Anna, il faut qu’on y aille. On va rater notre avion sinon.  

Tessa, est une jeune femme métissée avec des yeux d’un vert émeraude époustouflant. Elle est grande, mince et sublime. C’est pour cette raison qu’elle m’a invité à partir un an dans la capitale anglaise. Son rêve de devenir mannequin est sur le point de se réaliser grâce à une formation de douze mois pour se perfectionner dans le métier.  

Elle est aussi ma meilleure amie et a certainement voulut éviter de me laisser seule pendant tout ce temps sachant ce que je venais de vivre.  

Pour ma part, je m’occupe d’elle. Professionnellement parlant. Je suis son assistante. celle qui la suit comme son ombre pendant les défilés, qui l’habille et lui murmure des encouragements, alors qu’elle s’apprête à marcher dans une paire de talons glissant sur une scène brillante et polie.  

J’ai donc, moi aussi, un contrat d’un an pour notre formation commune. C’est exceptionnel comme occasion, normalement, l’assistante ne suit pas la mannequin, c’est Tessa qui a tiré plusieurs ficelles pour qu’on ne soit pas séparées. Et d’un côté, je l’en remercie.  

- Est-ce que tu peux m’attendre dans la voiture cinq petites minutes, s’il te plaît ? Je lui demande.  

Elle ne répond pas, mais j’entends les bruits de ses pas s’éloigner. Ça y est, je suis seule. Seule devant une tombe neuve, recouverte d’une terre fraîchement retournée.  

« Ci-gît Franck Dupuis. Un père dévoué. »  

Si j’avais pu, j’aurais parlé à mon père à ce moment-là. Mais c’est encore trop douloureux. Les larmes coulent le long de mes joues, ponctuées par un reniflement. C’est à peu près les seuls sons que je peux émettre pour lui. Malgré toute la volonté du monde, je n’y arrive pas.  

Lentement, je dépose une Lys sur le rebord de la pierre tombale et retourne en direction du taxi qui m’attends. J’essuie mes larmes en montant dans le véhicule sous les yeux inquiet d’une meilleure amie hors norme.  

- Ça va aller ? Me demande-t-elle.  

Je hoche la tête en signe d’approbation, mais je ne le pense pas une seconde. Est-ce que cette sensation de creux dans mon estomac s’estompera un jour ?  

Le vol dura deux heures. Je n’ai pas décroché un mot depuis mon entrée dans le taxi. Depuis qu’il est parti, je ne parle plus beaucoup, pourtant si bavarde auparavant.  

Malgré ça j’essaye. Pour Tessa, je donne tout ce que j’ai pour que ce pli entre ses deux sourcils disparaisse avec ses inquiétudes. Mais chaque effort pour sourire et être mon ancien moi, me demande une force considérable et de la force, je n’en ai plus beaucoup.  

Le taxi anglais nous emmène jusqu’au quartier le plus cher de Londres. Logées par l’enseigne qui nous forme, nous sommes l’espoir de la marque et après notre formation, nous rapporterons une fortune à nos employeur. Tessa sera l’égérie la plus populaire du monde moderne selon les formateurs. C’est pourquoi, chaque élève a son appartement respectif dans un immeuble richement meublé et aménagé pour les beaux yeux des mannequins – et encore une fois, à titre exceptionnel, moi.  

Arrivées devant les portes du bâtiment, je ne peux m’empêcher de lâcher un sifflement admiratif.  

Un portier nous tient la porte et nous propose de monter nos valises, mais nous refusons poliment en récupérant la clé de l’appartement 802.  

L’ascenseur nous emmène au dernier étage dans un somptueux couloir aux murs couleur taupe et au sol tapissé de rouge.  

C’est Tessa qui ouvre la porte et nous permet de découvrir un loft incroyable. Cuisine américaine, baie vitrée, décoration moderne, ils ont mis le paquet.  

- Ok, c’est plus grand que la maison de village de mon père. Ces gens sont dingues. Dis-je, toujours plantée dans l’entrée.  

- Et ils m’ont confirmé qu’il y avait deux chambres. C’est l’appartement le plus spacieux de l’immeuble il paraît, enfin, pour ceux de la formation en tout cas. Ajoute Tessa.  

- Je croyais qu’il n’y avait que nous dans l’immeuble ?  

- Non. Au téléphone, ils m’ont prévenu de nous méfier des voisins, ils ont dit, je cite « les mannequins amateurs ont tendance à attirer l’œil des célébrités. »  

- Des célébrités ? Je dois m’attendre à croiser Elton John en rentrant du travail ? Je lui demande à moitié sarcastique.  

Elle lâche un petit rire en disparaissant dans l’une des pièces. « JE PRENDS CETTE CHAMBRE. » J’abandonne ma valise et me précipite vers la chambre qu’elle vient de s’approprier. Elle est immense, un lit à baldaquin trônant contre une paroie au milieu d’un tapis crème, le tout, entouré de murs de la même couleur taupe que le couloir.  

Je soupire et décide d’aller voir la seconde chambre. Tessa aurait dû visiter celle-là en première et j’ai la sensation qu’elle pense la même chose que moi lorsque je la vois faire une mine boudeuse sur le pas de la porte.  

La seconde chambre est à l’identique que la première, à la différence que celle-ci est traversée par une baie vitrée avec vue sur le centre-ville de Londres.  

- J’aurais dû commencer par celle-là. Soupire-t-elle.  

J’acquiesce d’un signe de tête et m’assied en tailleur sur le lit face à la vitre, ma meilleure amie s’installe à côté de moi et passe un bras par-dessus mon épaule.  

- Je suis sûr que de là où il est, il est fier de toi.  

Je ne réponds rien, je me contente de hausser les épaules. Le creux dans mon estomac devient plus profond. Depuis notre arrivée en Angleterre, la douleur s’était estompée. Pas complètement. C’était un peu comme une brève brise de vent chaud en plein hiver. On n’a même pas le temps de la savourer qu’elle est déjà partie loin.  

Papa, j’aimerai tellement que tu vois ça.