les stocks, offres et demandes, sans passer un seul ordre.  

Et pendant ces heures, chaque seconde, il se revoit mourir, son corps tomber loin en bas.  

Il a failli y rester. Il a failli mourir.  

Et pour quoi ?  

Pour un boulot qui consiste à réparer les conneries des autres, pour une femme qui dort dans la chambre d'ami depuis quatorze ans, pour une fille à qui il n'a plus parlé depuis ses vingt ans. Il en vient à douter de l'intérêt de son potager.  

Pour un potager?  

Qu'est ce qui l'a fait revenir, si ce n'est les médecins. Une raison. Juste une.  

L'usine de Pierrelatte bientôt en rupture d'aluminium peut-être.  

Non, pas pour de l'aluminium.  

Sans un mot, il se lève, enfile calmement sa veste, et sous quelques questions de ses collègues sans réponses, part.  

 

Derrière le volant de sa Ford, moteur arrêté, il se demande où aller. Il était redevenu enfant, se posant sans cesse la même question.  

Pourquoi.  

Pourquoi la vie. Pourquoi les gens. Pourquoi tout ça.  

Il sait où il ira.  

Il ira faire le plein d'essence, rentrera chez lui, et parlera à sa femme avec peu de mots, mais des mots choisis.  

Il lui dira qu'il partira. Qu'elle n'aura qu'à s'imaginer qu'il est resté dans le rien au dessus de la table d'opération.  

Non. Ce rien était bien. C'est ici qu'il n'y a rien. Ce monde est bien trop grand.  

Elle ne comprendra pas.  

 

Elle n'a pas cherché à comprendre. Est-ce de l'égoïsme que de vouloir retenir quelqu'un. Est ce qu'une vie creuse a un sens. Pourquoi s'obstiner à vivre ici. Pourquoi ne pas retrouver sa fille ?  

 

Il sait où elle est. Sa seule question, c'est comment y aller.

Scénario : (2 commentaires)
une série Z dramatique de Joel Hoenig

Duckas Jezek
Sorti le 17 juillet 2043 (Semaine 2011)
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