« - Il me faut un bateau pour me rendre à Kona Island ! »  

Lyon a beau s’entêter à répéter au capitaine Nehiri Meheto qu’il doit absolument se rendre sur l’ile, ce dernier continu de rester impassible, en le fixant droit dans les yeux.  

« - Avec la tempête qui approche, vous ne trouverez aucun capitaine pour vous y conduire », répond-il, cinglant.  

Comme Lyon a haussé le ton, la foule autour s’est mise à les observer sans retenue. Le jeune homme soupire de frustration.  

« - Je vous ai payé pour le passage », maugrée-t-il.  

L’autre fait mine de ne pas l’avoir entendu, s’affairant à enrouler un cordage aussi large que sa main. Poings sur les hanches, Lyon évalue ses possibilités. Prendre un hôtel ici, sur Mako ? Il n’a plus un sous après avoir dépensé ses maigres économies pour venir jusqu’ici.  

« - Moi, je connais un capt’ain » fait une petite voix.  

Lyon baisse les yeux sur un enfant maigrichon aux yeux fuyants. Il lui fait signe de parler, au bout de sa patience. Le garçon pointe du doigt la jetée au loin. Un minuscule voilier danse au gré des flots, sa voile blanche à demi-repliée, battant au vent.  

« - Little Kona Wind », dit simplement l’enfant à voix basse.  

« - Merci, petit », le remercie Lyon en lui tapotant la tête, un sourire aux lèvres, tout en adressant un regard noir au capitaine.  

Little Kona Wind a l’air encore plus pitoyable de près, remarque Lyon, mais c’est apparemment sa seule façon d’atteindre l’ile pour demain. Le navire parait vide de prime abord, mais lorsque le jeune homme s’approche un peu plus, il distingue une silhouette presque couchée sur le pont, un manuel entre les mains.  

« - Aloha ! » souffle Lyon le plus chaleureusement possible.  

Malgré ses précautions, la jeune femme sursaute et se retourne pour croiser le regard de l’inconnu qui vient la déranger.  

« - Excusez de mon intrusion, je ne voulais pas vous surprendre. »  

La femme marmonne quelque chose tout bas. Lyon prend le temps de l’observer, alors qu’elle vient à sa rencontre. Elle n’est pas très grande, mais parait athlétique, avec ses épaules carrées et ses mains épaisses. Sa peau et ses cheveux sont tannée et décolorés par le soleil et de petites tâches de rousseurs se dessine sous ses yeux clairs. Deux nattes entourent son beau visage fin.  

« - Qu’est-ce que vous voulez ? » dit-elle abruptement une fois parvenue sur le quai.  

« - J’ai besoin de me rendre à Kona Island le plus rapidement possible. L’on m’a dit que vous… »  

« - Je ne vais pas à Kona », le coupe-t-elle abruptement.  

« - Je peux vous payer grassement », ment Lyon avec assurance.  

Une lueur d’hésitation brille un moment dans les yeux de la jeune femme, mais elle se reprend, feignant l’indifférence, elle répond :  

« - Je ne suis pas intéressée. Merci et bonne journée. »  

Sur ces paroles, elle saute sur le pont de son navire et disparait dans la cabine, avant même que Lyon ait eu le temps de l’apostropher. Ce dernier fait rapidement le tour de ses options, tout en laissant son regard se perdre dans le vague. Il a quitté Los Angeles la veille et avec le jet-lag, il se sent un peu groggy. Il a payé un capitaine pour sa traversée jusqu’à Kona, mais avec la tempête en approche, ce dernier lui a refusé passage, sans possibilité de remboursement. L’escroc ! Lyon sert les poings à cette pensée, mais se reprend. Il est fauché, mais à absolument besoin de rejoindre l’ile dans le cadre de ses recherches. Avec le volcan Urahutunda entrant en éruption dans quelques mois, c’est surement la dernière chance qu’un scientifique aura d’étudier la faune et la flore de cet ilot perdu dans l’océan pacifique.  

« - Je peux payer triple », s’époumone Lyon sous la pression de l’urgence.  

Aucune réaction de la part de la jeune capitaine. Le jeune diplômé de biologie attend une bourse de la part du conseil scientifique de son école, une bourse qui devrait aisément couvrir ce genre de frais. En tout cas, quand il l’aura reçu… En attendant, il lui faut bluffer.  

« - Je suis le Docteur Lyon Croft et je suis chercheur pour l’institut de Biologie réputé de Los Angeles. Mes recherches sont primordiales et il y a moyen que ce soit très lucratif, pour une aventurière comme vous. »  

Le jeune homme patiente encore, guettant un mouvement ou un son provenant de l’embarcation. Finalement, la jeune capitaine ouvre la porte et sort sur le pont. Elle s’affaire à ranger des cordages, tout en évitant d’adresser un regard à son perturbateur.  

« - Je ne prends pas de touriste à bord, uniquement de la marchandises », finit-elle par souffler.  

« - Je ne serai pas dérangeant. »  

« - Vous l’êtes déjà », fait-elle sarcastiquement remarquer.  

Un silence s’installe et Lyon se sent à bout d’argument et de force.  

« - C’est non, alors ? » demande-t-il timidement.  

« - Repartez sur le continent, vous n’avez rien à faire là Doc’. »  

Sur ces mots, elle lui tourne le dos et continu à s’affairer sur ses cordages. Dépité, Lyon s’éloigne, les bras ballants et le dos vouté, vaincu. Il remonte la jetée, puis le quai, déambulant entre les passants aux vêtements fleuris et colorés, ne sachant pas où aller et que faire. Soudain, il se sent bousculer et glisse du ponton. Il heurte l’eau avec surprise, alors que sa tête cogne contre un pilotis. L’eau se colore en rouge et il perd connaissance.  

Des mains posées sur son torse le ramènent à lui. Il crache toute l’eau contenue dans ses poumons et se brûle la gorge, mais il est en vie. Sa vision floutée s’éclaircie et il reconnait la capitaine de Little Kona Wind, penchée au-dessus de lui.  

« - Bon retour parmi nous, Doc’ », dit-elle en se voulant nonchalante.  

Néanmoins, un grain d’inquiétude la transperce. La jeune femme aide Lyon à se relever. Il se repasse les derniers évènements dans sa mémoire. Est-ce que quelqu’un l’a bousculé volontairement ? Il chasse cette pensée de son esprit lorsque la jeune capitaine lui demande :  

« - Vous voulez que j’appelle les secours ? »  

« - Non », répond le scientifique, la voix rauque et sèche. « Je veux que vous m’emmeniez sur Kona. »  

« - Au fait, vous ne m’avez pas donné votre nom. »  

Lyon tient la barre de Little Kona Wind avec autant de légèreté que possible, tandis que la jeune capitaine s’occupe de la voile à ses côtés. Une fois le port derrière eux, elle lui avait montré comment barrer.  

« - Ça sera Capitaine pour vous, Doc’. »  

Lyon grimace. Il déteste ce surnom.  

« - Nous voyageons ensembles, nous ne sommes pas obligés d’êtres des étrangers. »  

« - Nous sommes des étrangers et je suis simplement votre chauffeur pour la traversée », le corrige-t-elle, grinçante.  

Le scientifique serre la mâchoire, plus décontenancé qu’agacé néanmoins. Il doit reconnaitre qu’il aime bien le sarcasme de cette femme. Néanmoins, elle se mord la lèvre et lui jette un regard en coin.  

« - Joa Noveruu. »  

Lyon détache son regard de l’horizon et l’observe un instant, muet de stupeur.  

« - Ce n’est pas le nom d’une plante exotique, Doc’ », fait-elle, mesquine. « C’est mon nom. »  

C’est au tour de Lyon de feindre l’indifférence.  

« - J’avais compris », répond-il simplement en se concentrant de nouveau sur l’océan devant lui pour ne pas percevoir la réaction de Joa.  

Le silence s’impose de nouveau, mais confortable désormais. Comme si connaitre leurs identités respectives les avait un petit peu rapprochés.  

« - Je crois que quelqu’un a essayé de me tuer », fait soudain Lyon.  

Leurs regards se croisent.  

« - Pourquoi quelqu’un voudrait vous tuer ? »  

Lyon hausse les épaules. Il n’en a aucune idée, mais cette conviction s’est profondément installée en lui pourtant. Quelqu’un l’a volontairement poussé à l’eau, il en est sûr.  

« - Vous n’avez pas vu la personne qui m’a bousculé ? »  

Joa hoche négativement la tête, les lèvres pincées. D'un bon, elle s‘éloigne à l’avant du bateau et pointe du doigt une forme sombre au loin.  

« - C’est Kona Island. »  

Lyon plisse les yeux, mais même à cette distance, l’on distingue aisément le volcan et son sommet dentelé. L’excitation gagne le jeune scientifique, lui faisant oublier ses préoccupations et ses soupçons d'assassinat. Le voilà proche de son objectif. Pour autant, il n,en a sûrement pas conscience à cet instant, mais tout ne va pas se passer comme prévu…